La Maison June Rose, la nouvelle table que les propriétaires du restaurant Big in Japan et du bar Big in Japan ont ouvert à l'automne dans l'ancien Ginger, à deux pas de leurs deux autres adresses, n'offre pas le genre de cuisine qui nous jette à terre parce qu'à ce point précise et savoureuse. Mais elle est vraiment pas mal, et le décor, qui donne l'impression de remonter dans le temps en plongeant dans une Chine façon In the Mood for Love ou même un peu Lotus bleu, l'accueil, la trame sonore rétro, la formule tapas chinoises à volonté à prix fixe, le soin que l'on a mis en somme pour inventer ce lieu créent une expérience inédite à Montréal.

Cette maison est un de mes coups de coeur de 2015.

J'ai aimé la double banquette de cuir où je me suis enfoncée en buvant de la Tsingtao, les 211 lampions suspendus au plafond qui donnent au restaurant toute sa personnalité. J'ai aimé les murs rouges et le grand bar central de bois laqué très noir, très brillant, tenu par des dragons, le paravent ajouré artisanal qui protège l'entrée de la cuisine, j'ai aimé le tableau de June Rose, grand-mère de l'un des propriétaires. J'ai même apprécié le verre de limoncello qu'on nous a offert à la fin du repas. En fait, ce n'est pas tant le limoncello qui m'a plu que l'idée de traîner au bar un peu plus longtemps, l'invitation à occuper le lieu comme un lounge autant qu'un restaurant.

Et puis, j'ai surtout adoré l'originalité de la formule créée par André Nguyen, Monsieur Big in Japan, j'ai aimé sa nouveauté.

Ici, on n'est pas chez les néo-rustiques et leurs têtes de cerf empaillées, ni dans un bistro réinventé, ni dans un restaurant chinois traditionnel - sans décor , ni dans un lieu post-industriel aux ampoules nues. On est ailleurs, dans un univers qui puise ses textures et ses couleurs dans les origines asiatiques des propriétaires, mais conjugue ces influences de façon résolument actuelle, qui les célèbre.

Ceux qui ont déjà fréquenté le légendaire Formosa Cafe à Los Angeles y retrouveront peut-être une humeur encore défendue par le restaurant chinois hollywoodien mythique, tout comme les adeptes du tout nouveau Mission Chinese Food new-yorkais pourraient voir dans la Maison June Rose non pas une équivalence de goûts, malheureusement, mais au moins une posture semblable avancée par de jeunes restaurateurs bien nord-américains, mais heureux de mettre de l'avant leurs références familiales.

La formule de la Maison est donc simple. On paie 25$ par personne et on commande tout ce que l'on veut. Les plats sont petits. On module donc la commande au fur et à mesure. On choisit petit à petit.

En entrée, la soupe de poisson à la texture légèrement gélifiée réchauffe et réconforte. On la commande en même temps que des légumes marinés, qu'on aimerait peut-être garder pour ponctuer d'autres plats de leur croquante acidité. Le porc croustillant est lui aussi très salé, costaud. Deux gros morceaux de ventre tranchés épais, caramélisés, un peu durs. On imagine aisément ce plat dans une cabane à sucre.

Le plat d'aubergines et de porc braisé haché est franchement réussi. Le légume est fondant, gras, décadent, bien agencé avec le granulé de la viande. Le plat de champignons oreilles du diable au vinaigre noir, une sorte de salade de champignons où l'acidité finit par tout dominer, s'avère moins heureux.

Les nouilles de Singapour au curry, donc relevées, s'affirment avec un peu plus de complexité, plus peaufinées, tandis que le mini-plat de pâté chinois fait sourire, gentil clin d'oeil à la délicieuse absurdité du nom de cette création québécoise.

On finit le repas par des rillettes de canard, servies sur des craquelins de farine de riz. C'était de trop pour mon appétit, mais néanmoins riche et amusant. Là encore, on marie les influences françaises et chinoises, on joue avec les références. Et ça fonctionne.

Au dessert - pas inclus dans le prix du «buffet» , le pouding au tapioca et à la pomme grenade marche plus ou moins. La texture du tapioca demeure un des grands bonheurs de la cuisine ménagère, mais si l'idée de le marier avec la grenade semble bonne sur papier, elle fonctionne moins bien en réalité. Le contraste acide détonne au lieu d'amuser. On préfère les chaussons au sésame, petites boules de pâte à la texture rebondissante franchement sympathique farcies d'une pommade de fèves rouges sucrée. Ce n'est ni léger ni rafraîchissant en fin de repas. Mais tout à fait réconfortant.

On conclut au cognac ou au thé au jasmin, en découvrant que les quartiers d'orange qu'on a apportés sont en fait des trompe-l'oeil de gelée d'agrumes.

Amusant.

Maison June Rose

16, avenue des Pins Est, Montréal

514 439-7054

> Prix: 25 $ pour le repas à volonté, 20 $ entre 16 h et 18 h et après 22 h. Desserts facturés en sus.

> Carte des vins: Très courte, mais finement composée, très italienne. Prix raisonnables. On peut presque tout prendre au verre. Bière asiatique. Cocktails façon tiki.

> Décor et ambiance: C'est vraiment la première qualité de ce lieu. Des murs très rouges, un bar de bois laqué très noir. Des lanternes suspendues qui donnent à l'espace un caractère romanesque, façon un peu Tintin, un peu Wong Kar-wai, un peu Tarantino.

> Service: Chaleureux, attentionné, efficace.

(+) Le concept chinois néo-rétro cool franchement original, qui dépayse dans un univers montréalais où beaucoup de nouveaux restaurants finissent par trop se ressembler.

(-) La cuisine pourrait être plus parfumée, plus relevée, plus précise.

On y retourne? C'est sûr!