Si on se fie au festival Montréal en lumière qui vient de s'achever, l'année 2011 sera celle de la femme... cuisinière. En mettant l'accent sur les réalisations professionnelles de ces dernières, le festival a offert sa programmation la plus originale depuis ses débuts (et je les couvre depuis la première édition.) Enfin, les femmes sont reconnues comme des professionnelles, capables de diriger des brigades d'hommes, dont des cuisiniers qui ont souvent la réputation (assez méritée) d'avoir de gros egos et d'être indomptables.

Parmi les quelque 50 participantes, on a retrouvé de très jeunes chefs, mais aussi des chefs et vigneronnes d'expérience, dont Olympe Versini, qui a obtenu des étoiles Michelin et plusieurs autres récompenses prestigieuses, il y a déjà plus de 30 ans. Pour atteindre pareil succès dans ce monde masculin, il fallait une vision, de l'audace, mais aussi beaucoup de technique et de maîtrise. Mais tout ça ne suffisait pas. Comme Mme Versini le dit elle-même, il fallait en faire plus, travailler davantage, pour prouver aux hommes qu'une femme était capable d'être leur égale. Elle a été l'un des premiers chefs à avoir intégré des pâtes et de l'huile d'olive dans la grande cuisine française, et cela, bien avant Ducasse. Son plat signature, les raviolis aux langoustines à la pointe de gingembre (faits avec du crabe d'Alaska chez nous) faisaient d'ailleurs partie du menu proposé aux clients du Nuances le week-end dernier.

Pendant les deux semaines de festivités, nous avons exploré les tendances et les modes, notamment du côté des produits et condiments qui reviennent sur chaque menu. C'était aussi l'occasion de redécouvrir certaines denrées négligées jusqu'alors. Ce festival s'avère chaque année un lieu de redécouverte ou d'expériences. Qui aurait cru, il y a 12 ans, que le topinambour se taillerait une place de choix en grande cuisine, lui qui avait si mauvaise réputation auprès des chefs français? Et pourtant, lors de la première présentation du festival, on en trouvait partout: en sauce, en potage, en chutney même.

Cette année, la betterave a subi le même sort: elle était de presque tous les menus, en salade, à cru surtout, mais aussi en purée. Idem pour la noix de coco (au menu de la Brésilienne Renata Vanzetto entre autres, dans un splendide ragoût de pétoncles et de moules au lait de coco, inspiré des soupes thaïlandaises et garni de petites tomates, de poireaux et de coco rôti). Les menus abondaient aussi de fruits de mer, de pétoncles (de lagunes, comme nous les a fait découvrir Johanne Vigneau), de homard et de crabe. Parmi les retours un peu inattendus: les grands coulis faits de carcasses de crustacés et les bisques, généralement servis en potages dans la cuisine classique, mais recyclés ici sur des macaronis (comme l'a fait Caroline Rostang) ou proposé en shooter (comme chez Helena Loureiro, chef du Portus Calle.)

Il y a eu aussi beaucoup de sole et de bar, souvent poché. Nathalie Beauvais, la Bretonne, l'a servi en filet sur une fondue de poireaux ultra délicate avec en contrepoint un jus d'huîtres. Si la cuisine féminine existait, c'en serait peut-être le plat le plus représentatif. Composition gracieuse, éthérée presque, sans aucune aspérité... Un vrai plat «yin», censé alléger les humeurs. Les confits de pintade, de canard, mais aussi de lapin ont aussi fait plusieurs apparitions sur les menus. Et côté douceur? Du yaourt, mais aussi et surtout du pain perdu et du caramel salé, servi en blanc-manger (Nathalie Beauvais) ou en glace (Olympe Versini).

Autres découvertes, en vrac: des câpres de Pantelleria (plus célèbre pour ses vins de desserts de Passito) avec des ris de veau croustillants (Olympe Versini), de la sauce à la goyave pour un confit de pintade (Renata Vanzetto), du chouriço portugais, gras et immense en saveur, des sorbets au lait, à l'églantier, à la rose, au safran... En un mot, ce festival a été comme un point d'exclamation sur la fin de l'hiver. Partout, les restos étaient pleins. Les chefs enthousiastes, presque surexcités, prêts à partir à l'assaut d'une nouvelle année après cette parenthèse exquise.

Mes coups de coeur:

>Johanne Vigneau de la Table des Roy, aux Îles de la Madeleine (au Portus Calle)

>Olympe Versini, de Casa Olympe, Paris (au restaurant Nuances du Casino de Montréal)

>Renata Vanzetto, du Marakuthai, de Sao Paulo, Brésil (invitée au Beaver Hall)

>Nathalie Beauvais, du restaurant Le Jardin Gourmand à Lorient, en Bretagne (reçue à La Porte)

>Cinzia Mancini et Chiara Ciavolich, respectivement du restaurant La Bottega Culinaria, à San Vito Chietino, et de la maison Ciavolich dans les Abruzzes en Italie (invitées chez Bu)

>Caroline Rostang, du Bistro d'à côté, Paris (reçue chez Alexandre)