Joëlle, 55 ans, est née avec des organes génitaux ambigus. Nouveau-né, elle a subi plusieurs interventions chirurgicales. «On a dit à mes parents que leur petit gars avait un problème de plomberie», raconte-t-elle. Jusqu'en 2001, elle n'en a rien su et a vécu dans la peau d'un homme. «Ça a été l'enfer.»

Les médecins ont rendu fonctionnel son «pénis» - ou était-ce un clitoris surdéveloppé? - en rallongeant le canal de l'urètre. Ils ont aussi fermé l'ouverture vaginale qui ne menait nulle part. Elle n'a ni utérus ni trompes de Fallope. «On m'a assigné le mauvais sexe, j'étais très cicatrisée. En bas de la ceinture, c'était une zone sinistrée, confie-t-elle. Enfant, je ne comprenais pas pourquoi on me punissait en m'habillant en garçon. À l'adolescence, on m'a même fait prendre de la testostérone pour masculiniser mon corps.»

 

Juste avant de passer sous le bistouri pour «changer de sexe», il y a huit ans, Joëlle a appris qu'elle n'était pas vraiment un homme. «Ça a été un choc et un soulagement. Je croyais souffrir d'un trouble de l'identité du genre, mais c'était purement biologique. Je suis intersexuée.»

Joëlle a un syndrome d'insensibilité partielle aux androgènes. Comme un homme, elle possède une paire de chromosomes XY, mais ses cellules n'assimilent pas les hormones mâles.

Pour diverses raisons, un enfant sur 10 000 naît avec des organes génitaux externes ambigus. Une minorité parmi l'ensemble des personnes intersexuées. Au total, on estime qu'un individu sur 2000 présente une variante du développement sexuel. Peut-être plus. Certaines personnes, chez qui rien ne paraît, ne sauront jamais qu'elles sont intersexuées. Vous pensiez que le sexe se résumait à ce qui se cache dans le slip? Détrompez-vous.

«L'intersexualité, aussi appelée troubles du développement sexuel, englobe une panoplie de conditions où les organes génitaux, les chromosomes, les gènes ou les hormones sont atypiques à un sexe. C'est très complexe», explique l'anthropologue Katrina Karkasis, chercheuse au Centre d'éthique biomédicale de l'Université Stanford, en Californie. Experte de renommée internationale, Mme Karkasis a publié, en 2008, l'ouvrage Fixing Sex: Intersex, Medical Authority and Lived Experience (Duke University Press).

«Une soixantaine de diagnostics sont associés à l'intersexualité, mais certains cliniciens considèrent à tort cette condition comme une pathologie», affirme-t-elle. Il existe un large spectre de variantes du développement sexuel. La plupart des intersexués s'identifient à un genre ou à l'autre. Très peu aux deux.

Assumer sa différence

André, 47 ans, est marié et père d'un enfant. Malgré son corps masculin, il vous dira qu'il n'est pas plus homme que femme. «J'ai toujours su que j'étais différent, mais je ne savais pas pourquoi. Enfant, je sentais que je n'avais pas ma place», confie-t-il. La raison? Le syndrome Klinefelter.

Au lieu d'avoir une paire de chromosomes XY (comme la majorité des hommes), il a trois chromosomes XXY. Il l'a appris lors d'une prise de sang à 22 ans. Des testicules plus minces et une barbe absente avaient mis la puce à l'oreille de son médecin.

«Pendant des années, je me suis demandé de quel côté pencher. J'ai décidé de m'accepter tel que j'étais, comme un intersexué», dit-il. Sur des formulaires, il lui arrive même de cocher les deux cases: féminin et masculin. «Parce que la société nous impose un choix, je me présente en public comme un homme.»

Vivre avec des traits propres aux deux sexes est particulier, ajoute-t-il. «Comme j'ai plus d'oestrogène que de testostérone, j'ai une période de fragilité émotionnelle comme un SPM. Ça m'influence dans ma façon de penser et d'agir.»

Ses proches sont au courant de sa condition, mais André ne l'ébruite pas à tout vent. «Très peu osent en parler, mais ça commence à changer, observe-t-il. Ces gens ont peur d'être jugés, de perdre leurs amis, leur famille et même leur emploi. Ça se voit encore. Ils ne veulent pas passer pour des monstres.»

Malheureusement, certains intersexués, de par leur physique, ne peuvent échapper au regard des autres. «Les réactions que suscite le cas de l'athlète Caster Semenya montre l'ampleur de l'incompréhension vis-à-vis des personnes intersexuées, affirme Katrina Karkazis. L'ignorance et la peur de la différence créent la stigmatisation. Ce n'est pas parce qu'on a des testicules ou un niveau de testostérone élevé qu'on est un homme.»

Un long cheminement

Psychologue et sexologue clinicien, Michel Campbell a vu passer au fil des ans plus d'une centaine de patients intersexués dans son cabinet. «L'intersexualité est rarement bien vécue, c'est un long cheminement. Certains intersexués se sentent emprisonnés dans un corps qu'ils n'ont pas choisi. D'autres sont ambigus face à leur identité. Ils subissent les contrecoups de la famille et des proches, parfois dès 5 ou 6 ans. Il y a beaucoup de pression pour adhérer au sexe lié à l'apparence corporelle. La société leur dit qu'on ne peut être entre les deux.» Pourquoi pas?

«Chaque être humain est unique, le sexe est aussi variable que la couleur des yeux, avance Joëlle. Dans la différenciation sexuelle, tout n'est pas noir ou blanc. Nous sommes des personnes avant tout.»

 

La confusion des genres

La femme est XX et l'homme XY ? Ce n'est pas si simple. Certaines femmes sont XY, d'autres sont seulement X et des hommes sont XXY ! Le chromosome Y porte le gène SRY, déclencheur du développement masculin. À l'occasion, le SRY peut aussi apparaître sur le X, ce qui a pour effet de produire un foetus mâle XX. En pareil cas, le bébé aura les apparences d'un garçon mais sera doté de plusieurs attributs féminins. Quand le SRY rattaché au Y est déficient, le XY peut se développer en femelle (stérile) à divers degrés.

Garçon ou fille?

Il suffit d'une légère variante dans la combinaison des chromosomes, gènes, hormones, enzymes et même des hormones de la mère pour mêler les dés. Un individu peut avoir un pénis et des ovaires. Ou l'inverse. Très rarement, il y aura tissus ovariens et testiculaires chez le même individu. « Plus de la moitié des enfants avec des organes génitaux externes atypiques sont des filles qui ont été imprégnées par des hormones mâles en raison d'un problème des glandes surrénales qui sécrètent trop de testostérone. Elles ont aussi un utérus, des ovaires et un vagin», indique le Dr Guy Van Vliet, endocrinologue pédiatre à l'hôpital Sainte-Justine.