Faire la cuisine sans un bon couteau revient à faire du tennis sans raquette. Inutile de multiplier les lames; il faut avoir les bonnes. Conseils d'experts pour s'outiller comme les chefs.

Le prolongement de la main

C'est avec les meilleurs outils qu'on fait le meilleur travail. Or, le couteau est un accessoire souvent négligé en cuisine. Malgré ce qu'en pensent certaines personnes, une lame émoussée n'est pas moins dangereuse, bien au contraire. «Un couteau mal aiguisé risque de glisser et exige qu'on force davantage», signale François Sigouin, professeur à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ).

De là l'importance d'avoir une lame qui coupe bien. «Un couteau, c'est le prolongement de la main en cuisine, estime l'enseignant. Ce n'est pas pour rien que les chefs trimballent leur gaine de couteaux: il y a un attachement et un plaisir à cuisiner avec de bonnes lames.»

Et à ce chapitre, les spécialistes sont unanimes: plutôt que de payer pour un bloc de couteaux dans lequel on finira par utiliser les deux ou trois mêmes, il est préférable de les acheter à l'unité et d'investir dans la qualité plutôt que la quantité.

S'il fallait en choisir un, et un seul, le couteau à tout faire serait celui sur lequel miser, car on finira par l'utiliser pour faire 90 % du travail, selon Guillaume De L'Isle, propriétaire de la boutique L'Émouleur. «Si on a le budget, mieux vaut acheter deux couteaux de chef, surtout si on cuisine à deux, que de multiplier les couteaux de toutes sortes qui resteront dans leur socle», insiste-t-il.

Les bons couteaux gagnent de plus en plus de cuisiniers amateurs. Pendant la période des Fêtes, le couteau de chef a été l'accessoire le plus vendu chez Després Laporte, selon le responsable de la boutique de Laval, Gérald Branche, qui attribue cette popularité à celle des émissions culinaires. Le cuisinier en herbe veut être outillé comme les professionnels, mais est-ce bien nécessaire et comment faire les bons choix? Les spécialistes tranchent la question, point par point.

Bien couper

Un bon outil mal utilisé a ses limites. Avant d'apprendre à courir, il faut apprendre à marcher, note François Sigouin, en rappelant certaines notions de base pour la coupe. Pour protéger les doigts, on les replie légèrement sur l'aliment tandis que la lame vient s'appuyer sur les jointures. C'est elle qui se déplace pour couper l'aliment et non ce dernier. Le bras devrait, quant à lui, rester près du corps pour faciliter le mouvement, et être fléchi à 90 degrés ou moins. «Il est important d'adapter la surface de travail afin que le dos reste bien droit et que le bras soit plié dans un bon angle, rappelle le professeur de l'ITHQ. On peut superposer deux planches pour relever le plan de travail si on est grand et utiliser un rehausseur si on est petit.»

Comment choisir

Le couteau à tout faire

Il a une lame de 165 à 300 mm de longueur et un talon (la largeur de la lame au point de rencontre avec le manche) d'environ 50 mm pour dégager les jointures. «On n'a jamais trop long de lame, mais la plupart des gens sont plus à l'aise avec une longueur de 165 à 210 mm», observe Guillaume De L'Isle, de la boutique L'Émouleur. Toutefois, plus une lame est longue, plus elle permettra de couper une vaste gamme d'aliments, même les plus gros, comme les melons.

De chef ou santoku?

Dans les couteaux à tout faire, les modèles les plus communs sont le couteau de chef (ou gyoto dans les lames japonaises) et le santoku, plus léger et souvent muni de cavités qui empêchent les aliments d'adhérer à la lame. «Les gestes sont simplement différents. Le couteau de chef permet de couper dans un mouvement de balancier, tandis que le santoku fait en sorte qu'on hache l'aliment en soulevant la lame dans un mouvement du poignet», explique François Sigouin.

