Quand je suis revenue à Montréal, au milieu des années 90, je me suis liée d'affection pour un restaurant de Notre-Dame-de-Grace, rue Monkland, appelé Taverne.

Je traversais la ville pour y aller.

J'adorais l'enseigne originale en néon rétro et je m'y sentais un peu à New York, un peu aussi en Californie. On y préparait une cuisine moderne qui réussissait à s'affranchir de la rigueur des traditions françaises ou italiennes si présentes à Montréal à l'époque. Pendant des années, j'ai répondu à mes interlocuteurs que mon restaurant préféré en ville, mon adresse doudou, se trouvait dans l'Ouest. Je me rappelle des regards inquiets d'Outremontois perplexes et de Plateausiens incrédules.

Si loin du quartier italien? Pas du tout près de l'avenue Laurier, de la rue Saint-Denis, à ce point éloigné du boulevard Saint-Laurent, si retiré du centre-ville? Vraiment?

Puis les années ont passé, des tas de restaurants intéressants, modernes, branchés sur la diversité du monde autant que sur nos racines montréalaises, ont ouvert un peu partout dans la ville, la Taverne est devenue moins spéciale, j'ai commencé à ratisser pas mal plus large, et mon centre d'intérêt s'est déplacé vers le Plateau et le Vieux-Montréal, puis vers le Mile End, Villeray et même Rosemont, et l'Ouest est devenu une sorte de terre oubliée où, à part le groupe Liverpool House/Joe Beef, aucun restaurant ne réussissait à se démarquer réellement.

Cette réalité est toutefois de nouveau en train de changer.

Enfin.

Saint-Henri et la Petite Bourgogne sont devenus des destinations incontournables. Et maintenant, même Westmount et NDG ont quelques tables plus qu'acceptables. Je pense à Park, à la brasserie Centrale, aux salades de chez Mandy et au café de la ferme du Zéphyr, pour ne nommer que ceux-là. Je pense aussi à Lea, le nouveau restaurant du groupe qui possède déjà le Grinder et Le Hachoir. Ce n'est pas une table qui mérite qu'on parte de l'autre bout du monde pour s'y rendre, mais dont les vertus sont assez grandes pour qu'on choisisse de s'y poser si on habite dans le quartier, ou non loin.

D'abord, le décor signé Zébulon Perron est intéressant. Ce designer a l'immense qualité de vouloir éviter à tout prix de tomber dans les lieux communs. L'espace, qui se déploie sur deux niveaux, n'est pas facile, mais le designer a réussi à y créer des petites zones douillettes bien démarquées où l'on ne se sent pas pour autant isolés. On aime les banquettes de cuir confortables, la chaleur du bois et des plantes, qui tranchent avec les comptoirs de marbre et les murs de briques crème.

Dans l'assiette, le chef Matt Doyle propose une cuisine qu'on dit ici et là soit ibérique, soit «méditerranéenne». Ce qui ne nous vient cependant pas à l'esprit quand on voit du gravlax ou un chou-fleur au gratin au menu. Cela dit, ce plat, servi avec du jambon serrano et un fromage relevé, est intéressant, parce que réconfortant, savoureux, sur une crucifère encore assez croquante.

De la même façon, la salade d'endives grillées évoque plus le genre de composition qu'on croise davantage en Belgique que là où poussent les oliviers, mais le plat est délicieux, bien construit et équilibré autour de l'amertume de cette salade, avec une vinaigrette à l'échalote, quelques chips de chou frisé qui donnent une touche de croquant et des oeufs de tobiko, minuscules notes salées et iodées.

Il faut aussi essayer le maquereau grillé, que l'on sert avec des craquelins au cumin et une purée d'aubergine.

En fait, le repas est mieux si on s'en tient à une série d'entrées, parce que les plats principaux sont moins fins. Le poulpe, par exemple, servi avec du piri-piri et de la tomate, n'est pas assez tendre, tandis que le plat d'onglet grillé avec poireau, asperge, ail confit, croquette de pomme de terre et tapenade de tomates séchées et olives vertes est un peu confus et n'ira pas chercher les amateurs de bons steaks classiques.

Au dessert, le beignet servi avec Nutella maison au basilic fait partie de ces desserts costauds très sucrés qu'on aime bien proposer actuellement dans les restaurants conviviaux, mais il a l'immense qualité de sortir des sentiers battus avec cette pommade de noisettes et chocolat aromatisée au basilic. Étrange? Ça marche.

En revanche, le gâteau au citron à l'huile d'olive manque de légèreté et ne goûte pas vraiment l'huile d'olive. Pour faire vraiment méditerranéen - ou plutôt sud-européen -, on aurait aimé que, comme les cuisinières du Pays basque ou de la Catalogne, on en mette pas mal plus, avec du sel aussi pour faire ressortir le goût. Quand une idée est bonne, il suffit souvent simplement de la travailler un peu plus. Ce restaurant pourrait ainsi faire encore beaucoup de chemin. Il est sur la bonne route.

Lea

4922, rue Sherbrooke Ouest, Westmount

514 508-0545

Note: Le restaurant est fermé jusqu'au 12 janvier, à midi.

> Prix: Entrées 13$ à 17$, plats principaux 21$ à 36$, desserts 9$.

> Cartedes vins: Carte soignée avec valeurs sûres et trouvailles, du naturel et du classique. Très bons conseils du serveur.

> Service: Efficace, courtois. Bons conseils pour le vin.

> Décor et ambiance: Visité avant Noël, le restaurant à l'allure moderne chaleureux, dont la déco est signée Zébulon Perron, était plein, rempli de gens du quartier, parfois en couples, parfois entre copains. Atmosphère vivante, donc, pour amoureux de bonne cuisine dans la trentaine et plus.

(+) Belle ambiance, cuisine sur la bonne voie, surtout les entrées

(-) Encore du travail de précision à faire dans l'assiette

On y retourne? Sûrement