Derrière ces enfants de la DPJ, dont on parle beaucoup, il y a des parents dont on ne parle jamais. Mais qui sont-ils vraiment? La Presse a suivi six d'entre eux pendant les dix semaines d'un atelier de compétences parentales. Nous vous raconterons leur histoire , déchirante, en six épisodes. Voici le premier.

Catherine, 29 ans, et Julie, 4 ans

Julie est placée depuis un an et demi. Elle vit dans une famille d'accueil et pourrait y être placée à long terme. Catherine a passé son adolescence en centre d'hébergement. Sa mère s'est suicidée.

Cause du placement

toxicomanie, négligence.

Objectif de l'atelier

améliorer son lien avec son enfant.

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«Elle est où, maman?»

Au premier coup d'oeil, on voit que le couple est issu de la classe moyenne. La mère a une coupe de cheveux étudiée, des bottillons de cuir noir. Le père porte un manteau The North Face. Ils sont là avec Julie, 4 ans. Ils sont très en avance. On les a mal renseignés sur l'heure du début de l'atelier.

Au fil de la conversation avec les intervenants, ils réalisent qu'on les a mal renseignés sur beaucoup de choses. Par exemple, sur le nom de la mère biologique de Julie, qu'ils hébergent depuis maintenant quelques semaines. Une jolie petite brune à la peau café au lait.

Ils étaient persuadés que la mère de Julie s'appelait Isabelle. Ils découvrent aujourd'hui qu'elle s'appelle Catherine. Ils n'ont pas été présentés à la mère. À la maison, la petite ne les a jamais corrigés sur le nom de sa mère.

«Viens, maman va t'enlever ton manteau», dit la dame, coiffée, manucurée et bien habillée, qui n'est pas la mère de Julie. Mais, dans les faits, elle pourrait bientôt le devenir. Julie est en banque mixte, annonce-t-elle aux intervenants au fil de la conversation.

Les autres parents, qui attendent eux aussi leur enfant pour l'atelier, la considèrent d'un oeil noir. La banque mixte, ils savent ce que ça veut dire. Ça équivaut souvent à un placement jusqu'à la majorité.

Après une attente interminable, Catherine ouvre la porte du centre de jour. Julie se précipite dans ses bras. La famille d'accueil reste en retrait. Ils finissent par se présenter. Dans l'entrée, l'atmosphère est glaciale; le malaise, palpable.

Pendant tout l'atelier, Catherine serre Julie contre elle comme si elle voulait l'aspirer tout entière. Quand vient le moment pour la petite de se séparer momentanément de sa mère, Julie lui crache dessus. «Ça faisait longtemps qu'elle avait fait ça», dit Catherine avec un soupir.

Il y a un an et demi, la jeune femme était dans un centre de thérapie pour les toxicomanes avec sa fille. Elle se préparait à en sortir. Mais un jour, elle s'est sentie submergée par l'ampleur des responsabilités qui l'attendaient.

Ce jour-là, elle n'est pas allée chercher sa fille à la garderie. «Je me suis sauvée», dit-elle. C'est un intervenant de la DPJ qui est allé chercher Julie à la garderie.

Depuis un an et demi, Catherine essaie de s'en sortir. C'est difficile. Elle se voit aller avec une totale lucidité. «Je parle bien, je suis intelligente, mais je n'agis pas.»

Quand l'atelier se termine, le père d'accueil attend dans l'entrée. Il prend l'enfant des bras de Catherine. La jeune femme reste là, dans le couloir bleu pâle, et regarde un inconnu habiller sa fille. «Elle est où, maman?», demande la petite.

«Mais je suis là!», répond Catherine. Puis, elle voit le malaise dans les yeux de sa fille et elle comprend. Ce n'est pas d'elle que Julie parlait.

Julie part, dans les bras de l'homme au manteau The North Face. Catherine a les yeux pleins d'eau.

En après-midi, elle appelle son intervenante. Elle lui dit que c'est trop dur. Qu'elle a envie de tout lâcher, d'abandonner.

Dix jours plus tard, Catherine se présente à la visite supervisée prévue avec sa fille.

Elle a décidé de continuer.

Émilie, 23 ans, et William, 4 ans

William est placé depuis trois ans. Il vit en centre d'hébergement après avoir été déplacé plusieurs fois. Émilie a passé toute son enfance et son adolescence en foyer de groupe.

Cause du placement

toxicomanie, négligence, quelques épisodes de violence physique.

Objectif de l'atelier

apprendre à laisser explorer son enfant et à aller au bout de ses demandes.

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«Je veux rester avec toi»

William, 4 ans, se débat dans les bras de son éducatrice, venue le chercher après l'atelier. Il hurle de toute la force de ses poumons en tendant les bras vers Émilie.

«Je veux rester avec toi!»

Émilie a envie de fondre en larmes. Mais elle fait tout pour se contenir. Parce que c'est ce qu'on attend d'elle. C'est l'attitude correcte d'une bonne mère.

Elle parle à William. Elle va le reconduire jusqu'à l'auto. William hurle en entrant dans l'auto. Il hurle quand on le sangle dans son siège. Il hurle quand l'auto repart.

Quand la voiture disparaît, Émilie peut enfin pleurer. Nathalie Sylvestre, qui anime l'atelier, la félicite. «Tu as tenu le coup devant lui. Tu l'as accompagné pour le rassurer.»

Émilie venait de sortir des centres d'accueil quand elle est tombée enceinte. Un accident. «À quatre mois et demi, c'était trop tard pour me faire avorter.»

Évidemment, ça s'est mal passé avec le petit. Elle l'a gravement négligé. «Je me gelais, raconte-t-elle. Je ne l'ai jamais frappé, mais je l'ai shaké.»

Toute son enfance, Émilie l'a vécue en foyer de groupe. Sa mère l'a reprise pendant quelques années à l'adolescence: un désastre. «Elle nous réveillait la nuit pour qu'on aille lui acheter de la poudre.»

Et William semblait destiné à suivre la même route. À 4 ans, il vit déjà en centre d'hébergement. À son arrivée, il sacrait, insultait tout le monde. Il était diablement mal parti.

Mais Émilie a décidé de stopper cette machine infernale qui s'apprêtait à broyer une seconde génération. Elle s'est reprise. Elle a arrêté de prendre de la drogue. Trouvé un logement. De son côté, William s'est lui aussi transformé durant son séjour au centre.

Émilie et William seront devant le tribunal dans quelques semaines. La jeune femme espère reprendre son enfant.

À l'activité bricolage, Émilie et William chiffonnent des morceaux de papier de soie pour former un poussin. Ils rient. «Beau moment de complicité mère-fils», ont noté les animateurs après l'atelier.

William échappe le pot de colle. Lorsque Émilie se penche pour le ramasser, l'échancrure de son t-shirt s'ouvre et dévoile un tatouage bleu, juste au-dessus du coeur.

Sept lettres. William.