Après un divorce difficile il y a deux ans, la célèbre cuisinière britannique Nigella Lawson revient à l'avant-scène avec une série télé et un livre homonyme Simply Nigella, où elle célèbre autant les classiques britanniques simplifiés que de nouvelles créations végétaliennes. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie est allée à la rencontre de Nigella et de son public à Toronto et s'est entretenue avec elle de faim et de satiété, d'âge et de pois chiches.

Il est passé 20 h et Nigella Lawson signe des livres sans arrêt depuis plus d'une heure, puisque près de 300 personnes se sont présentées pour la voir à la librairie Indigo à Toronto, seul arrêt dans l'est du pays de la tournée de promotion de son nouvel ouvrage.

Elle sourit à tout le monde, engage la discussion, invite ses fans à ne pas avoir peur de lui parler. Les curieux tendent l'oreille et se délectent de sa voix grave et de cet accent britannique qui rendent son autodérision et ses mots d'esprit encore plus drôles. Elle signe et signe, et puis, soudainement, elle arrête tout. Elle a faim. On lui trouve du chocolat. Elle en prend un morceau et implore tout le monde de ne pas faire de photo durant cette pause de ravitaillement. Elle rigole, finit de se sustenter, reprend le boulot...

« On ne peut pas bien vivre sans bien manger, lance-t-elle le lendemain, en entrevue. C'est impossible. »

Manger, dans l'univers de cette journaliste devenue auteure de best-sellers culinaires - des millions de livres vendus et traduits - et mégavedette de la télé, fait autant partie de la réalité très concrète que la préparation des recettes. Si elle cuisine, c'est pour savourer pour vrai, pas juste pour prendre des photos.

« Et tu vas voir, tu vas terminer ton entrevue en ayant faim », m'avait-on prévenue.

Et c'est vrai, échanger avec Nigella donne envie de partir faire les courses, de remplir la maison des parfums d'un poulet qui rôtit ou d'une soupe qui mijote, mais aussi de mordre à pleines dents dans tout ce dont elle parle.

Dans l'univers de Nigella Lawson, donc, la nourriture n'est pas qu'une figurante esthétique, même si elle-même célèbre la beauté « réjouissante » d'un bol rempli de citrons ou d'échalotes qui rissolent. La nourriture, explique-t-elle, c'est un ingrédient de bonheur qu'il faut ingurgiter.

« Être perpétuellement affamée est une façon garantie d'être perpétuellement malheureuse », estime Nigella Lawson.

« Moi, mon équilibre ne peut pas être maintenu si j'ai faim, lance-t-elle. J'ai faim, je mange, je suis satisfaite. C'est comme ça que je fonctionne. »

Dans ses émissions de télé, la beauté brune de 55 ans n'hésite pas à goûter et même à finir les plats, une fois ses invités-figurants partis. En pyjama ? Pourquoi pas ? Nigella flirte avec nous tous. Les femmes la veulent comme amie, les hommes peut-être plus.

À tous ceux qui lui demandent comment on peut avoir l'air si jeune, si fraîche, si belle à son âge, et on le lui demande souvent, elle répond tout simplement : « Il y a des gens qui prennent du temps à comprendre que le monde a changé, qu'aujourd'hui la vie continue d'être aussi inspirante, même après 50 ou 60 ans... »

Vêtue de noir de la tête aux pieds, son abondante tignasse brune minutieusement coiffée, maquillée à la perfection et munie de cils longissimes qui complètent le portrait de déesse - son surnom depuis qu'elle a publié un livre de recettes au titre ironique de How to Be a Domestic Goddess -, Nigella est effectivement remplie de vie. Et on sait maintenant qu'elle carbure au chocolat, une notion rassurante après ses propres aveux de consommation de drogues - cocaïne et cannabis - pendant les années les plus difficiles de son mariage avec le géant multimillionnaire de la publicité britannique Charles Saatchi.

Simply Nigella, le livre qu'elle vient de publier, son 10e, et qui s'accompagne d'une série télé portant le même titre, est d'ailleurs celui de son retour aux commandes de sa vie, depuis son difficile divorce il y a deux ans. Partout dans les textes, qui sont aussi délicieux que les recettes, elle parle de cette nouvelle vie, de sa nouvelle maison, de ses enfants Cosima et Bruno, aujourd'hui jeunes adultes, nés de son union avec un journaliste mort en 2003, à 47 ans, d'un cancer de la gorge.

DE NOUVELLES SOURCES D'INSPIRATION

Dans cette nouvelle vie, il y a de la place pour la nouveauté, car Nigella parfait depuis toujours l'art de faire vibrer la cuisine traditionnelle britannique et les courants du moment. Actuellement, explique-t-elle, c'est l'approche végétalienne qui l'inspire. « J'adore cette célébration du monde végétal », lance-t-elle. Son nouveau livre - qui encore et toujours embrasse les plats simples, les raccourcis s'il le faut, l'absence de prise de tête - propose d'ailleurs des mijotés de pois chiches et autres casseroles de haricots. « Ce que j'aime moins, c'est la suffisance attachée à certains choix. »

Autre coup de coeur : les plats thaïlandais. « Je connaissais cette cuisine, mais c'est seulement récemment que je suis allée en Thaïlande et que j'ai découvert sa vraie richesse. C'est fort tout en étant calmant, précis, les parfums sont puissants. Et tout est dans l'équilibre. »

Nigella Lawson parle et, effectivement, on commence à avoir faim. Surtout quand elle se met à expliquer comment elle aime cuisiner les restes et ne jamais gaspiller. Comment on peut cuisiner pas cher en utilisant des ingrédients qui cuiront plus longtemps sans davantage demander de notre temps. « Un mijoté, ça cuit tout seul ! Et ce n'est pas vrai que les ingrédients chers ont plus de goût. »

Et cuisiner est si important, il faut le faire, insiste-t-elle. Parce que c'est un travail manuel qui nous calme, parce que c'est le début du plaisir de manger, parce que c'est au coeur de notre humanité.

« D'ailleurs, la cuisine ne devrait pas être reléguée aux pages "style de vie" dans les médias, ajoute-t-elle. C'est beaucoup plus important que ça. C'est crucial pour notre culture, notre avenir, notre survie. »

Simply Nigella, Nigella Lawson. Appetite by Random House, 384 pages, 39,95 $.