Fini le temps où les kiwis, betteraves, échalotes, gingembre et autres réductions de vinaigre balsamique étaient réservés à l'usage des chefs cuisiniers. Les bars se les sont à leur tour approprié. Et c'est tant mieux. Parce que les nouveaux cocktails de l'été sont à la fois surprenants, osés, santé et, surtout, drôlement rafraîchissants.

Vodka betterave. Martini kiwi échalote. Pas de doute: une petite révolution secoue le monde de la boisson. Question de mode, bien sûr, mais aussi de curiosité des clients, de professionnalisation du métier, et de virage santé de la société.

 

À l'instar du retour aux sources observé en cuisine, de la quête de produits saisonniers, idéalement bio, et pourquoi pas locaux, de plus en plus de barmans servent en effet des mélanges qui, hier encore, auraient semblé à la limite de l'hérétique.

Le sirop d'érable dans le mojito. Le cidre dans le martini. Et pourquoi pas du basilic, de l'aneth, de la coriandre, ou même du romarin dans un apéro? Les nouveaux «chefs cuisiniers» des bars de quartier, pompeusement baptisés «mixologues» depuis quelques années, s'éclatent.

«Mixologue, c'est un mot savant inventé il y a 10 ans pour définir celui qui crée des cocktails», explique Fanny Gauthier, mixologue aux Ateliers et Saveurs, une école de cuisine dans le Vieux-Montréal, qui offre des ateliers de création de cocktails tous les jeudis soirs. Chaque semaine, un nombre grandissant de curieux s'inscrivent, pour découvrir tantôt les secrets des herbes dans les cocktails, ou encore les recettes de cocktails «bord de piscine».

«C'est dans l'air du temps, renchérit Fabien Maillard, mixologue et propriétaire du Lab. Les gens recherchent quelque chose de différent.» Au menu de son bar à cocktails ouvert depuis octobre dernier, il propose pas moins de 40 à 50 cocktails, tous offerts en version mocktails (ou virgin). Et avis aux intéressés: très régulièrement, le menu est changé, modifié, et de nouvelles recettes sont créées.

Résultat, le métier de barman s'est drôlement professionnalisé. «Ce n'est plus un job d'étudiant, poursuit-il. C'est de plus en plus un métier, et à un moment donné, le barman a envie de proposer autre chose.»

Las de servir les mêmes sempiternels gin tonics ou rhum and coke, le mixologue improvise, crée des mélanges, selon son goût et son imagination. Tous les ingrédients sont aussi à sa disposition. «Il y a de plus en plus de bars-restos, les propriétaires travaillent conjointement; cela a donc permis de travailler des ingrédients réservés à la gastronomie. C'est de moins en moins rare d'utiliser du concombre, ou de la réduction de balsamique.»

Fini le vodka canneberge? «Honnêtement, je l'espère, répond Valentin Van Beek, directeur général de la restauration à la Suite 701 de l'hôtel Place d'Armes. Il y a tellement de choses plus intéressantes à faire, pour nous, les professionnels!»

De plus en plus, son restaurant cherche aussi à marier plats et cocktails (ou plutôt plats et shooters de cocktails, modération oblige): un flétan rôti avec un shooter aux agrumes, par exemple. «Pour les amateurs d'alcool qui n'aiment pas trop le vin, c'est une belle option.»

Petite histoire du cocktail

Vrai, le premier cocktail ne date pas d'hier. Dès la fin du XIXe siècle, en fait, on commence à boire des manhattans, un mélange assez costaud de vermouth, de whisky et d'Angostura, un classique redevenu tendance de-puis septembre 2001.

Mais c'est à James Bond que l'on doit l'invention des cocktails plus gastronomiques. Chaque nouveau film de l'agent 007 relançant évidemment la mode des dry martinis, un apéro lui aussi plutôt costaud, la légende veut que pour répondre à la «soif» des femmes, une barmaid de Miami ait concocté une version plus soft du dry martini avec vodka, Cointreau et jus de canneberge, le tout servi dans le même verre triangulaire, si cher à notre agent secret britannique. Ainsi est né le premier cosmopolitan.

«Le succès a été immédiat, reprend Fanny Gauthier. Et les stars, notamment les filles de Sex in the City, ont aussi aidé à le populariser», souligne la mixologue qui, barmaid au Buddha Bar à Paris dans une autre vie, a déjà servi un cosmo à nulle autre que Madonna.

Résultat, à ce jour, les cocktails, souvent doux et sucrés, ont tendance à plaire surtout aux femmes. «Il arrive même que des gars commandent un cosmo, mais réclament un autre verre, admet Valentin Van Beek. Oui, c'était à la base une boisson de fille, mais ça l'est de moins en moins, conclut-il. Parce que les gars se sont rendus compte eux aussi que c'était très bon.»

 

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COCKTAILS MAISON

Rien de plus simple que de concocter des cocktails maison. Il suffit de quelques incontournables (vodka, gin, rhum, tequila, triple sec), d'un soupçon d'imagination, de quelques glaçons, et puis surtout... d'oser!

Ouvrez votre frigo, et servez-vous des jus mélangés déjà préparés, lancez-vous dans une purée de fruits maison si vous voulez, ajoutez quelques épices, et testez. La fraise et la cannelle vous plaisent dans une tarte? pourquoi pas dans un cocktail?

«Je n'ai de limite à la création que mon imagination», soutient Fanny Gauthier, mixologue aux Ateliers et Saveurs. On ose ajouter une épice ou quelques cubes de fruits en cuisine; pourquoi ne pas faire de même dans un cocktail?

Si vous voulez «mixer» selon les règles de l'art, voici quelques règles de base:

- un cocktail ne doit pas contenir plus de cinq alcools différents (théoriquement, le Long Island Iced Tea n'est donc pas un cocktail, puisqu'il en contient davantage);

- au minimum, pour être considéré comme tel, le cocktail doit contenir deux ingrédients (vodka et orange);

- pour s'assurer de l'équilibre du cocktail, il existe une «règle» des trois S: sweet (l'élément sucré du cocktail, la cassonade, le miel, la grenadine, etc.); sour (que l'on trouve dans la lime, le citron, certains jus d'orange, le triple sec); et strong (l'alcool);

- à ces trois S s'ajoutent ensuite les épices de votre choix, le cas échéant.

- pour les quantités, partez d'une recette établie, puis, improvisez.

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COCKTAILS MOLÉCULAIRES

Après la cuisine, place aux cocktails moléculaires. La Suite 710 de l'hôtel Place d'Armes compte proposer, dès le début de l'été, des versions «moléculaires» de ses cocktails. En clair, un Litchi Martini sera offert en version sorbet, la transformation se faisant en direct devant le client.

Pour ce faire, il suffira au barman de verser de l'azote liquide sur le mélange alcoolisé, qui gèlera en quelques minutes à peine. L'opération, paraît-il, en vaudra le coup d'oeil Ça promet !

Photo: David Boily, La Presse

Fanny Gauthier, mixologue chez Ateliers et Saveurs.