La qualité de la lame

L'acier est le matériau le plus répandu, mais sa qualité et sa dureté varient d'un modèle et d'une marque à l'autre, selon la quantité de carbone présent dans le métal. Les aciers plus mous sont moins chers, mais restent affûtés moins longtemps. On trouve également des lames en céramique. Celles-ci ont l'avantage d'être très dures, mais facilement cassables si on les échappe. Leur aiguisage est aussi plus difficile et doit être fait avec un instrument en poussière de diamant.

Les modes de fabrication

Les couteaux forgés utilisent une technique ancestrale qui consiste à marteler le métal chauffé pour obtenir une lame dure et tranchante. La majorité des lames sont toutefois découpées dans une feuille de métal à l'emporte-pièce et de manière industrielle. Sur les bons couteaux, la lame se poursuit dans le manche, ce qui ajoute à la solidité et permet de répartir le poids. Cette partie de la lame, qu'on appelle «la soie», est rivetée dans les modèles occidentaux et soudée à l'intérieur du bois dans les japonais. Les résultats sont similaires en termes de solidité, selon Guillaume De L'Isle.

Le manche

Le plastique et les matières synthétiques coûtent moins cher et sont plus légers, ce qui peut être un avantage ou non, selon les goûts. Ils contiennent parfois une composante qui résiste aux bactéries, mais sont glissants et moins durables. Les manches en bois sont plus confortables et permettent d'avoir une meilleure prise, mais ils ne peuvent tremper dans l'eau longtemps, et encore moins aller au lave-vaisselle. Enfin, quelques marques proposent des manches en métal qui sont légers, faciles d'entretien, mais moins confortables, selon certains: on aime ou pas.

Combien investir?

Un couteau à tout faire peut se vendre plusieurs milliers de dollars. Où s'arrête-t-on? «Jamais je ne mettrais 1000 $ dans l'achat d'un couteau, indique François Sigouin. Entre 120 $ et 150 $, on en trouve de très bons chez Sanelli, Victorinox ou Henkell, notamment. Moins cher, ça vaut ce que ça vaut.» Dans une gamme de prix située entre 150 $ et 250 $, on obtiendra généralement des lames semblables, estime Gérald Branche. C'est surtout la qualité du manche qui fera varier les prix.

Une question de confort

Pour bien choisir un couteau à tout faire, il faut l'avoir en main afin d'en jauger la sensation. Certains ont une préférence pour un couteau léger, d'autres, lourd. L'ergonomie du manche et la longueur de la lame sont d'autres points qui font pencher la balance vers un modèle en particulier. Certains réflexes finiront par s'acquérir en fonction de l'instrument choisi: il devient parfois difficile, voire dangereux, de cuisiner avec un autre, remarquent les experts.

Photo David Boily, La Presse

Les essentiels

Idéalement, on aurait trois couteaux de base : un couteau à tout faire, un couteau d'office et un dentelé. Si on aime apprêter ses viandes soi-même, on pourra également s'outiller d'un désosseur.

Le couteau à tout faire

Comme son nom l'indique, c'est celui avec lequel on finira par faire l'essentiel de la cuisine (entre 120 $ et 200 $).

Le couteau d'office

Modèle réduit du couteau à tout faire, il permet d'éplucher et d'apprêter de petits aliments, comme les fruits et légumes. Inutile de dépenser une fortune pour ce couteau qui risque de finir au compost avec les épluchures: un modèle avec un manche en plastique suffit (autour de 10 $).

Le couteau dentelé

Il est utile pour couper le pain sans l'écraser. Selon son budget, on peut opter pour un manche en plastique ou en bois. À noter : des dents larges peuvent être aiguisées, ce qui n'est pas le cas quand elles sont trop serrées (entre 30 et 40 $).

Le désosseur

Si on veut apprêter soi-même ses pièces de viande, il sera pratique d'avoir une lame plus étroite qui peut se glisser aisément entre les os (entre 50 $ et 60 $).

