Chaque fois que je découvre une petite table sympathique dans un quartier qui n'est pas le mien, ce sont ses voisins que j'envie. Un resto abordable qui propose une cuisine personnelle et bien faite à distance de marche contribue pour beaucoup à la qualité de vie d'un quartier. Et ces temps-ci, c'est le voisinage de la rue Masson, où le Rose Ross a accroché son enseigne, que j'envie un peu.

L'endroit doit son nom à l'arrière-grand-mère de l'une des deux chefs propriétaires, Myriam Pelletier, qui a ainsi voulu rendre hommage à la cuisine de ces femmes qui ont nourri des générations entières sans bénéficier de la reconnaissance qu'on accorde aux chefs. «En plus, elle a tellement un nom de rock star!», s'enthousiasme Mme Pelletier, qui a notamment travaillé chez Toqué! et en France avant de bifurquer vers le stylisme culinaire. Son conjoint Sébastien Courville, jusqu'à récemment chef au Robin des Bois, et un troisième actionnaire, Olivier Dubuc, sont aussi de l'aventure.

Le menu annonce des choix familiers, comme un tartare de deux saumons, des acras de morue, un demi-poulet de Cornouaille ou une assiette boudin-purée-pomme, mais aussi pas mal de propositions qui piquent la curiosité.

La carbonara d'oignons, avec des pétales d'oignons en guise de pâtes, s'annonce comme une entrée sans gluten, mais pas besoin de fuir la protéine du blé pour y prendre plaisir. Nappées de sauce à base de jaune d'oeuf et de crème, et parsemées de dés de bacon et de copeaux de parmesan, ces lamelles d'oignon al dente offrent une heureuse variante de la classique carbonara italienne. Un peu plus de sauce et cette entrée aurait été parfaite.

Plus classiques sans pour autant être banals, les pétoncles saisis à la perfection étaient servis avec une purée de chou-fleur extrêmement soyeuse, et arrosés d'une vinaigrette lime et bacon bien dosée - où l'agrume reste discret et le bacon est bien présent sous la dent.

L'originalité est aussi une affaire de contexte. Plat traditionnel du répertoire québécois, le porc avec ses «p'tites patates jaunes» devient une curiosité sur le menu d'un jeune resto urbain. La traditionnelle longe ou épaule est ici remplacée par de l'échine, pour notre plus grand bonheur. Accompagnée d'un savoureux jus de cuisson, la chair, tendre à coeur et joliment caramélisée en surface, est un pur délice. Les cubes de pommes de terre Yukon Gold cuits dans le jus de cuisson de porc sont fondants à souhait. Et si, par atavisme ou par gourmandise, vous craignez de manquer de pommes de terre, le colcannon proposé en accompagnement devrait achever de vous réconforter. Empruntée au patrimoine culinaire irlandais, cette purée moelleuse parsemée de fragments de chou est servie ici gratinée dans un plat brûlant. Une doudou pour l'âme comme pour le palais.

Même la morue servie avec du riz, proposition sage s'il en est, a réussi à nous surprendre. Au premier coup d'oeil, le riz garni de chou et de filaments d'oignons frits semblait un peu égaré aux côtés de cette morue en croûte d'épices inondée de caramel de tomate. Le poisson, heureusement, était cuit à point et sa sauce mêlée aux épices, très savoureuse. Et ce riz un peu collant, tout à fait savoureux lui aussi, s'entendait très bien avec le reste du plat.

Deux desserts figuraient au menu le soir de notre visite. Le petit gâteau individuel cuit dans une tasse est à la mode dans les cuisines familiales, et le pudding au caramel coiffé de labneh (yogourt pressé), qui nous est arrivé presque bouillonnant après avoir légèrement débordé à la cuisson, aurait fait belle figure dans un blogue ou un magazine. Ce dessert tout simple, délicatement parfumé de cardamome, a disparu en un clin d'oeil.

Par contre, je ne sais pas ce qu'aurait dit Mme Ross de l'autre dessert qui s'est rendu à notre table. Ma propre grand-mère, qui n'avait pas son pareil pour la pâte à choux, n'aurait jamais servi une pâtisserie aussi sèche. Dommage, car cet énorme chou servi avec une crème anglaise infusée à la lime kéfir pour faire «comme une tarte au citron» est une belle idée.

Vous l'aurez compris, «sympathique» ne veut pas dire «parfait». Nos entrées auraient mérité d'être plus chaudes, les plats principaux se sont fait attendre. Et je cherche encore ce que les tranches de pomme crues et les dés de cheddar font sur l'échine de porc aux patates jaunes - faciles à écarter, ils ne nuisent en rien, mais ils n'ajoutent rien non à cette composition qui, elle, est parfaite dans sa simplicité. Rien de tout cela, toutefois, n'a pu ternir l'impression d'ensemble - celle d'une cuisine qui se donne la peine de bien faire les choses, servie par un personnel efficace et attentionné.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

L'assiette de boeuf braisé au vin rouge avec velouté de brocoli, oignons perlé, brocoli et champignons.

Rose Ross, 3017, rue Masson, Montréal, 514 379-1900, www.roseross.ca

Notre verdict

Prix: Entrées de 8 à 15 $, plats de 19 à 25 $, desserts à 8 $. Brunchs intéressants de 14 à 18 $.

Carte de vins: Sélection un peu courte, mais à prix raisonnable, presque entièrement en importation privée.

Service: Efficace et attentionné.

Lieu: Décoration épurée qui, par des choix judicieux (murs clairs, tables et chaises noires, banquette en bois naturel), fait oublier la configuration toute en longueur de ce local typiquement montréalais.

Plus: Un resto de quartier qui propose une cuisine personnelle et soignée.

Moins: Quelques imperfections ici et là, rien d'irrémédiable.

On y retourne? Oui, et aussi pour le brunch.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE