Ce qu'il y a de réjouissant (ou d'alarmant) dans les restaurants d'aujourd'hui, c'est qu'il n'y a plus de style dominant. Il y a du brut ou de l'ultraraffiné et, entre les deux, toutes les combinaisons possibles et imaginables.

Prenez ce nouveau temple mondain du Village, tout blanc, tout tendance Suède ou Chelsea, fréquenté par les habitants du quartier - permanents ou éphémères - et qui doit son existence à son décor et à son atmosphère. Laquelle est amplifiée par une chaîne audio aux basses persistantes et par deux écrans géants sur lesquels on projette des films, ce soir-là des extraits de film de James Dean et de Brando, icônes typiques pour le quartier. Mais se nourrit-on de gracieuses murales?

Qu'est-ce qu'il y a dans l'assiette? On peut dire qu'il y a, certes, un effort louable côté technique et complexité des compositions, dans la manière aussi; c'est assez joliment disposé, ça pourrait être très bon.

La plupart des plats au menu sont convenus; on les a vus chez tous les branchés de la terre (confit de canard, tartare, sauce à la noix de coco, tataki, tempura, tomates et mozzarella, betteraves et chèvre, etc.). De plus, ils sont faits avec des produits silencieux, souvent hors saison, qui n'expriment pas leur caractère. Bref, la cuisine du NüVü manque d'aplomb et de percussion. Elle suscite peu d'émotions.

Persistant dans le monde des apparences, on sert cette nourriture sur de fines ardoises comme pour accentuer la différence entre le monde hyper technique du lieu et les éléments plus grunge de la matière. Cela met aussi en évidence le chic d'une certaine cuisine prolétarienne. De l'effet, et pas toujours des meilleurs. Si vous aviez le malheur d'accrocher votre fourchette sur la surface, vous risqueriez de grincer sérieusement des dents, comme un coup d'ongles sur un tableau d'école.

Ce menu propose des plats en version tapas, en formule (9 petits plats pour 60$) ou à l'unité, ce qui nous paraît plus circonspect. Servi dans une assiette minuscule, l'artichaut est mariné (il n'est pas frais) avec de petits trognons de chorizo et un soupçon de pecorino, et on le nappe d'un trait d'huile et de miel parfumé à la truffe. Sur le coup, c'est un peu étrange, cette composition, mais en fin de compte, on aime bien l'association à la fois douce et rustique.

Le tartare de boeuf servi en portion d'entrée (minuscule et facturé 14$) est coupé au couteau, assaisonné juste ce qu'il faut de pimenté, d'acidulé, mais avec un petit goût de frigo qui persiste et qui gâche un peu le plaisir.

En plat, les pétoncles géants (cinq) sont présentés en déclinaison sur deux assiettes rectangulaires blanches: les premiers sont poêlés et déposés sur une purée de pommes de terre et de petits pois bien verte, qui manque de sel, et les seconds sont frits, en tempura, et sont grassouillets (la pâte est molle et sans saveur). Ils sont nappés d'un trait de mayonnaise. Le mélange n'est ni très heureux ni très original. Cela se mange aussi sans conviction, laborieusement, comme un sourire forcé.

La volaille de Cornouaille (élevée à Joliette, nul doute) apparaît plus complexe, mieux maîtrisée dans la cuisson. Coupée en deux, elle est grillée à point et même si elle n'a pas beaucoup de parfum, on la sert sur une sauce à base de yaourt et de coriandre fraîche, qui lui sert de contrepoint. On l'accompagne d'une salade de tomates cerises et concombre, façon panzanella avec des petits bouts de pain sec et grillé. Et encore, quelques frites servies dans un verre (et plutôt molles)!

Pour finir, nous ne sommes pas excités par les douceurs, trop chocolatées, riches ou courantes (tiramisu, mousse, crème caramel). Nous choisissons l'unique cas sorti du lot: un cannelloni au sésame, fourré d'une crème trop dense au mascarpone ponctuée de pépites de chocolat, et présenté avec la «gimmick» de notre temps, une verrine aux petits fruits (hors saison) parfumée avec lourdeur. Bof!

C'est vrai que ce resto n'est pas fait pour les critiques gastronomiques ni les délicats du palais. En revanche, il est parfait pour ceux qui ont envie de paraître joliment dans cet éclairage digne des Oscars!

NüVü

1336, rue Sainte-Catherine E.

514-940-6888

Prix: assez délirants pour le genre. Entrées de 8 à 29$, plats autour de 30$, desserts à 9$, vous sortez avec une addition moyenne de 160$ à deux, taxes et service compris. Et encore, vous n'avez fait aucune folie.

Vin: Carte courte et déjà vue 1000 fois. Quelques choix au verre (une dizaine au total) à des prix... houla! Un Sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande vendu autour de 24$ à la SAQ est facturé 10$ le verre. En principe on en fait cinq par bouteille, faites le calcul.

Service: Sympathique, gueule de star, barbe de deux jours, coupe de cheveux et coiffure au ras de la mèche, costume Dubuc, elle a de l'allure, cette brigade vêtue de noir.

Faune: Surtout masculine. Vraiment stylée, habillée, bien mise, policée, gominée, signée, cadrée, qui pianote sur son iPhone, ivre d'elle-même, vous voyez le genre?

On y retourne? C'est la question à 160$ (comme l'addition): quand on sait qu'on peut caracoler chez les grands au même prix...

+ Le décor spectaculaire

- Mis à part tout le reste? Une salle de bains étriquée (et mixte) sans intimité