Photo David Boily, La Presse

Idéalement, on aurait trois couteaux de base: un couteau à tout faire (en haut), un couteau d'office (en deuxième) et un dentelé (en bas). Si on aime apprêter ses viandes soi-même, on pourra également s'outiller d'un désosseur (en troisième).

La qualité japonaise

Les gens veulent des couteaux japonais, remarque Gérald Branche, qui est gérant d'une boutique d'équipement et d'accessoires de cuisine. Pourquoi? «Ils regardent des émissions culinaires et veulent le meilleur, comme les chefs», pense-t-il. Les lames japonaises sont-elles vraiment supérieures?

Les Japonais sont passés maîtres dans l'art de faire des couteaux depuis des millénaires. «Ils ont une longue histoire avec le sabre. Après la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs forgerons ont perdu leur emploi et ont trouvé un nouveau marché dans le couteau de cuisine», explique Jean-Sébastien Michel, d'Alambika, qui vend presque exclusivement des lames de forgerons indépendants.

Les aciers japonais sont réputés plus durs et plus forts, ce qui permet de fabriquer des lames d'une grande finesse. Certaines aussi fines que des lames de rasoir. La solidité de l'acier fait également en sorte qu'elles gardent leur tranchant longtemps. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de les affûter avant chaque utilisation.

Il y a aussi cette façon de travailler l'acier: à la main dans le cas des couteaux damassés, et selon une technique de métal plié qui consiste à superposer les couches de métaux sur un coeur d'acier très dur, à la manière d'un millefeuille, en refroidissant la lame entre chaque étape. Le procédé ajoute de la solidité au métal et permet de produire une lame solide et d'une grande souplesse - elle pliera légèrement plutôt que de résister lors de la coupe.

Des couteaux bijoux

«C'est un travail artisanal. Les Japonais travaillent lentement, avec un souci du détail. Un forgeron ne produira qu'un à trois couteaux par jour, explique Guillaume De L'Isle, propriétaire de la boutique L'Émouleur, qui se spécialise dans les couteaux japonais. Ça donne des lames beaucoup plus performantes. Il n'y a aucune commune mesure avec les autres: ça coupe mieux, tout simplement», affirme le spécialiste.

Certains de ces couteaux sont de véritables oeuvres d'art. On paie pour la qualité de la lame, mais aussi - et parfois surtout - pour les essences de bois utilisées et les détails sculptés ou incrustés dans le manche et la lame. Certains modèles se distinguent même par l'utilisation de corne ou de pierres semi-précieuses, une coquetterie qui a un prix, que certains cuisiniers et collectionneurs sont prêts à débourser. Chez L'Émouleur, le prix des lames débute à 150 $ et grimpe jusqu'à 7000 $.

Performant, mais plus capricieux

«Si on achète une Ferrari, il faut avoir les moyens de l'entretenir. C'est la même chose avec les couteaux japonais d'exception», avise François Sigouin, professeur à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ). Le couteau japonais est plus souple, mais demeure plus fragile. S'il est échappé ou cogné sur un objet dur, sa lame très fine risque de s'abîmer. Pour cette raison, on ne l'utilise jamais pour couper des os et des aliments congelés ou trop durs.

Il faut savoir qu'on ne confie pas ce type de lame à n'importe quel aiguiseur non plus: Jean-Sébastien Michel et Guillaume De L'Isle offrent ce service à leurs clients. Les couteaux japonais sont aussi plus légers, ce qui est un atout pour certains et un inconvénient pour ceux qui ont l'habitude de travailler avec un instrument plus lourd.

Ces lames japonaises sont plus chères, mais leur rapport qualité-prix n'a pas d'égal, selon Jean-Sébastien Michel. Sachez toutefois que tous les couteaux japonais ne sont pas le fruit d'un travail d'artisan. Les marques japonaises, comme les marques occidentales, proposent différentes gammes de produits, certaines fabriquées de manière industrielle ou à la main.

