«L'amour c'est chiant», «j'ai plus de 40 ans, je n'ai jamais fréquenté une seule fille», «je veux un époux qui gagne le plus d'argent possible», «les Japonaises n'aiment pas le sexe»: ces réflexions de Nippons en disent long sur leur société jugée en mal de communication.

«Comment peut-on considérer que l'amour, qui est la chose la plus enrichissante que la vie ait à nous proposer soit ''mendokusai'' («barbant») et que des jeunes Japonais osent le dire», s'interroge la sociologue française Muriel Jolivet.

«Je vis au Japon depuis 1973, mais les Japonais continuent de me fasciner. J'entends et vois ici des choses incroyables que je ne verrais ni n'entendrais nulle part ailleurs», souligne l'universitaire qui, dans ses plus récents ouvrages Japon, la crise des modèles (éditions Picquier) et Tokyo Instantanés (Elytis), décortique les maux de la société nippone.

«Il suffit que j'allume la télévision cinq minutes et j'ai forcément une anecdote insensée à récolter». Et de citer en exemple le cas d'un Japonais «qui fait le tour du Japon déguisé en lapin rose pour se déstresser».

«Une femme m'a dit un jour ''je déteste les enfants, j'ai franchement horreur de ça mais il fallait bien que je dise que je les aime pour pouvoir me marier''», raconte cette collectionneuse insatiable de réflexions «incroyables».

«Les Japonais sont des gens sensibles comme nous, qui pensent, qui souffrent, mais il y a une telle différence dans la manière d'exprimer ce qui est ressenti, dans la façon de contenir, que brusquement ils peuvent passer du contrôle absolu à la confidence totale. On dit rien ou on dit tout, et presque trop, et c'est cela qui m'intéresse», insiste-t-elle.

Dans sa quête de choses vues, lues, ou entendues, les relations amoureuses et le mariage sont un de ses thèmes de prédilection, dans un pays en mal d'enfants et où les esseulés sont de plus en plus nombreux.

«Le mariage a toujours été une obsession nationale au Japon avec des livres dissertant sur le sujet à n'en plus finir», explique-t-elle.

Aujourd'hui, l'on voit des filles de 35 à 40 ans se lancer à corps perdu dans des «campagnes de recherche de mari» («konkatsu»), encouragées par les agences matrimoniales dont les publicités tapissent les métros, ou bien par les municipalités qui organisent de gigantesques soirées-rencontres («machikon») de plusieurs milliers de personnes.

«Les filles qui ont aujourd'hui entre 35 et 40 ans ont été élevées par une mère qui était au foyer et qui leur a dit ''surtout ne fais pas comme moi, fais des études, aie une carrière, aie les moyens d'être indépendante, libre''. Ces filles se sont défoncées pour travailler mais elles se rendent compte qu'on s'est arrangé pour qu'elles ne fassent pas ombrage aux hommes», assure Mme Jolivet.

Cette déception conduit les femmes à régresser et à rechercher l'époux le mieux armé pour affronter à deux un avenir incertain. Las, le mari idéal est de plus en plus rare.

«La précarité du travail fait que les hommes sont très rares à gagner 5 millions de yens (environ 65 000 $CAN) par an à 30 ans», comme le souhaiteraient nombre de filles pour qui le pouvoir d'achat est, devant les sentiments, le facteur clé de sélection d'un prétendant.

«Les jeunes Japonais inquiètent en outre en raison d'une chute de libido, une baisse d'envie pour ce qui jusqu'à présent ne faisait pas l'ombre d'un doute, le chemin tout tracé vers le mariage, les enfants», souligne Mme Jolivet.

Elle cite le témoignage d'un homme de plus de 40 ans, qui «aimerait bien se marier mais n'a jamais fréquenté une seule fille de sa vie et ne sait pas ce qu'il pourrait lui dire, serait aussi démuni que face à une extra-terrestre».

«Ce désintérêt global est en train de dépeupler le pays avec un nombre croissant de célibataires à vie, individus qui n'existaient pas auparavant au Japon où 95% des personnes étaient mariées», rappelle-t-elle.

«Un des termes qui représentent le mieux les jeunes d'aujourd'hui est ''atomawashi'' (reporter à plus tard), on y repensera demain», constate-t-elle.

Pour autant, en bonne connaisseuse de l'histoire du Japon et des Japonais, elle ne désespère pas car «ce qui est extraordinaire avec les Japonais c'est qu'ils retombent toujours sur leurs pieds».