Dans le fond du restaurant Damas, dans le nouvel espace de l'avenue Van Horne, il y a un plan de la capitale de la Syrie. Comme tout voyageur, on le parcourt en imaginant les ruelles bordées d'échoppes et de boutiques en tous genres, les souks, le chant lancinant et périodique des appels à la prière. On s'imagine le soleil, la chaleur, la poussière, les couleurs vives des bougainvilliers, les cris des enfants dans les cours d'école et le bruit des klaxons.

Et puis on pense à la guerre. À tous ces Syriens qui ne mangent plus de kibbé, de labneh ensemble, qui ne partagent plus le thé à la menthe par de longues soirées d'été si calmes une fois la lumière estompée.

Ici, on est bien loin de l'horreur du conflit qui ensanglante la Syrie, mais lorsqu'on entre dans un lieu qui s'appelle Damas, comment ne pas avoir au moins une petite pensée pour les victimes, pour ceux qui fuient l'horreur, pour les proches de ces Syriens-Montréalais venus ici et partageant avec nous maintenant les saveurs de leur enfance. Comment ne pas penser à la chance qu'on a, ici, d'être dans un pays en paix.

Surtout que dans le restaurant d'Outremont du chef propriétaire d'origine syrienne Fuad Alnirabie, on rend un bel hommage à la culture culinaire syrienne, à sa fraîcheur, à sa lumière, à ses saveurs riches, profondes. À tout ce qu'elle a à offrir et nous raconte sur le reste de ce peuple en berne.

On commence le repas, par exemple, avec une salade fattouche multicolore qui résume l'été avec ses poivrons croquants de toutes les couleurs, ses radis bien frais, tomates, concombres, abondance de persil et de menthe fraîche. On aime le jus de citron qui illumine le plat, le piment d'Alep qui sublime les saveurs, la grenade et sa douce acidité, le croquant du pain pita grillé qui coiffe simplement la présentation à côté d'un bouquet de feuilles de menthe.

On en ferait un repas. Surtout si on l'accompagne d'une joyeuse assiette de muhammarah, cette mixture de poivron grillé, de mélasse de pomme grenade, de chapelure et de jus de citron, que l'on sert avec des noix et de l'huile d'olive et qui se dévore à l'aide de pain pita tout fraîchement sorti du four, tendre et gonflé comme un ballon...

La salade de poulpe grillé est réconfortante et réjouissante elle aussi. La chair du céphalopode est tendre, cuite sur le feu, dans le fond du restaurant. Si l'on s'assoit au bar, on peut observer les cuisiniers à l'oeuvre. On la dépose sur une salade tiède à la coriandre, avec de la tomate, de l'oignon. Là encore, c'est la Méditerranée qu'on goûte dans l'assiette. Les fans - comme moi - de la cuisine du chef britannique d'origine israélienne Yotam Ottolenghi se retrouveront allègrement dans ces assiettes. De la joie pure à déguster à la fourchette, sur la terrasse, par une belle soirée montréalaise de septembre, paisible et encore bien douce.

Car le nouveau lieu où s'est installé Damas, après l'incendie du local de l'avenue du Parc, est tranquille, à l'abri des hauts cris dans un secteur somme toute plutôt résidentiel. On est à l'angle de Van Horne et Bloomfield, en face des Fillettes et du nouveau Provisions, dans un espace jadis occupé par Les Chèvres. Vous vous rappelez? Depuis ce temps, plusieurs restaurants ont essayé de faire les lieux, sans succès. On parie que Damas réussira, lui, à relever le défi.

Ouvert depuis cet été, il est déjà plein. Voire un peu bruyant malgré les étoffes tendues au plafond. La décoration est beaucoup plus moderne que dans l'ancien local. On joue avec des motifs moyen-orientaux, mais on les décline en bois, en tuiles, en faux plafond ajouré, en systèmes de rangement pour le vin, sur les tabourets au design minimaliste. Entre le bois blond et les murs tout blancs, l'esprit des Mille et une nuits se donne presque des airs scandinaves.

Le repas se poursuit et une copieuse assiette de jarret d'agneau confit arrive sur la terrasse. La viande, cuite dans le beurre clarifié, servie avec du riz et des noix, fond dans la bouche, doucement, à peine ponctuée par l'acidité de la sauce au yogourt... On cherche peut-être un peu de piment, de piquant pour structurer les bouchées tellement le plat est riche, moelleux. Mais ce n'est pas le but de cette assiette réconfortante. On reviendra s'en régaler en hiver, quand on cherchera du soleil dans chaque plat.

Au dessert, la déception de ne plus trouver la glace à la pistache fraîche au menu - jadis la meilleure en ville - est apaisée par la joie de découvrir celle au baklava et à la fleur d'oranger. Dans la crème glacée hyper onctueuse, on retrouve à la fois la note exotique du néroli et le croquant de petits morceaux de pâtisserie. Sublime création, à ne pas rater.

Damas

1201, avenue Van Horne

Montréal

514 439-5435

restaurant-damas.com

> Prix: Entrées, mezze, à partager, entre 9$ et 23$. Grillades et plats principaux à partager entre 26$ et 45$.

> Carte de vins: Liste courte, mais bien montée avec des vins peut-être pas syriens, mais méditerranéens, grecs notamment et quelques crus libanais de la Bekaa fort intéressants. Ou alors on prend un verre de raki?

> Atmosphère: Décor lumineux, aéré, avec beaucoup de blanc, de rouge et de jolies interprétations modernes des motifs moyen-orientaux. Le lieu est fort fréquenté et bruyant, mais la terrasse qui longe la façade, avenue Bloomfield, est juste parfaite pour les derniers beaux jours.

> Service: Efficace et attentionné. Seul bémol: la gestion des réservations. Il est difficile d'avoir une place parce que le restaurant est populaire, c'est vrai, mais une fois rendu, on réalise que de nombreuses tables restent vides, longtemps, tout comme les places au bar, présentées comme un plan B alors que c'est fort agréable.

(+) La qualité des plats, de cette cuisine remplie de saveurs et de soleil.

(-)  La gestion des tables

On y retourne? Oh oui!