On parle parfois de restaurants de genre et d'ambiance, en voici un. Les enfants terribles, avenue Bernard à Montréal, a dû être ainsi baptisé parce que sa patronne aimait bien la tragédie de Cocteau. On s'en rend compte aussi grâce à la graphie qui sert d'annonce au lieu et qui reprend la couverture de la première édition du roman jeunesse de l'auteur. Or, ce n'est pas de tragédie qu'il est question ici, dans ce resto à l'ambiance noir et blanc, qui évoque la brasserie parisienne, ses éclairages, son grand zinc central, sanglé par des murs de bois aux reliefs asymétriques. Ce midi, c'est plein à craquer. Ce soir, encore plus. Le service semble même un peu éméché, les cuisiniers se présentent en salle en bermuda et tablier blanc (souillé), les plongeurs se frayent un passage avec les bacs à vaisselle, on n'a strictement rien à cacher!

 

On trouve quoi dans ce resto de jeunes notables? Des plats un brin étriqués, qu'on dirait d'institution avec leur défilé traditionnel, sages, sans grande originalité, mais qui ont une réelle qualité de précision. Même si ça manque un peu de relief et de surprise. Mais bon! On n'a pas toujours envie de cuisine moléculaire ou de déconstruction, de ces soupes en éprouvettes, des anagrammes de flétan ou de ces glaces aux haricots verts.

La carte, ici, est traversée de tradition. Et il nous prend parfois l'envie d'une grillade toute simple, d'un oeuf au plat ou d'une salade simple et dénudée. C'est dans ces cas-là qu'on vient ici: pour la mémoire d'une certaine cuisine qui passait autrefois pour celle des nantis et qui est devenue celle des aînés: des tartares, de la bavette, du saumon grillé, avec quelques petites choses un peu plus prolétaires comme le pâté chinois et les macaronis au fromage. La jeunesse dorée d'Outremont (célibataire, dirait-on) compose la majorité de la clientèle de soir qui semble ravie de se parler haut et fort, dans le creux de l'oreille - elle n'a pas le choix, du reste.

Au menu, nous évitons les lieux communs de ce genre d'endroit et préférons rester le plus près possible du produit. La salade toute simple est en effet tellement simple qu'elle en est désarmante. La petite émulsion versée sur quelques feuillages, jetés ici et là, est un peu sucrée et n'est pas mélangée. La première bouchée est saturée de gras, le reste des feuilles ne sont pas nappées. Le gaspacho servi dans sa fraîche crudité ce jour-là aurait dû simplement s'appeler «soupe de tomates froide». Pourquoi user de cosmétique gastronomique, la soupe manque de saillie, d'ail, d'acidulé et surtout de consistance. Elle est aromatisée d'un peu de menthe sèche. Ce n'est pas mauvais, mais ce n'est pas un gaspacho.

En plat, le foie de veau est nappé d'une très bonne sauce aux oignons, probablement réduite à partir d'un fond et de vin rouge, tout ça dans la norme, avec une très sage purée de pommes de terre (annoncée au céleri-rave, il n'en est pourtant rien). C'est bon, essentiel et direct, mais il y a comme un léger malaise devant cette chair bien préparée, du reste, reposant sur une masse de glucides. Il n'y a aucun légume! Ça doit être ça. Trop rouge et blanc, me confirme mon amie.

La salade repas proposée au boeuf grillé et aux légumes sautés est en fait totalement végétarienne. Et en dépit de nos protestations, on nous dit (une deuxième personne) que la protéine est en fait constituée de fromage gratiné (très bon) sur des tranches d'aubergines vaguement loupées. Le boeuf? Sais pas.

Le soir, nous choisissons un tartare, présenté avec une petite salade joliment travaillée autour d'une tranche de concombre. Ses vertus sont mollement exposées, il n'y a pas assez de tonus, de piment ou de câpres (mis à part celle qu'on dépose sur le dessus), le plat dort au gaz. Un peu plus et on demanderait de la moutarde ou, pire, du Tabasco. Vous voyez ce que je veux dire.

Et au dessert: un «shortcake» aux fraises (de Californie) présenté «déconstruit» dans un verre, des couches de crème, de gâteau émietté et des dés de fraises.

Depuis son ouverture il y a plus de deux ans, ce resto s'est taillé une belle place dans le répertoire du quartier, mais ce n'est pas pour sa cuisine trop académique. Plutôt, sans doute, pour son ambiance.

 

LES ENFANTS TERRIBLES

1257, avenue Bernard, Montréal

(514) 759-9918

Prix: Ce n'est pas donné, à quoi vous attendiez-vous ? Le midi, une grillade à 20$, une salade à 16 $, le soir, les plats facturés environ 30$. Disons autour de 85$ pour deux avec deux verres de vin le midi !

 Faune: Casting citadin haute couture, des gens du coin, iPod et BlackBerry dernier modèle, BMW garée devant la porte, belles jeunes personnes complètement assumées

Service : Aimable et un peu naïf, jeune étudiant manquant d'expérience, mais pas de manières ni de personnalité.

Vin: Petite carte avec quelques crus au verre, trop peu de choix. Prix dans la moyenne du quartier.

+ Portions généreuses. Jolie terrasse où l'on s'arrache les places.

- Les tables collées les unes sur les autres (surtout en terrasse), permettant à tous les voisins d'entendre vos conversations. À l'intérieur, c'est de plus très, très bruyant.

On y retourne? Uniquement pour affirmer le sentiment d'appartenance au groupe ou, mieux, pour manger simplement si on habite le quartier. Pour l'étonnement, on ira ailleurs.