La production du miel est une affaire délicate et... primordiale. Sans abeilles, point de fruits. Mais pas besoin d'être en pleine nature pour en récolter. Miel des villes, miel des campagnes: voici deux cas d'espèce où gourmandise et préoccupations environnementales vont de pair.

Et si le salut des abeilles passait par les villes? Ils sont de plus en plus nombreux à le penser et depuis quelques années, le miel «béton» a le vent dans les voiles. Même à Montréal, la ville aux 100 clochers que l'on pourrait maintenant rebaptiser la ville aux 10 ruchers.

L'une des dernières colonisations date du 14 mai dernier, quand un commando s'est infiltré discrètement, à la tombée de la nuit, au Fairmont Le Reine Elizabeth, chargé d'effectuer sur le toit du 22e étage une livraison pour le moins inusitée: quatre reines et leur suite de nourricières. Trois mois plus tard, force est de constater qu'elles y ont été bien heureuses, installées dans de petites maisons de bois blanches... entre les tours de bureaux, au-dessus des embouteillages de voitures crachotant du CO2 et d'une mer de bitume.

«Notre première récolte a été bien au-delà de tout ce qu'on espérait!», dit avec enthousiasme Jean-Mark Léon, le chef de cuisine et, depuis cet été, apiculteur. En ce matin d'août, ses sérieux acolytes en cravate - Michel Busch (directeur de la restauration) et Jean-Yvon Le Dour (gérant du Beaver Club) affichent le même sourire d'enfants ravis. Les quatre ruches ont fourni à la fin juillet 92 kg de miel. La cible de 160 kg devrait être largement dépassée après la deuxième récolte en septembre, une récolte que l'on n'attendait même pas cette année!

C'est dire comme leurs petites protégées aiment Montréal, sortant chaque jour sans pluie pour parcourir jusqu'à 3 km - soit jusqu'au mont Royal et dans les parcs LaFontaine et de l'île des Soeurs - récolter leurs petites boulettes de pollen. «La variété des fleurs butinées est exceptionnelle, beaucoup plus grande que l'on imagine. Il n'y a que des fleurs en ville!», dit Jean-Mark Léon.

Dans la première cuvée, les notes herbacées, mentholées, priment sans doute parce que les abeilles adorent butiner dans les énormes plants de basilic et autres fines herbes du potager de l'hôtel installé à quelques mètres de là. Et non, on ne détecte aucun arôme d'asphalte...

Le cuisinier-apiculteur passe tous les jours s'assurer que ses abeilles ne manquent de rien, surtout pas d'eau puisque les étangs et marais sont plutôt rares dans le secteur, et il troque une fois par semaine la toque pour le masque en moustiquaire afin d'inspecter l'intérieur des ruches, vérifier que les abeilles se portent et produisent bien. Les ruches passeront l'hiver dehors, recouvertes d'un isolant, avec quelques rations supplémentaires de miel et de sirop de sucre pour que les abeilles tiennent jusqu'au printemps.

«L'apiculture en ville ne présente pas de grandes difficultés», assure le professeur Éric Duchemin, du Collectif de recherche en aménagement paysager et agriculture urbaine durable de l'UQAM, et apiculteur attentionné des six ruches installées sur le toit d'un pavillon de l'université. Certaines inquiétudes ont été soulevées quand à la contamination possible du miel par les rejets des automobiles. À Paris - pionnière de l'apiculture urbaine -, «les analyses chimiques n'ont relevé aucun contaminant dans le miel, sauf de très rares exceptions quand des toits galvanisés, avec des soudures en plomb, étaient à proximité», dit-il.

Pas de problème non plus avec les piqûres, les abeilles sont situées assez loin de la rue et, contrairement aux guêpes, elles ne piquent que si elles se sentent menacées.

Des abeilles au miel

Fait rare, l'hôtel a aussi décidé de se doter de sa propre miellerie - la première sur le toit d'un hôtel au Québec -, un cagibi à peine plus grand qu'un placard à balais où le miel est extrait puis mis en pot. Il sera vendu à la boutique, servi au petit-déjeuner, utilisé dans les recettes et fera l'objet d'un menu complet cet automne, au Beaver Club. Petit à petit, l'hôtel pense ajouter huit ruches pour atteindre l'autosuffisance.

«Mais notre but premier, c'est surtout de sensibiliser la population aux questions d'environnement», dit le chef Léon.

«Il faut prendre conscience de l'importance des abeilles, même en ville!», clame aussi Éric Duchemin, qui espère non pas inciter les citadins à installer dans leur cour une colonie, mais à la verdir le plus efficacement possible, en privilégiant les plantes et les fleurs les plus mellifères (comme les pissenlits, les courges, la monarde): «Le gazon tous azimuts, ça n'aide pas. Les abeilles n'y trouveront pas de pollen», explique-t-il.

N'empêche qu'il reste de la place pour quelques ruches de plus à Montréal. On en compte à peine 50, reparties dans 10 ruchers. À Paris, il y en a plus de 300. À Londres, 3200.