Global, Shun, Miyabi et certains couteaux de forgerons indépendants sont plus accessibles, à des prix se situant entre 150 et 300 $. Plus cher, on peut gagner certains avantages techniques, mais on paie surtout pour l'unicité du produit et son prestige. «Le cuisinier amateur ne sera probablement pas en mesure d'apprécier toutes les subtilités d'une lame de prestige, estime François Sigouin. Même moi, je ne vois pas la différence au-delà d'un certain prix!»

Photo David Boily, La Presse

Guillaume De L'Isle, propriétaire de la boutique L'Émouleur, qui se spécialise dans les couteaux japonais

L'entretien

Quelques bons gestes pour prolonger la vie de son couteau et profiter de son potentiel.

L'affûtage

Le procédé ne sert qu'à entretenir une lame déjà tranchante en la débarrassant des dépôts qui y sont logés. À faire idéalement avant chaque coupe, en procédant avec l'une ou l'autre des techniques expliquées par François Sigouin, professeur à l'ITHQ.

Méthode sécuritaire

Cette méthode facile et sécuritaire consiste à tirer la lame vers soi en ligne droite sur la queue-de-rat, en respectant l'angle du filet de coupe du couteau, en partant du talon de la lame jusqu'à sa pointe. Répéter de trois à quatre fois de chaque côté.

Méthode plus avancée

Dans ce cas, le filet de coupe longe la queue de rat vers l'extérieur dans un mouvement de demi-lune, du talon jusqu'à la pointe de la lame. La queue-de-rat doit impérativement être munie d'une garde pour protéger la main si la lame glisse. Répéter de trois à quatre fois de chaque côté.

L'aiguisage

Vient un temps où on a beau affûter son couteau, celui-ci devient moins tranchant. Quand la peau d'une tomate se laisse couper plus difficilement, c'est qu'il est temps de faire aiguiser sa lame par un professionnel.

À qui confier son couteau  «C'est un peu comme trouver un bon boucher. Chaque lame a ses exigences et un bon aiguiseur adaptera son travail au couteau qu'il a devant lui, en travaillant de manière artisanale plutôt qu'en utilisant une même règle pour tous», indique François Sigouin.

L'angle du filet de coupe varie d'un modèle à l'autre, mais peut être modifié au moment de l'aiguisage: plus il est grand, moins il s'usera rapidement, mais moins il sera tranchant. Il faut savoir que chaque aiguisage retire une fine couche de métal. Plus on aiguise son couteau, plus on s'éloigne de la partie fine de la lame et moins il est possible d'obtenir une lame très tranchante. Il ne faut donc pas abuser de l'aiguisage.

Pour le garder longtemps

Pour éviter qu'un couteau gonfle, craque, rouille ou que des dépôts s'y forment, on ne le laisse pas tremper dans l'eau et on ne l'envoie pas au lave-vaisselle. On s'assure qu'il est bien sec avant de le ranger dans un bloc, un étui ou sur une barre aimantée - jamais dans un tiroir, où il risque de s'abîmer au contact d'autres accessoires.

Jamais on ne devrait couper sur des surfaces dures (pierre, marbre, vitre, porcelaine) ou couper de gros os avec un bon couteau à tout faire (on réserve, à cet usage, un couteau bas de gamme). La meilleure surface de travail reste le bois. Enfin, racler la planche avec le filet de son couteau est l'un des pires supplices à lui imposer. Utilisez plutôt l'envers du couteau ou, mieux, un grattoir.

Photo David Boily, La Presse

Cette méthode facile et sécuritaire consiste à tirer la lame vers soi en ligne droite sur la queue de rat, en respectant l'angle du filet de coupe du couteau, en partant du talon de la lame jusqu'à sa pointe. Répéter de trois à quatre fois de chaque côté.