Si les abats font fureur dans des restaurants montréalais comme DNA, Lawrence, La salle à manger, le Comptoir charcuteries et vins, apprêtés avec brio par des chefs qui savent quoi en faire, ils sont encore loin de faire l'unanimité dans la population en général. «Ouach», «beurk» sont encore les réactions typiques du Nord-Américain moyen à la mention de cervelle d'agneau, de coeur de cheval, de langue de veau, d'oreilles de porc, de testicules de canard, etc.

Les magazines culinaires ne publient jamais de recettes d'abats. Des amourettes dans Ricardo? Des rognons dans Coup de pouce? Du foie, du coeur ou de la langue dans un «spécial BBQ et recettes d'été» ? Les chances sont très minces. Et pourtant, ces trois derniers abats sont parfaitement adaptés au gril, nous assurent les chefs.

La Torontoise Jennifer McLagan s'est récemment lancée dans une grande entreprise de réhabilitation de l'abat. Son livre Odd Bits paraîtra le 13 septembre 2011. La chef et auteure passe trois mois par année en France (surtout à Paris), pour s'inspirer et se ressourcer. Elle est donc bien placée pour comparer nos habitudes de consommation de viande.

«Les Nord-Américains ont perdu l'habitude de manger les abats, encore plus de les cuisiner. Dans les livres de recettes plus anciens, l'auteur tient souvent pour acquis que le lecteur sait comment nettoyer, préparer et faire cuire les abats, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a donc très peu d'explications. Le cuisinier moyen n'y comprend rien et se sent intimidé par les parties de l'animal qu'il ne connaît carrément pas. Pourtant, toutes les parties de l'animal se mangent, sauf la peau et les poils, encore que la peau de porc soit excellente! Avec mon livre, je souhaite redonner confiance au cuistot maison.»

Dans l'imaginaire collectif, les abats seraient encore associés au temps de «vaches maigres», à la misère. «Avec l'avènement des élevages industriels, le prix de la viande a beaucoup baissé et les Nord-Américains ont pu se permettre de manger des morceaux de premier choix tous les jours. En plus, c'est souvent plus simple et rapide de faire griller un steak que de préparer une langue de veau», convient Mme McLagan.

Le fait que nous soyons aujourd'hui si éloignés de la ferme et de la source première de notre alimentation a aussi contribué à un certain dégoût pour les parties de l'animal que nous avons peu l'habitude de voir, comme la tête de porc, les pattes, la cervelle, le museau, etc.

«Mais les mentalités changent tranquillement et nous n'avons pas d'autre choix que de changer nos habitudes, puisqu'il faut revenir à une viande élevée le plus naturellement possible, ce qui signifie qu'il y en aura moins, qu'elle coûtera plus cher et qu'il faudra manger toutes les parties de l'animal. Lorsqu'on abat un animal, c'est la moindre des politesses que de le manger en entier!», lance celle qui a également écrit les livres Bones et Fat.

Marc Cohen, du restaurant Lawrence, remarque que ses clients qui, autrefois, mangeaient le hamburger pour dîner ont commencé à s'aventurer du côté de la langue de veau et du coeur d'agneau. «Je vois autant des jeunes branchés commander des abats parce que c'est cool que des vieilles dames européennes heureuses de les retrouver au menu», déclare le chef qui a récemment servi à ses clients les abats des pigeonneaux qu'il avait commandés à la Ferme Miboulay, à Marieville.

Les chefs

Le rôle des chefs est éminemment important dans la réhabilitation des abats. Puisque plusieurs personnes ont été traumatisées par un abat mal cuisiné, il revient aux professionnels de les faire (re) découvrir aux gens.

«Tout se passe dans la tête, croit Jennifer McLagan. Nous mangeons des fesses de boeuf, mais ne voulons pas toucher à leur langue ou à leur coeur. Pourtant, les abats n'ont vraiment rien de rebutant au goût, lorsqu'ils sont bien préparés. Il n'y a que la texture qui puisse parfois être un peu difficile, pour certaines parties.»

À La salle à manger, le chef Samuel Pinard reçoit les bêtes entières. Pas question de gaspiller les abats. Il fait du tartare de coeur de chevreau et de la cervelle poêlée, avec rognons et foie servis sur spaetzle (pâtes alsaciennes). Un de ses plats signature: une tête de cochon désossée et farcie de rognons, de coeur, de langue en dés et de bajoues de porc. Bouillie, elle est ensuite cuite à la plancha et servie sur une toast de pain à l'ail, avec sauce gribiche aux huîtres fumées maison. Lorsqu'il revient de la chasse, à l'automne, ce défenseur d'une cuisine du museau à la queue se prépare une grosse sauce bolognaise avec le coeur et le foie du gibier hachés.

Marc Cohen reçoit également des carcasses entières. Il achète même à petit prix des abats dont personne ne veut. Mais récemment, il a remarqué que l'offre diminuait. Les coeurs de canard, par exemple, sont plus rares. Les cervelles de veau de Charlevoix ne se rendent plus jusqu'à Montréal. Et bien qu'il souffre un peu de cette rareté et de l'augmentation progressive du prix des abats, Marc Cohen rêve au jour où toutes les parties de l'animal auront à peu près lamême valeur.

Trucs pour le gril

>On peut ajouter du coeur de boeuf haché (une viande très maigre) dans ses boulettes de hamburger, pour leur donner un goût plus prononcé.

>Le coeur de boeuf, de veau ou de cheval se mange un peu comme une bavette. On peut en faire des tranches qu'il vaut mieux laisser mariner dans un vinaigre quelconque. Fergus Henderson, auteur du livre The Whole Beast et chef au quasi mythique restaurant St. John, à Londres, fait mariner du coeur de veau dans du vinaigre balsamique pendant 24 heures.

>Ségué Lepage, chef du Comptoir charcuteries et vins, suggère la joue de cochon grillée sur le barbecue en cuisson rosée, puis tranchée très mince. Il n'hésiterait pas non plus à embrocher des coeurs de canard.

Où acheter des abats?

Nouez une bonne relation avec votre boucher et il vous trouvera tout ce dont vous avez besoin: cervelle, coeur, etc. La plupart des bonnes boucheries artisanales ont du foie de plusieurs animaux, des ris de veau, des rognons, de la langue de veau. Pour obtenir des abats de boeuf (langue, coeur, etc.) ou d'agneau (tête, cervelle, langue, poumons, etc.) et certaines parties du cochon, mieux vaut commander à l'avance. Dans le quartier chinois et dans plusieurs boucheries «ethniques», vous trouverez presque toujours une bonne sélection d'abats, mais vous aurez du mal à connaître la provenance des bêtes.