Le premier Noir du Canada aura finalement une rue à son nom, à Québec. Belle façon d'entamer le Mois de l'histoire des Noirs, qui commence demain. Seulement voilà: da Costa était-il vraiment à Québec lorsque la ville a été fondée? Les avis divergent...

Tout vient à point à qui sait attendre. Début mars, on inaugurera la rue Mathieu-da Costa, dans le quartier Lebourgneuf, à Québec. Cette reconnaissance toponymique arrive sur le tard, 400 ans après la mort du personnage. Mais pour les historiens du fait noir au Canada, il s'agit bel et bien d'une victoire.

 

«Les célébrations du 400e anniversaire de Québec et le dernier Sommet de la francophonie ont permis d'accélérer le processus», se réjouit Kanyurhi T. Tchika, président du magazine afro-québécois Transatlantique. Congolais d'origine, M. Tchika est celui qui a convaincu l'équipe du maire Régis Labeaume de rendre hommage à cet interprète africain, que Samuel de Champlain et Pierre Du Gua de Monts avaient engagé comme intermédiaire pour leurs échanges avec les Amérindiens. L'opération, dit-il, «visait à rappeler ce que les Africains ont apporté à l'histoire canadienne avant la période de l'esclavage».

Il peut paraître étrange qu'aucun lieu n'ait été baptisé plus tôt du nom de Mathieu da Costa. Selon l'historien Paul Fehmiu-Brown, il y a au moins 40 ans que son nom a refait surface dans les livres. Mais il semble que le mystère qui entoure le personnage en ait empêché plusieurs de valider sa contribution historique. Même aujourd'hui, le parcours de Mathieu da Costa reste flou. Comment avait-il appris le micmac? Était-il à Québec lors de sa fondation? Où est-il mort? Quelques pages sont toujours manquantes. Idem pour son portrait, recréé pour les besoins des publications. Comme celui de Champlain, le vrai visage de da Costa demeure inconnu.

Une forte tête

Ce qu'on sait pour sûr, c'est que Mathieu da Costa était un homme libre et qu'il était métis. On suppose qu'il est né d'une union mixte sur les rives de l'ancien Royaume du Congo (Angola actuel), où les Portugais avaient établi des comptoirs commerciaux dès le XVe siècle.

Spécialiste du «pidgin» (créole afro-luso-basque alors en usage pour les échanges commerciaux), il aurait d'abord travaillé pour les Portugais qui faisaient du négoce le long de la côte africaine. Il est probable que ses talents d'interprète lui aient ensuite permis d'être engagé sur des navires basques ou portugais qui allaient pêcher la morue au large de Terre-Neuve. Selon toute vraisemblance, c'est à ce moment que Mathieu da Costa aurait appris les bases de l'indien micmac.

Lorsqu'il débarque à Port-Royal (Nouvelle-Écosse) avec Champlain et Du Gua de Monts en 1603, da Costa n'en serait donc pas à sa première visite au Canada. Mais cette fois elle est enregistrée, ce qui en fait officiellement le premier Noir de l'histoire canadienne. Dans les années qui suivent, sa connaissance de la langue autochtone va grandement faciliter le commerce des fourrures et l'implantation des premières colonies en Nouvelle-France. Était-il à Québec, avec Champlain, lors de la fondation de la ville en 1608? Sur ce point, c'est un peu moins clair. Paul Fehmiu-Brown, qui s'intéresse au cas da Costa depuis au moins 20 ans, en est convaincu. Mais un document de Parcs Canada (Mathieu da Costa et les débuts du Canada) affirme que, en 1608, l'interprète était en Europe afin de préparer son prochain voyage en Amérique.

Chose certaine, l'aventure canadienne de Mathieu da Costa tournera au vinaigre. Tiraillé entre les Français et les Hollandais, qui se disputent ses services, l'interprète se retrouve au coeur d'une querelle juridique qui se soldera par son emprisonnement pour «indécence».

«C'était une forte tête. Si j'étais psychologue, je dirais qu'il était trop gourmand. Mais bon, il n'était certainement pas le seul. L'appât du gain était le moteur de tous ces explorateurs», précise Paul Fehmiu-Brown.

Père du multiculturalisme

C'est dans les geôles de Rouen, en 1609, qu'on entend parler de lui pour la dernière fois. Paul Fehmiu-Brown a vainement tenté de retrouver sa trace. Il est allé à Nantes et à Rouen. Il a envoyé ses assistants à Lisbonne et aux Açores. Impossible de savoir où Mathieu da Costa a passé les dernières années de sa vie ni où il est mort. Est-il retourné en Amérique? En Afrique? Au Portugal? Pour Fehmiu-Brown, le dossier est loin d'être clos. «Je m'arrêterai un jour, quand je saurai où il est enterré», affirme l'historien.

En attendant, bien des ficelles restent pendantes. Ce qui ne doit pas, pour autant, minimiser la contribution du bonhomme.

«Il a permis un premier contact harmonieux entre les Français et les Micmacs», souligne Kanyurhi T. Tchika, qui ajoute que da Costa, lui-même issu de deux cultures, serait un peu le père du multiculturalisme canadien.

«Tant qu'il était là, ça se passait bien. C'est après que ça s'est gâté...»