C'est tout de même étonnant que l'on ne connaisse pas davantage ce restaurant de l'Est montréalais. Il aurait dû, selon toute logique, faire parler de lui. Baptisé simplement Cabotins, il est unique, insolite, vaguement «trash» ; il pourrait être parfait pour un rendez-vous secret d'espions chinois, mais pas d'amoureux.

Ici, le contenant prend (toute) la place du contenu. D'ailleurs, on s'intéresse à peine à ses compagnons tant le lieu est digne d'un décor de théâtre. Et je ne parle pas de ces endroits où les clients passent tout leur temps à converser au téléphone ni de ces lieux où les beaux suffisants prennent la pose et négligent leur assiette. Je parle du décor et, donc, de l'ambiance.Les patrons ont retapé une ancienne mercerie - un commerce de fournitures de couture : boutons, rubans, tissus... En soi, une ambiance follement nostalgique d'une époque de petits métiers et de boutiques spécialisées, complètement révolue. Ces Cabotins, donc, ont tout repris de la boutique : les boutons, qu'ils ont utilisés en guise de mosaïque sur l'un des murs, les rubans dont ils ont décoré le bar, les tables, l'éclairage. Ils ont installé des lampes à pied, mais à l'envers, et au plafond ! Ils ont aussi disposé plusieurs mannequins (la partie inférieure seulement) vêtus de... caleçons !

En un mot, ils ont créé une sacrée atmosphère, complètement loufoque, à la frontière de l'absurde (les serveurs portent des sous-vêtements sur la tête et, en guise de serviette de table, on trouve une chaussette de tennis... neuve, bien entendu). On se croirait à la mise en scène sous amphétamines d'une production du Roi se meurt. Au spectateur de donner un sens à tout ça. On ne manque pas d'occasions de s'interroger ici.

Mais... Il y a un «mais». Nous sommes au resto et pas au théâtre. La vocation d'un resto est de servir des nourritures convenables, ce n'est pas pour s'abreuvoir de concepts, s'alimenter d'idées. Ici, la cuisine passe en second lieu, s'efface devant ce cadre emphatique et rétro, non dépourvu d'une sorte de pédanterie facétieuse, disons-le.

Ce serait parfait et pourrait passer pour totalement original si la cuisine était aboutie et précise, si les goûts étaient limpides, si les cuissons étaient impeccables, si tout avait une cohésion au lieu de se diluer dans le non-sens et le confus.

En amuse-bouche, on nous apporte des croûtons (le pain était rassis) couverts de sauce tomate et de fromage, un hommage à la bruschetta italienne, si tant est que les Italiens fassent ce genre de chose. Malgré leur côté fripon, ce sont des bouts de pain sans intérêt, raides, fades et couverts de quelque chose de rouge qui n'a aucun goût. Nous dirons de même de quelques acras de morue qui manquent de sel (faut le faire), frits dans une huile tiède. C'est gras et sans percussion. Parmi les entrées, le boudin servi dans un verre est convenable, assez savoureux, malgré la tranche de pomme trop sucrée, presque confite, déposée sur le dessus. La soupe à l'oignon gratinée manquait de tout - de goût, de sel, d'oignon -, le bouillon était trop léger, sans assaisonnement.

En plat, ça ne s'arrange pas : le cassoulet, copieux et appétissant, mais dont les haricots sont trop cuits, sort directement du micro-ondes (on entend la clochette et on l'aperçoit derrière le comptoir de cuisine, à côté d'une baignoire qui sert de lave-vaisselle !).

Les viandes sont indistinctes les unes des autres, le canard goûte le porc ; l'ensemble est terne, las. Le pâté chinois est convenable, mais lui aussi a le souffle court, il est un peu pâteux, manque d'assaisonnement, ne se distingue pas. C'est un plat de musée interprété sans panache.

Enfin, le veau, pris dans la côte, est servi avec des légumes rôtis et présenté à même la marmite, ce qui est une bonne idée. Si on a de l'appétit. Mais la viande est ankylosée, filandreuse, pratiquement immangeable sans marteau-attendrisseur. Nous retournons illico ce plat de bande-annonce, ce qui agite aussitôt le chef. Il en prend même une bouchée pour être bien sûr, prêt à l'affrontement, la main sur la hanche. En finale, des choses trop sucrées, trop dodues. En fait, on se demande presque si on ne s'est pas fait rouler... dans la farine ! Vous m'en voudriez de vous le recommander, pas vrai ?

Cabotins

4821, rue Ste-Catherine E

Tél.: 514 251 8817