Environ 3% de la population présente une déficience intellectuelle. À Montréal, c'est un peu plus de 50 000 personnes. Dans 88% des cas, la déficience est légère et la vie, normale. Ou presque. C'est le cas de Brigitte Lessard. À l'occasion de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle qui se termine demain, nous l'avons accompagnée quelques heures dans son quotidien.

Brigitte Lessard, 38 ans, est commis étalagiste chez Jean Coutu, rue Saint-Denis, depuis bientôt 13 ans. Une liste d'étiquettes de prix à la main, elle zigzague entre les clients d'un pas décidé et installe les prix sur les tablettes. Elle a l'habitude, ça se voit. Un client l'aborde. «Avez-vous des lacets?» Elle acquiesce. «Suivez-moi.»

Brigitte n'est pas une employée tout à fait comme les autres. Elle a une déficience intellectuelle. Ses collègues ne s'en formalisent pas, au contraire. Responsable des produits en vente libre, Louise Duvernay travaille à ses côtés depuis 12 ans. «Brigitte est très enjouée, sans malice. Elle aime beaucoup rigoler. Les employés la connaissent bien et l'acceptent. Ils font attention à ce qu'ils lui disent, elle est sensible.»

Avant la pharmacie, Brigitte lavait des jouets dans une garderie. «C'était plutôt ennuyant.» Au Jean Coutu, elle se plaît. «J'étais très nerveuse au début. Je devais m'assurer que les prix en magasin correspondaient à ceux dans la circulaire. Je ne savais pas lire, alors je comparais les images.»

Beaucoup de chemin

Elle a fait beaucoup de chemin depuis. «Brigitte travaille très bien, dit Louise Duvernay. Quand elle a commencé à avoir confiance en elle, il y a eu un déclic. Elle aime prendre des initiatives.» Ses tâches? Participer à la réception de la marchandise dans l'entrepôt, monter des présentoirs, sortir des prix à l'ordinateur, vérifier la date de péremption des produits. Chaque matin, elle traverse chez Tim Hortons commander des cafés pour l'équipe. À l'occasion, elle livre les médicaments à la résidence de personnes âgées, au-dessus de la pharmacie.

Brigitte nous tend sa montre, un cadeau de l'entreprise pour souligner 10 ans de service. «Mon nom est gravé dessus. Elle vient de chez Birks», lance-t-elle fièrement. Il est 16 h. «Ma journée est finie!» Elle enfile son manteau en vitesse. En sortant, elle salue ses collègues à travers la vitre. Elle est chargée comme une mule et traîne un grand sac de plastique rempli de cannettes vides. Les passants se retournent sur son passage. «Les employés me donnent leurs cannettes. Quand j'en ai beaucoup, je vais les porter à l'épicerie et je mets l'argent à la banque», dit-elle en descendant les marches menant au quai. Le métro arrive, elle part aussitôt à la course.

Métro, boulot, dodo

Trois jours par semaine, elle fait 30 minutes de métro sur la ligne orange entre son travail et son appartement. «C'est long, mais je sais reconnaître mon chemin.» Ce soir, Brigitte ne veut surtout pas prendre du retard, elle a un cours de vitrail. «Le cours a fait relâche la semaine passée, j'ai hâte d'y retourner.» Dans le cadre des activités de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle, elle a d'ailleurs exposé une voiture en vitrail qu'elle a faite pour son neveu.

Son frère François a deux enfants, une fille de 7 ans et un garçon de 4 ans. «Ils sont pas mal tannants, ils font courir «matante»», dit-elle avec affection. Dans le métro, elle parle beaucoup de sa famille: le mariage de son cousin, les décès de sa mère et de son grand-père, les cancers de son père. «C'est beaucoup de malheurs», confie-t-elle. Elle parle fort. Certains passagers semblent dérangés. D'autres sont curieux. Elle n'y prête pas attention.

Consciente de son handicap

Brigitte est tout à fait consciente de sa déficience intellectuelle. «Je sais qu'il y a des gens plus normaux. Et après?» Elle est très honorée d'être l'ambassadrice de l'Association de Montréal pour la déficience intellectuelle (AMDI). À l'occasion de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle, elle a participé à diverses activités de promotion.

Depuis 12 ans, Brigitte habite en appartement supervisé. Elle nous invite à entrer. «Je suis désolée, ma vaisselle n'est pas faite», dit-elle en se précipitant vers l'évier. Son chez-soi est douillet, encombré, mais propre et décoré à son goût. Des vitraux et des affiches de Renoir et de Van Gogh sont accrochés au mur. À l'entrée, un babillard déborde de photos. Un aide-mémoire y est épinglé. Elle n'a qu'à y jeter un oeil pour se rappeler les tâches à effectuer. Lundi: ménage de la chambre et de la salle de bain. Mardi: ordures et épicerie.

«Je cuisine et je fais moi-même l'épicerie. Au début, je trouvais ça difficile, mais j'ai appris.» Et le budget? «Ça, non. Je n'y touche pas.» La plupart de ses comptes sont réglés par paiements préautorisés. Une intervenante lui rend visite régulièrement pour s'assurer que tout va bien.

Faut que ça bouge

Brigitte aime quand ça bouge. «On ne me voit pas souvent chez moi.» Elle s'implique dans l'AMDI depuis 18 ans. Elle est membre du conseil d'administration du Carrefour d'éducation populaire de Pointe-Saint-Charles, où elle suit des cours de français et d'internet. Le soir, elle chante, fait du vitrail, du crochet. Elle a participé 22 fois au Tour de l'Île. Elle a voyagé à Vancouver, en France et à Cuba. Quand elle a des temps libres, elle aime aussi écrire. «J'ai ramené des livres de Vancouver et je copie les mots à l'ordinateur. Je prends mes courriels, je vais sur Facebook.»

Son rêve? «Emménager avec mon copain et avoir des enfants.» En couple depuis près de deux ans, elle voit son amoureux la fin de semaine. Elle l'a rencontré lors d'une soirée de quilles. Ils se parlent au téléphone tous les jours. «Il est non déficient et m'accepte comme je suis.»

Brigitte parle beaucoup, fort, tout en mangeant son sandwich au jambon, appuyée sur le comptoir. Elle boit un jus de fruits en boîte et, ça y est, elle est prête à partir. Elle manifeste un enthousiasme débordant pour tous ses projets, petits et grands.