Dimanche dernier, quartier chinois. Sous l'oeil fasciné de quelques passants, une douzaine de femmes âgées de 18 à 38 ans grimpent sur un muret, font des roulades sur le sol de béton, sautent tour à tour au sommet d'un petit escalier, se faufilent sur et sous les rampes... en courant!

Ces traceuses, les seules à Montréal, se rencontrent une fois par mois pour un entraînement de groupe informel. Leur terrain de jeu: la ville entière. Ce week-end, elles seront de la Rencontre annuelle de parkour de Montréal qui réunira des centaines d'adeptes, hommes et femmes, un peu partout en ville (www.pkqc.ca).

«Plus jeune, je rêvais d'être une ninja et de faire des flips, lance Valérie Carrière, 30 ans, directrice commerciale. J'adore le sentiment de repousser mes limites physiques et mentales. Souvent, c'est la peur qui nous bloque devant un obstacle.»

Après une période d'échauffement dirigé, les femmes se prêtent à une routine de mise en forme exténuante avant de s'exécuter à leur guise sur le mobilier urbain à portée de main. Une clôture de sécurité, comme on en voit dans les rues lors de festivals, devient rapidement un objet convoité. Certaines sautent par-dessus à pieds joints avec aisance. D'autres, plus craintives, l'enjambent laborieusement. Entre deux gorgées d'eau, les recrues écoutent les conseils prodigués par les vétérans.

La doyenne du groupe, Anne Katherine, a 38 ans. Elle a découvert le parkour il y a deux ans. «Je suis la plus vieille, et après! On se soucie trop de l'âge. Pourquoi les adultes devraient-ils cesser de faire des acrobaties et de s'amuser? C'est un sport très créatif, je vois mon environnement d'un autre oeil. Si les gens se rendaient au travail en «traçant» «, ce serait plus amusant. C'est une belle façon de s'approprier sa ville.»

Popularité grandissante

Depuis sa timide apparition à Montréal en 2004, le parkour - ou art du déplacement - connaît une popularité grandissante. Les médias sociaux, YouTube et la sortie de films comme Banlieue 13 ou Casino Royale ont fait boule de neige. Aujourd'hui, Montréal serait le terrain de jeu de plus de 1000 traceurs. Tous des hommes ou presque.

«Les femmes sont encore largement minoritaires, mais on commence à voir de nouveaux visages», se réjouit Silex Kit, 33 ans, traceuse depuis sept ans. C'est elle qui organise les rencontres féminines depuis deux ans. «J'ai commencé de zéro, je n'avais jamais fait de sport avant. Jamais je n'aurais pensé progresser à ce point.» Elle bouge avec énergie et assurance. Passionnée, elle espère ouvrir un gymnase de parkour.

«On croit à tort qu'il faut être casse-cou pour tracer, poursuit-elle. Pourtant, c'est un sport qui se fait tout en progression, sans compétition, où l'entraide est omniprésente. Les blessures sont rares. C'est rarement aussi spectaculaire que dans les films!»

Néanmoins, devant les prouesses des garçons, plus forts et souvent plus téméraires, les filles se sentent parfois intimidées. «D'où les rencontres féminines, précise Silex Kit. Nous avons une façon différente d'aborder les obstacles, nous sommes plus réticentes. On se comprend et on échange sur nos trucs, nos techniques. Toutes les filles sont bienvenues. Le but est de s'amuser et de bouger.»

Roxane Gautron, étudiante de 21 ans, a joint le groupe il y a un an. C'est l'une des plus assidues. Elle s'entraîne plusieurs fois par semaine dans le simple but de «sauter plus haut et plus loin». Lorsqu'elle se propulse pieds devant sur un mur de briques, on dirait qu'elle vole. Ses mouvements sont toujours gracieux. «Le parkour ne requiert qu'une paire de chaussures et de la volonté, dit-elle. Si on ne marche pas sur le trottoir comme tout le monde, on nous regarde de travers. Ça fait du bien de sortir du moule. Le traceur n'est pas limité par les objets qui l'entourent.»

«On retombe en enfance, confie l'entraîneuse Valérie Gilbert, 28 ans. Je danse depuis que je suis petite, mais je cherchais davantage de sensations fortes.» Épileptique, elle fait un pied de nez à la maladie en repoussant ses limites. «Lorsque je trace, j'ai la sensation d'avoir le plein contrôle de mon corps et de mon esprit. Je sais alors que la maladie ne prendra pas le dessus sur moi.»

Souvent tolérées sur les propriétés privées, les traceuses s'éclipsent dès que leur présence dérange. «Notre but n'est pas d'enfreindre les lois, souligne Silex Kit. Au centre-ville, les gardiens de sécurité nous embêtent rarement, ils savent qu'on respecte les lieux.» La semaine dernière, seuls quelques sans-abri assistaient à ce spectacle hors de l'ordinaire. «Quand on ne veut pas de nous, on va ailleurs. On peut s'amuser à peu près partout. Le parkour, c'est la liberté.»

Qu'est-ce que le parkour?

Le parkour, ou art du déplacement, est une méthode d'entraînement naturelle où le mobilier urbain se transforme en autant d'obstacles à franchir. Les mouvements, qui allient les sauts, l'escalade, les roulades et la course, se veulent efficaces et rapides. Le parkour serait né modestement dans les années 30, dit-on. Mais le sport a véritablement pris son élan avec les prouesses des Français David Pelle et Sébastien Foucan qui, dans les années 90, ont franchi des obstacles de plus en plus impressionnants, tels des bâtiments. Avec la sortie du film Yamakasi en 2001, la pratique du parkour s'est répandue dans le monde.