La génération Y est-elle obsédée par tout ce qui se mange? À voir les jeunes adultes courir les restos, dépenser des petites fortunes pour une vodka artisanale ou tapisser les médias sociaux d'images de plats alléchants, tout porte à croire qu'ils sont bel et bien fous de cuisine.

ATTENDRE DEUX HEURES POUR DES CÔTES LEVÉES

L'Américaine Eve Turow est âgée de 28 ans. Elle fait partie de cette génération Y née entre 1980 et 2000. Sur le point de terminer sa maîtrise en écriture, Eve Turow s'est demandé pourquoi elle avait cette manie de dépenser ses maigres économies pour des repas 10 services.

À force d'y réfléchir, elle a constaté qu'elle n'était pas la seule à accorder autant d'importance à la cuisine. Certains de ses amis et collègues d'université ont parcouru des kilomètres pour goûter aux tacos d'un nouveau restaurant à la mode. D'autres ont patienté des heures pour déguster des côtes levées cuites longuement sur un feu de bois.

«Je ne comprenais pas. Nous sommes tous des jeunes ayant grandi durant la récession. Nous achevons nos études, nous n'avons pas d'emploi, nous avons peu d'argent. Nous sommes cassés, mais nous discutons de saveurs de sorbet ou du chef qui a la cote en ce moment», explique Eve Turow, qui s'est penchée sur la question dans un livre intitulé A Taste of Generation Yum.

À force d'interviewer des passionnés de cuisine de tous horizons, du petit fromager au chef de restaurant, en passant par des fermiers et des baristas, Eve Turow a constaté que tous étaient à la recherche de quelque chose de tangible, d'une expérience réelle.

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Pour éveiller les cinq sens, la cuisine est tout appropriée. Une étude citée dans A Taste of Generation Yum confirme même qu'une image de food porn sur l'internet, à la télévision ou dans un magazine est suffisante pour envoyer un signal au cortex gustatif et pour nous faire saliver.

Lorsqu'on a passé une journée de travail rivé à un écran d'ordinateur et ses pauses à pianoter sur un écran de téléphone, la cuisine n'est pas nécessairement la seule activité terre à terre qui permet de ranimer les sens, affirme l'auteure. L'émergence du mouvement Do It Yourself et le retour à l'artisanat ne sont pas étrangers à cette quête du réel entamée par les «Y».

AU QUÉBEC

Ce fort engouement pour la cuisine et l'alimentation dépasse la frontière des États-Unis, estime Nathalie Lachance. Selon cette sociologue de l'alimentation, il n'y a qu'à consulter les blogues québécois sur la gastronomie. Ceux-ci ne sont pas tenus par des baby-boomers, dit-elle. Ils sont écrits par des «Y».

«Quand j'ai fait mon certificat en gestion et pratiques socioculturelles de la gastronomie, il y a sept ans, les gens étaient dans la fin de la trentaine, voire la fin de la quarantaine. Aujourd'hui, lorsqu'on retourne dans le cours, ce sont vraiment des jeunes de la génération Y qui le suivent. Ce sont des blogueurs, des cuisiniers, des jeunes qui ont un intérêt pour la cuisine», constate-t-elle.

Olivier Riopel, également sociologue de l'alimentation, explique que les jeunes de la génération Y n'auront pas accès à la même richesse que les baby-boomers au cours de leur vie. Par contre, en faisant le choix d'avoir des enfants plus tard, ils ont accès à de l'argent plus tôt dans leur vie que leurs parents. C'est également une génération qui a tendance à vouloir dépenser plutôt que de mettre son argent dans un bas de laine comme le faisaient leurs aînés, affirme M. Riopel, lui-même un « Y ».

«C'est une génération qui est caractérisée par sa volonté d'avoir un plaisir immédiat. Elle est très dans les sens, dans l'émotion. Quand les « Y » mettent de l'argent dans quelque chose, ils veulent que ça soit sensoriel. Évidemment, la gastronomie peut amener une multitude de découvertes à travers les sens.»

Olivier Riopel croit que les «Y» ont une manière toute particulière d'aborder l'alimentation. Par contre, il se demande si cet intérêt pour la cuisine est réservé aux « Y » ou aux jeunes en général.

Ça, seul l'avenir nous le dira.

DIS-MOI CE QUE TU MANGES, JE TE DIRAI QUI TU ES

Prendre une photo de son shortcake aux fraises particulièrement réussi et la publier sur les réseaux sociaux. Est-ce une forme d'égoportrait? En quelque sorte, oui, répond Eve Turow, en riant. «La génération Y tente constamment de valoriser son image de marque sur l'internet. On utilise des images de nourriture pour parler de soi. Si on publie une photo d'une salade faite avec du chou frisé acheté au marché fermier, ça dit quelque chose à propos de sa personnalité. Ça dit qu'on est préoccupé par l'environnement, qu'on est éduqué et qu'on a assez d'argent pour acheter des produits bios au marché. C'est une représentation de ses valeurs.»

LES «Y» ET LA CUISINE EN CHIFFRES

Pour la première fois en 2014, les adolescents américains ont dépensé plus d'argent dans des restaurants que dans des boutiques de vêtements. (Piper Jaffray, 2014)

42 % des Américains de la génération Y mangent au moins une fois par mois dans un restaurant de fine cuisine, ce qui est deux fois plus que leurs parents. (Technomic, 2012)

50 % des Américains de la génération Y se considèrent comme des foodies. (BBDO Atlanta, 2013)

Les Américains de moins de 30 ans dépensent 75 % plus d'argent que la moyenne sur leur nourriture. À l'inverse, les baby-boomers de 55 ans et plus dépensent 16 % moins d'argent que la moyenne sur leur nourriture. (A Taste of Generation Yum, 2015)

88 % des Y affirment qu'ils regardent parfois leur téléphone en mangeant. En revanche, 44 % des Y détestent quand quelqu'un d'autre à table consulte son téléphone. (BBDO Atlanta, 2013)

70 % des Américains de la génération Y disent qu'ils recherchent de plus en plus des expériences qui stimulent leurs sens. Plus de 50 % des Y affirment se sentir de plus en plus déconnectés du monde physique. (JWT Intelligence, 2013)

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