Je suis allée dans ce restaurant de la rue Amherst alors que le printemps maussade nous déversait des torrents d'eau glacée sur la tête, et que les terrasses n'étaient qu'un lointain fantasme. J'y ai trouvé ce qui s'approche le plus d'une belle soirée d'été.

Agrikol est un projet du couple Win Butler-Régine Chassagne (originaire d'Haïti), du groupe Arcade Fire, mais c'est aussi beaucoup le restaurant de leurs associés Jen Agg, restauratrice-vedette de Toronto, et son mari, l'artiste haïtien Roland Jean. La filiation avec les tables ontariennes de Jen Agg est évidente. Comme au Black Hoof, au Rhum Corner et, dans une certaine mesure, au Grey Gardens, l'ambiance fait partie intégrante de l'offre.

On n'est pas dans un bar où le menu joue les faire-valoir, sans autre ambition que de vous garder à boire plus longtemps. Mais le désir de plonger les clients dans une ambiance animée et festive est manifeste. Depuis la mezzanine bordée d'une balustrade en fer forgé, avec vue sur les tables du rez-de-chaussée et sur la spectaculaire murale haute de deux étages, on se croirait au balcon d'une cour intérieure, dans un de ces établissements populaires typiques du Sud. Chaud!

La carte est courte et efficace. Oui, c'est de la cuisine des Antilles, avec des plats en sauce, du riz, des légumineuses et de la banane plantain - bref, de quoi tenir la faim à distance.

Cependant, pas mal tout ce que j'ai goûté ici était savoureux et maîtrisé. Les plats sont bien relevés sans pour autant court-circuiter les papilles, les fritures arrivent brûlantes et bien croustillantes.

Les bananes pesées (plantains frits), joliment dorées, sont les meilleures que j'ai croisées à Montréal. Parfait pour grignoter avec l'apéro et, si vous êtes chanceux, vous les reverrez en accompagnement d'un des plats principaux que vous aurez commandés. Par contre, il faut savoir que les acras, qui figurent également dans la section des petits plats, ne contiennent pas de poisson. Cette version haïtienne est plutôt à base de malanga, un tubercule des Antilles. Le résultat est plus lourd et dense que les beignets à la morue qu'on voit partout - un peu trop pour être mangé seul en entrée.

Dans la section des «grands plats» (principaux), le griot est incontournable. Ces cubes d'épaule de porc longuement braisés avant d'être frits, fondants à coeur et joyeusement caramélisés en surface, sont absolument délicieux.

Le lambi (conche) est aussi intéressant à essayer, d'autant qu'on n'en rencontre pas dans beaucoup de menus. La chair apprêtée avec des crevettes dans une succulente sauce est très tendre, sans la raideur ou le caoutchouteux qu'on pourrait redouter chez ce gros mollusque.

Si les acras ne contiennent pas de poisson, le plat appelé «maïs moulu et légumes», lui, recèle une belle portion de boeuf servie sur de la polenta très dense. Les épices et les chairs sont parfaitement fondues dans la sauce. Avec le concours de la polenta, il n'en est rien resté.

Le poulet à la noix de cajou est tendre et les noix ne font pas de la figuration, mais cette préparation est moins étonnante que les autres plats essayés ici. Le «riz avec pois» qui la soutient, par contre, vaut le détour. Sous des dehors humbles, cet accompagnement à base de riz, de haricots noirs et de pois rouges cuit dans un bouillon de porc est plein de relief, moelleux sans être pâteux et vibrant de saveurs.

Les desserts sont de même intensité. Les beignets cuits à la minute sont arrivés tellement chauds qu'il a fallu patienter. La pâte aérienne était bien colorée et la sauce à la goyave qui l'accompagnait, acidulée et pas trop sucrée, offrait un contraste bienvenu avec la friture.

Le pain patate, une épaisse tranche de gâteau à base de patate douce, est arrosé d'une riche sauce au rhum égayée de petits raisins qui n'ont plus rien de secs, puis poudré de sucre à glacer et coiffé d'une houppette de crème fouettée. Redoutable.

Photo André Pichette, Archives La Presse

La carte est courte et efficace. Oui, c'est de la cuisine des Antilles, avec des plats en sauce, du riz, des légumineuses et de la banane plantain - bref, de quoi tenir la faim à distance.

Agrikol. 1844, rue Amherst, Montréal. 514 903-6575 (pas de réservations). agrikol.ca

Notre verdict

> Prix: de 5 à 13 $ pour les petits plats, de 16 à 20 $ pour les grands plats, 9 $ pour les desserts.

> À boire: surtout du rhum (en ti-ponch, avec du cola, nature ou en cocktails), quelques vins (deux blancs, deux rouges, un rosé, une bulle), trois bières.

> Service: très chouette, mais inégal. Bien qu'il n'y ait que deux blancs au verre, j'ai eu toutes les misères du monde à me faire dire lesquels lors d'une de mes visites.

> Décor, musique et ambiance: résolument à la fête, niveau sonore élevé inclus. Très jolie terrasse en été.

Plus: Des plats haïtiens servis dans une atmosphère plus proche de celle d'un bar que d'un traditionnel restaurant de cuisine familiale.

Moins: Un éclairage très tamisé très tôt au balcon, au point de rendre le menu difficile à déchiffrer.

On y retourne? Assurément.

Photo André Pichette, Archives La Presse

On n'est pas dans un bar où le menu joue les faire-valoir, sans autre ambition que de vous garder à boire plus longtemps. Mais le désir de plonger les clients dans une ambiance animée et festive est manifeste.