Puissant influenceur des tendances en matière de décoration, l'Institut Pantone dictera-t-il maintenant le contenu de notre assiette? La couleur 2018 - l'ultraviolet - est aussi celle de l'igname pourpre, un légume hautement photogénique, candidat idéal pour ravir les comptes Instagram des foodies cette année (à défaut de séduire à coup sûr leurs papilles).

Qu'est-ce que c'est?

L'igname pourpre (purple ube, en anglais, Dioscorea alata, en latin) est une plante tropicale originaire de l'Asie du Sud-Est dont on ne consomme que les racines géantes pouvant atteindre pas moins de 10 kg chacune. Hors terre, sa croissance ressemble à celle d'un plant de vigne, dans la mesure où elle s'accroche à tout ce qui l'entoure, arbres, clôture, alouette, mais elle fleurit peu et ne produit pas de fruits. Elle est particulièrement populaire aux Philippines, même si l'Afrique - avec le Nigeria en tête de file - est désormais le plus grand producteur mondial d'igname (toutes variétés, c'est-à-dire toutes couleurs, confondues). C'est aussi l'une des plus anciennes plantes domestiquées et consommées par l'homme.

Ça goûte quoi?

L'igname pourpre se déguste cuite, jamais crue. C'est un féculent surtout utilisé en pâtisserie, au goût assez peu prononcé, «avec des notes de chocolat blanc», dit Nick Shippers, de la cantine Ube Kitchen, à Brooklyn, qui en a fait son ingrédient chouchou. Du coup, c'est souvent surtout pour le look plutôt que la saveur qu'on semble l'adopter. Le Manilla Social Club de New York l'utilise pour ses beignes au glaçage ultraviolet; Ube Kitchen en prépare un sorbet dont on jurerait qu'il est bourré de colorants artificiels - mais on nous assure qu'il n'en est rien. À Montréal, on en trouvera sur la carte des desserts des restaurants Cuisine de Manille et Junior, où l'on ajoute de la crème glacée d'igname pourpre au halo-halo, cet emblématique dessert philippin composé de glace râpée, de cubes de gelée et de fruits de saison.

Ça se trouve, au Québec?

L'igname pourpre supporte bien la distance et l'entreposage. On en trouve, frais, dans certaines épiceries asiatiques de Montréal (Thaï Hour, Supermarché G&D). Sur le web, on trouvera en quelques clics des sites proposant d'en acheter des rhizomes à cultiver dans son potager. Une belle idée... bien peu réaliste, selon David Wees, professeur au département de sciences végétales de l'Université McGill, puisqu'il faut de six à huit mois de croissance avant de récolter un tubercule de taille appréciable, et ce, au gré d'un climat tropical. «Ici, on peut le cultiver comme plante ornementale, pour son feuillage, mais ce sera une plante annuelle», prévient-il. Même le Jardin botanique de Montréal n'en tient pas. 

Violet... comme le bleuet?

La couleur des racines d'igname peut, selon les variétés, fluctuer du blanc au jaune en passant par le rose. Le violet est teinté par l'anthocyanine, le même pigment retrouvé dans les bleuets, explique David Wees. «Généralement, on accorde à cette couleur des propriétés antioxydantes, bonnes pour la santé. Mais l'igname est surtout un aliment de base, un féculent nourrissant.»

Et l'environnement, dans tout ça?

De manière générale, la culture de l'igname requiert peu de soins, explique David Wees, c'est-à-dire peu d'engrais et d'insecticides chimiques. «C'est une culture intéressante, car elle offre un rendement élevé», dit l'expert. Par contre, la plante pousse si bien qu'elle peut parfois devenir envahissante, comme en Floride et en Géorgie, où elle a dépassé les limites des terres agricoles et pris d'assaut des terrains auparavant occupés par des espèces indigènes. 

Bref, on l'adopte? 

Si on en aime le goût, oui, pourquoi pas, ou pour faire de jolis desserts en évitant l'utilisation de colorants artificiels. Mais pas seulement parce que c'est tendance...

Photo Martin Tremblay, La Presse

L'igname pourpre