Certains la portent pour se rebeller ou par croyance religieuse. D'autres le font parce qu'elle est pratique et à la mode. Regard sur la barbe, une tendance pas si anodine, actuellement au sommet de sa forme.

Tout un symbole

Depuis deux ans, la présidente de l'agence de mannequins montréalaise Specs, Marie-Josée Trempe, observe un engouement qui ne se dément pas. Pour leurs campagnes, ses clients demandent des mannequins barbus. Des mannequins «mâles».

«On cherche des "vrais gars", qui ont l'air d'hommes, qui n'ont plus le style androgyne, presque adolescent», résume la professionnelle de la mode. En 30 ans de métier, elle a vu plusieurs styles et tendances passer. «Mais que les hommes en haut de 25 ou 30 ans aient autant la cote [comme c'est le cas actuellement], je ne m'en souviens pas», confie-t-elle.

L'attrait des barbes finira bien par passer, prévoit Marie-Josée Trempe, qui rappelle que «tout est éphémère en mode». Mais pour l'instant, la barbe vit ses moments de gloire, et personne ne peut dire précisément pourquoi.

Mode ou symbole d'opposition?

Dans son très sérieux ouvrage The Body Social, le professeur d'anthropologie et de sociologie de l'Université Concordia Anthony Synnott consacre un chapitre entier aux poils et aux cheveux. Ainsi, écrit-il, les hippies des années 70 se sont rebellés contre les puritains et les forces armées, entre autres «en portant des perles et des jeans plutôt que des uniformes», «en opposant le symbole de la paix à celui de la cravate» et... en portant les poils longs. Les barbes, comme les cheveux au vent, étaient incompatibles avec les mentons imberbes des soldats ou des professionnels types de cette époque d'après-guerre.

Parallèlement au mouvement peace and love, poursuit le chercheur, les skinheads se sont rasé les poils. À leur tour, ils marquaient leur opposition, au mouvement hippie cette fois. Ils contribuaient aussi au cycle «poilu-non poilu» qui a marqué l'histoire!

Frédéric Hélie-Martel, jeune pharmacien qui porte la barbe longue, fait face à une autre symbolique entourant la barbe. «J'ai des amis qui me font des blagues sur les intégristes, pour rire», lance-t-il avant d'enchaîner, plus sérieusement: «L'été dernier, à Paris, je me suis fait aborder en arabe dans la rue.» Le sympathique incident ne semble pas isolé. «J'ai un ami barbu qui se fait aborder en yiddish quand il va dans le Mile End», confie le Montréalais David Dufresne-Denis, dont l'ami en question apprécie ce genre de situations amusantes.

Par ailleurs, l'affiche de la pièce de théâtre Le prénom, sur laquelle on voyait un bébé arborant la moustache hitlérienne, a causé bien des tensions en 2012, quand une organisation juive a demandé au Festival Juste pour rire de la retirer. Ce type de moustache, en brosse à dents, est aujourd'hui difficilement différenciable des poils du leader nazi.

Une ère «post-métrosexuels»

Pour Marie-Josée Trempe, l'idée d'une barbe comme symbole d'opposition ne semble pas si abracadabrante non plus. «Pendant un certain moment, on ne voyait que des gars imberbes, métrosexuels, qui envoyaient une image de luxe. Ça fonctionnait avec l'économie du moment, qui allait bien», analyse-t-elle. «Puis on a vu le mouvement hipster arriver dans la mode, chez les jeunes, dans la musique, l'art, les restaurants. C'est une tendance qui a un côté plus authentique, plus vrai, moins léché. C'est recherché, mais on ne dirait pas que ça l'est. Et ça concorde avec le contexte économique.»

Comme la présidente de Specs, l'étudiant de deuxième cycle à l'université André Fernandes reconnaît que la barbe, telle qu'il la porte, est à la mode. «Mais de dire que je la porte pour cette raison, ce serait trop facile», avance-t-il. 

Puis il rit. «Il faut dire aussi que j'ai souvent tenté d'avoir des plantes à la maison, sans succès. Alors je me suis dit: si je fais pousser quelque chose sur moi, peut-être que ça va marcher!»

Frédéric Hélie-Martel, lui, voit sa barbe de manière moins théorique. «Au début, je l'ai laissée pousser par paresse, parce que je déteste me raser et que ça rend la peau sèche. Puis, je me suis rendu compte que j'aimais ça», explique-t-il. La mode, poursuit-il, ne l'a pas encouragé à porter la barbe. «Mais ça m'a aidé à me décider à la garder. La barbe est plus acceptée parce que c'est à la mode», nuance celui qui travaille dans un milieu assez conventionnel où l'uniforme de travail, faut-il le rappeler, est un long sarrau blanc. André et lui sont d'accord: la barbe n'est plus «controversée», et elle peut se porter presque n'importe où.

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Négligence ou coquetterie?

Le pharmacien Frédéric Hélie-Martel et l'étudiant de deuxième cycle André Fernandes portent la barbe pour des raisons bien distinctes.

Frédéric, qui avait l'habitude de porter une «moustache chanceuse» pendant les périodes d'examens à l'université, s'est laissé pousser la barbe par paresse. À présent, il avoue la peigner plus souvent que ses cheveux. «C'est du travail. Tu vas plus souvent chez le barbier que chez la coiffeuse», admet-il. Puis, il nuance: «C'est quand même moins d'entretien que de se raser.»

