Tout a commencé à la fin des années 80 lorsqu'une caissière d'un Provigo à Port-Cartier a demandé un tabouret. L'employeur a refusé. L'affaire s'est retrouvée devant la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles.

La caissière a eu gain de cause, sauf que le jugement ne s'applique qu'au Provigo de Port-Cartier. Si les caissières veulent un siège, elles doivent livrer bataille magasin par magasin.

Une quarantaine de plaintes ont été déposées à la suite de ce jugement. En 1999, une trêve a été décrétée: les syndicats cessent de multiplier les plaintes; en échange, la CSST (Commission de la santé et de la sécurité du travail) s'engage à créer un comité réunissant syndicats et supermarchés. L'objectif: trouver une solution.

Après cinq ans de travail, le comité a accouché d'un guide et d'une solution: un tabouret incliné qui permet d'avoir une position mi-assise, mi-debout. Le hic: il faut réaménager les postes de travail.

Depuis, plus rien. Ou presque. Deux caisses expérimentales dans un Super C et un prototype de siège assis-debout inachevé chez Provigo.

«Le dossier des bancs n'avance pas, affirme Karen Messing, biologiste, ergonome et professeur à la retraite de l'UQAM. Je fais de la recherche sur la santé et la sécurité au travail depuis 1978 et jamais je n'ai vu autant de résistance de la part des employeurs.

- Pourquoi?

- Parce que la posture debout est indéfendable. En 20 ans (depuis le jugement de Port-Cartier), le dossier n'a pratiquement pas bougé. La CSST ne fait pas son travail.»

«La CSST n'est pas contraignante, elle n'utilise pas ses pouvoirs, confirme Denise Cameron, coordonnatrice du dossier santé et sécurité aux TUAC (Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce). Tout est là. Elle essaie de convaincre et ça traîne. On n'avance pas. Ça fait 11 ans qu'on discute.»

«C'est très long, ajoute Micheline Boucher, responsable du module prévention à la CSN. Ça n'avance pas vite du tout, du tout. On doute de la volonté des employeurs.»

La CSST se défend. «Même si les choses n'avancent pas vite, elle avancent, précise le porte-parole, Pierre Turgeon. On travaille en consensus. Nous ne pouvons pas obliger les magasins à fournir un banc aux caissières. On est loin derrière l'Europe, mais en avance en Amérique du Nord. Les caissières peuvent user de leur libre-arbitre et décider de travailler ailleurs.»

IGA se défend. «Aucune caissière ne s'est plainte, affirme la porte-parole, Anne-Hélène Lavoie. Le banc est un faux débat. Le problème, c'est l'ergonomie du poste de travail. On a fait des tests dans certains magasins. Les caissières trouvent le banc embarrassant.»

Métro affirme que le dossier progresse. «On essaie d'identifier une firme qui va évaluer les deux caisses expérimentales au Super C, explique la directrice du service des affaires corporatives, Marie-Claude Bacon. Les nouveaux postes assis-debout vont-ils créer des effets pervers, comme des problèmes musculo-squelettiques? Quel sera l'impact de ces bancs sur le rendement des caissières et la qualité de leur travail?»

Quant à Provigo, la conseillère en communications, Sophie McGreevy, s'est contenté de répondre par courriel. Il est «nécessaire de rendre nos caisses plus ergonomiques, écrit-elle (...) Nous travaillons pour tester différentes avenues et identifier des solutions répondant aux besoins de nos caissières».

De son côté, le vice-président du Conseil canadien des distributeurs d'alimentation, Frédéric Alberro, soutient que la position assise n'est pas «optimale pour diminuer les accidents de travail. Être debout n'est pas problématique».

Une tradition nord-américaine

Travailler debout est une tradition nord-américaine. «En Afrique, en Asie et en Europe, les caissières sont assises, précise la biologiste-ergonome Karen Messing. Les supermarchés refusent de fournir des bancs. Ils invoquent les coûts, car il faut réaménager les postes de travail.»

«C'est une question de culture et d'apparence, croit Micheline Boucher de la CSN. Les employeurs pensent que les caissières doivent travailler debout pour être au service des clients. C'est le même raisonnement dans l'hôtellerie.»

Au Québec, 45% des employés travaillent principalement debout et 18%, soit un sur cinq, n'ont aucune possibilité de s'assoeir. Ce sont surtout des travailleurs manuels: employés dans des dépanneurs, banques, hôtels, magasins, usines.

Pourtant, les dommages à la santé sont réels. «Les pieds enflent et les employés ressentent des douleurs aux jambes et au dos, explique Susan Stock, médecin à l'Institut national de santé publique. Si les caissières pouvaient s'assoeir de temps en temps, les douleurs diminueraient. Travailler debout augmente aussi les risques d'artériosclérose, donc les risques d'accident vasculaire cérébral.»

Les mouvements répétitifs peuvent également provoquer des bursites.

Les caissières ne sont pas les seules à revendiquer le droit de s'assoeir. Les employés du Centre Sheraton qui travaillent à l'accueil se sont battus en cour, mais ils ont perdu, car, précise la Commission des lésions professionnelles, l'employeur a mis des tabourets à leur disposition «derrière la réception, hors de la vue des clients». La cause s'est rendue jusqu'en Cour d'appel, note Katherine Lippel, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

Les employés de Sears aussi ont perdu. L'article 170 du règlement sur la santé et la sécurité précise que l'employeur doit fournir un tabouret «lorsque la nature du travail le permet».

«Les gens de Sears devaient faire de fréquents allers-retours entre leur poste de travail et l'arrière du magasin, explique Mme Lippel. Un banc n'était donc pas compatible avec la nature de leur travail. Ils ont perdu.»

[Pour connaître l'univers des caissières...]

Pour connaître l'univers des caissières, un petit livre rigolo : Les tribulations d'une caissière d'Anna Sam. Un essai sur les états d'âme d'une caissière dans un supermarché en France. Anna Sam avait 28 ans lorsqu'elle a écrit son livre, un diplôme de littérature dans les poches et huit ans d'expérience derrière une caisse.

»Il y a les clients faciles et les moins faciles, raconte-t-elle, les riches et les pauvres, les complexés et les vantards, ceux qui vous traitent comme si vous étiez transparente et ceux qui vous disent bonjour (). Il y en a qui vous draguent ; d'autres qui vous insultent. Qui dira qu'il ne se passe rien dans la vie d'une caissière?» Publié chez Stock en 2008.

IL EXISTE TROIS CONSORTIUMS DANS L'ALIMENTATION AU QUÉBEC

- IGA - SOBEYS

263 MAGASINS

5000 CAISSIÈRES

- LOBLAW- PROVIGO-MAXI

229 MAGASINS

4400 CAISSIÈRES (exclut le réseau des affiliés et des franchisés).

- METRO - SUPER C

292 MAGASINS

8000 CAISSIÈRES