L'homme-clé du Pagliaccio, ce beau restaurant classique habilement décoré pour avoir l'air moins grand qu'il n'y paraît, avenue Laurier Ouest, se nomme Manuel. Il n'est pas italien, mais il a passé sa vie dans l'une des très grandes tables italiennes de Montréal, le Latini, et en a manifestement retenu plusieurs leçons: favoriser - toujours - des produits frais. Ensuite, ne pas faire de compromis sur la qualité des produits, tant les pâtes que les condiments, les sauces ou les vins. Puis, ne pas se soumettre aux diktats de la mode. On le comprend, à Outremont, elle n'a pas bonne presse. On lui préfère la subtilité et la finesse de la vieille bourgeoisie tranquille un brin coincée, plutôt que le régime tapageur de la banlieue qui, lui, encourage l'ostentation.

Deux façons de voir le monde, je suppose. Et deux façons de se nourrir. La première préfère les plats connus, la cuisine sage, sans effets, elle n'en a pas besoin. La seconde veut de l'expérience, du pétaradant, des paillettes presque.

Pagliaccio, donc, s'adresse surtout à ses voisins. Qu'ils soient rassurés, la cuisine ici n'a rien de tumultueux. Aucun ingrédient inconnu qui bouleverserait l'idée que l'on se fait d'une cuisine parfaitement bien faite, précise et incontestablement italienne. Des pastas, des plats de viande rapidement préparés, avec peu ou pas de sauce, un trait d'huile, un jus court et dense, un peu de légumes verts, croquants, des rapinis, des asperges peut-être quand arrivera le printemps. Ici, tout goûte comme cela doit goûter quand on ne maquille rien, quand on laisse parler les aliments, et quand ils sont de qualité. Une cuisine bavarde pour laquelle ce Pagliaccio mérite bien qu'on s'y arrête justement pour ça. Vous ne serez pas déçus.

Mises en bouches

On nous apporte des petites mises en bouches excellentes et bien grasses, des sortes de grissini au Parmigiano tellement bons qu'on s'en ferait une assiette complète. Gare au foie après ça! On poursuit avec une salade tiède de betteraves coupées en dés et nappée d'une superbe huile d'olive, un peu de zeste de citron sur tout ça, mais à peine. Et un beau morceau de burrata bien fraîche et laiteuse pour l'accompagner, vous savez ce fromage mou qui rappelle un peu la mozzarella di buffala (mais qui est préparée à partir de lait de vache au printemps seulement) et qui explose presque tant il est rempli de substance crémeuse. C'est une curiosité, mais c'est surtout une rareté. C'est aussi une véritable orgie de blanc de toutes les nuances et ça fait une splendide entrée.

Quelques jours plus tard, il n'en reste plus, nous choisissons donc de la mozzarella qui remplit ce rôle avec moins de panache, c'est vrai, mais qui escorte fort bien la betterave. Sinon, l'aubergine parmigiana, un classique de la cuisine méridionale italienne, un plat en couches, de l'aubergine bien humectée et poêlée, de la sauce tomate et enfin du fromage. La version qu'on nous propose est cerclée et donc embourgeoisée, servie en portions modestes, d'une élégante finesse: l'aubergine est caramélisée, la sauce tomate est courte et candide.

En plat, nous avions envie de choses absolument primaires, des pâtes à la sauce tomate, qu'on aurait nappées d'un trait d'huile. On nous a proposé des gnocchis, ils étaient fondants, goûtaient un peu ces notes légèrement terreuses que leur apporte la fécule de pomme de terre, et on les nappait d'une sauce aux tomates fraîchement sautées. Un brin de poivre noir frais, un peu de parmesan râpé, et le tour est joué. Nous avions là la substance primordiale incarnée. Un autre jour nous avons pris des penne, ou un bar sauvage grillé, ou encore une petite côte de porcelet de chez Gaspor, taillée dans le carré, pas très grosse comme portion, mais si délicieusement apprêtée.

Dessert prévisible, ou très chocolaté, ou très caramel ou même un petit riz à l'impératrice, vanillée tout élémentaire.

Pagliaccio

365, av. Laurier O., Montréal

514-276-6999

Prix: Ce n'est pas donné, vous vous en douterez. La bonne cuisine coûte cher. Mais au bout du compte, comme c'est bon, limpide, ça vaut les entrées autour de 10$, des pâtes à 17$, des plats de viandes ou de poisson à 35$... et la facture un peu salée de 170$ à deux, taxes et services compris et quatre verres de vin: ça les vaudra si vous voulez vous payer la traite.

Faune: Ici, le casting est plutôt tranquille, petits bourgeois qui aiment surtout la discrétion, les fourrures, etc. Les portables sont silencieux. Tout le contraire des boîtes branchées. Ça fait du bien!

Décor: Intéressant dans sa manière d'étriquer plutôt que d'étirer l'espace. Des couleurs austères, un brin sombre, du bois et de la brique rouge, un long escalier qui monte au deuxième.

Service: Discret, pas spécialement attentionné.

Vin: La carte n'est pas celle d'un grand resto, et les prix ne sont pas donnés, mais vous trouverez tout de même des choses inédites et le personnel vous guidera assez bien.

+ On fait ici le genre de repas dont on n'a pas à se préoccuper, il court tout seul. C'est si facile!

- Aucune formule ni table d'hôte qui permettrait de soulager un brin la note.

On y retourne? Assurément, surtout lorsqu'il y a de la burrata bien fraîche. Sinon pour se rassurer sur l'état de la cuisine italienne classique, qui a encore un bel avenir devant elle.