André, à l'inverse, s'est lancé dans «l'aventure de la barbe» avec curiosité. Il y a deux mois, il a décidé de se laisser pousser la barbe pour voir «jusqu'où ça irait». À l'aube de terminer ses études, André considère que son expérience est moins risquée qu'elle ne le serait sur le marché du travail. «Je n'ai pas besoin de bien paraître encore, alors c'est moins grave si c'est un désastre», lance-t-il. «Cela dit, je sais que c'est assez bien accepté, maintenant, dans le milieu des affaires. Je ne sais pas si je vais la raser [quand je vais commencer à travailler], mais je pense que certains gars le font.»

Un seul désavantage

L'ultime avantage, selon André, est de ne plus devoir sortir ses cartes d'identité quand il passe à la caisse à la Société des alcools du Québec. «Sans barbe, c'est sûr qu'on me demande mes cartes, même si j'ai 27 ans!», affirme-t-il. Frédéric enchaîne. «L'hiver, c'est chaud et l'été, je n'ai pas de problème. C'est un bon isolant», croit-il.

Quant au principal désavantage, les deux jeunes hommes sont unanimes. «Quand on mange, la nourriture peut rester prise», disent-ils. Les miettes dans la moustache, faut-il le dire, sont encore loin d'être à la mode.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

André Fernandes et Frédéric Hélie-Martel

Conseils d'entretien

Ceux qui la portent et ceux qui la coupent sont unanimes: une belle barbe, ça s'entretient. Voici les trucs et conseils du barbier Sébastien Barber, afin de pouvoir porter la tendance avec style et élégance.

Hydrater

«L'huile est très populaire», remarque Sébastien Barber. Dans son salon, ce produit se vend comme des petits pains. «C'est bon, mais c'est cher», ajoute-t-il cependant. Sa solution pour une barbe douce et une peau hydratée ? Un bon vieux revitalisant pour cheveux, qu'on applique sur la barbe tous les matins, et qu'on ne rince pas pour davantage de brillance.

Peigner

C'est essentiel, surtout si notre barbe est longue. «Il faut le faire tous les matins avec un peigne dont les dents sont assez serrées», précise le barbier.

Entretenir

Une fois la longueur désirée obtenue, on utilise la tondeuse. Autrement, on rase les poils isolés ou rebelles.

Aller chez le barbier

Malgré les efforts qu'on y met à la maison, des visites régulières chez un professionnel sont recommandées afin de garder la coupe de la barbe à jour. «La fréquence des visites dépend du client et de son talent !», lance Sébastien Barber, qui voit certains hommes toutes les semaines, alors que d'autres viennent une fois par mois seulement.

Bonnes barbes, bad barbes

Le seul fait de porter la barbe ne signifie pas «être à la mode». La pilosité faciale se décline de plusieurs façons, certaines dans l'air du temps et d'autres, non. Voici le palmarès de Sébastien Barber.

BONNES BARBES

La barbe pleine

Elle est taillée, mais plus longue que «la barbe de trois jours». Elle est assez haute sur les joues et commence juste en haut de la pomme d'Adam. L'exemple de Sébastien: le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair. «Il a une belle barbe, quoiqu'elle ne soit pas assez manucurée. J'aimerais bien lui faire la barbe!», dit-il.

La barbe hipster

Sébastien l'appelle aussi la duck tail ou «barbe Nicolas II», en référence au dernier empereur de Russie. Elle est assez longue et légèrement pointue, ce qui lui donne une forme somme toute triangulaire. «Elle est très populaire», observe le barbier, qui la voit parfois combinée avec une moustache aux extrémités recourbées avec de la cire.

La boxing beard

Elle est longue, mais taillée de manière plus carrée. C'est la barbe des «lumbersexuels», selon Sébastien. Le dernier adversaire de Georges St-Pierre, Johny Hendricks, la porte, mais ce type de barbe est tout aussi acceptable hors des rings et des octogones. L'acteur Jude Law l'a déjà essayée, après tout.

BAD BARBES

Le collier

Cette mince ligne de barbe qui suit la mâchoire est dépassée, mais pas pour tout le monde, précise le barbier. «C'est encore très tendance chez les Noirs. Leur poil est plus frisé et ça donne un plus beau résultat», avance-t-il. À l'inverse, le contraste entre la couleur du poil et celle de la peau est trop marqué chez les Caucasiens, et le résultat en souffre. Le boxeur Jean Pascal fait partie de ceux qui portent bien la tendance, selon Sébastien.

La barbe trop basse

Sébastien l'associe au «vieux style à l'anglaise». Elle ne monte pas assez haut sur les joues, car sa partie supérieure est rasée là où elle ne le devrait pas, à son avis. «La barbe [de premier ministre] de Philippe Couillard, par exemple, n'est pas assez montée, et c'est moins tendance», affirme-t-il.

Les favoris épais, le fer à cheval et la «mouche»

Fini, l'allure Charles Darwin avec d'épais favoris qui encadrent le visage. «On les préfère dégradés, de plus en plus minces à mesure qu'on approche de la barbe», explique le barbier. La mouche, cette minuscule parcelle de barbe dans le creux du menton, sous la lèvre, a elle aussi fait son temps. «Je n'en fais plus», tranche Sébastien. Quant au fer à cheval, mieux vaut laisser au lutteur Hulk Hogan le plaisir unique de le porter.