Jasey-Jay Anderson, 38 ans, était l'olympien le plus vieux sur les pentes à Sotchi, lorsqu'il a disputé l'épreuve de slalom géant parallèle de surf des neiges. Le vétéran de Mont-Tremblant en était à sa cinquième participation olympique, et ce, quatre ans après avoir remporté l'or à Vancouver. Fort d'une grande expérience, ce père de famille tente tant bien que mal de concilier compétitions, entraînement, travail et famille. Voici son point de vue.

Les membres de la famille

Jasey-Jay Anderson, 38 ans: Artiste, lunatique et passionné.

Manon Morin: Généreuse, c'est le pilier de la famille, la muse de son mari.

Jora: 8 ans

Jy: 7 ans.

Limiter les adieux déchirants

Quand il a un calendrier de compétitions chargé, Jasey-Jay Anderson peut être absent de la maison jusqu'à six mois par année. C'est long. « Lorsque j'ai accès à l'internet, je communique avec ma femme et mes filles tous les jours. » On pourrait croire qu'avec les années, on finit par s'habituer aux départs, à quitter sa famille. Il n'en est rien. « Quand je dois partir, Manon vient me reconduire à l'aéroport, mais je préfère que mes filles n'y soient pas, c'est trop difficile et ça pourrait me faire changer d'idée. On va les reconduire chez leurs grands-parents, elles sont contentes de les voir, alors il y a moins de tristesse. Pour elles et pour moi. » Le scénario idéal, dit-il, c'est d'être légèrement en retard. « Comme ça, j'arrive à l'aéroport et je dois me précipiter pour ne pas rater mon vol. De cette façon, je n'ai pas le temps d'hésiter, de penser. »

Petites attentions bienvenues

Quand Jasey-Jay revient à la maison, c'est un peu la fête. Il joue avec ses filles. Sa femme Manon, qui aime cuisiner, lui mitonne de bons petits plats. « Elle me fait une tarte aux pommes ou des biscuits parce que j'adore ça », disait-il lors d'une entrevue en janvier. « Le fait d'être loin de ma famille me fait apprécier encore plus mon entourage, même si je l'apprécie déjà énormément. » Il le leur souligne à sa façon.

Travailler en famille

Jasey-Jay et sa femme, ensemble depuis l'adolescence, sont de véritables « âmes soeurs », confie le planchiste. Ils se complètent à la perfection à la maison avec leurs filles, mais aussi dans la petite usine de planches à neige que l'athlète a mise sur pied (juxtaposée à la maison familiale) et sur leur bleuetière biologique. Depuis une dizaine d'années, ils exploitent 4000 plants de bleuets. L'athlète a commencé à cultiver des bleuets pour s'éloigner de la pression du sport, pour se ressourcer auprès de sa famille dans la nature. S'il n'est pas sur les pentes, il n'est jamais loin de son chez-soi, de ses proches.

Sa femme, le pilier

Jasey-Jay l'admet, il en fait très peu dans la maison. « Sans Manon, jamais je n'aurais pu connaître la carrière que j'ai connue. C'est le pilier de la famille. Elle s'occupe des filles, de leur bien-être au quotidien, des rendez-vous. Moi, je suis artiste, je ne suis pas fiable et toujours en retard. Elle s'occupe de nos poules. La semaine dernière, notre tracteur était en panne, elle a déneigé la cour toute seule. C'est ma femme qui tient la famille à flot. Elle est «tough», ma Manon », dit-il alors qu'elle lui sert un jus de carottes. À son retour, elle est souvent fatiguée, il le voit, « mais elle ne se plaint jamais ». Il essaie néanmoins de compenser son absence en s'impliquant comme il peut.

Réduire la cadence

Même s'il a toujours 1001 projets en tête, Jasey-Jay aimerait ralentir la cadence prochainement. « J'ai un horaire de fou, je travaille beaucoup trop. J'aimerais juste avoir un «pace» normal. » Il consacre énormément de son temps au développement de son entreprise de planches à neige. C'est son principal défi actuellement. « Je fais le design des planches, les moules, je fais de la paperasse. » Durant l'hiver, alors que son corps travaille fort, il ne peut rester assis plus de deux heures d'affilée. « Sinon, je souffre. J'ai mal au dos, aux genoux. » Alors, quand il est chez lui l'hiver, les tâches au boulot s'accumulent plus qu'il le voudrait. S'il continue de pratiquer son sport à 38 ans, alors qu'il a une impressionnante collection de médailles et d'honneurs, c'est avant tout pour tester ses planches. Le circuit de la Coupe du monde est le meilleur endroit pour mettre à l'essai ses prototypes, dit-il.

Dans les gradins

Jy et Jora étaient dans les gradins lors des JO de Vancouver. Elles criaient à tout rompre pour encourager leur papa qui dévalait la piste vers une médaille d'or, qu'elles ont pu toucher directement sur le podium. « Cette médaille-là ne fait pas de moi un meilleur homme. Je l'échangerais n'importe quand si mes filles tombaient malades. J'ai l'essentiel: une famille en santé », confiait-il alors à La Presse. Il se nourrit de leur présence le long du parcours dès que cela est possible. D'ailleurs, sa femme a été à ses côtés lors de ses quatre présences olympiques. Si elle n'était pas à Sotchi, c'est en raison des coûts exorbitants du voyage. Et aussi parce que cette participation olympique était « complètement beaucoup moins significative ». « Bien sûr, au portillon de départ, je voulais gagner et défendre mon titre. Mais durant la saison, ce ne sont plus les victoires qui me motivent, mais l'apprentissage. » Quand la Coupe du monde s'arrêtait à Stoneham, les femmes de sa vie l'attendaient au bas du parcours. Même sa mère était de la partie. À Sotchi, il a dû faire fi de ce vide.

Avoir la passion

Est-ce que sa présence à Sotchi était son dernier tour de piste olympique? « J'aimerais croire que non, mais l'avenir nous le dira. » Visiblement, Jasey-Jay se plaît en surf des neiges. La passion, même si elle prend un nouveau visage, est toujours là. Après Vancouver, il a annoncé sa retraite. Lors de sa participation à une émission télévisée, il a subi une hernie cervicale. Il est resté alité deux mois, souffrant. « Mon côté gauche a été temporairement paralysé. Quand tu es une personne de défi, qui bouge, c'est difficile, comme une torture. J'ai alors ressenti le besoin de continuer, de me lancer un énorme défi. » Un désir qui l'a mené à Sotchi et qui sait où demain...

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Jasey-Jay Anderson et ses deux filles après sa victoire aux Jeux de Vancouver en 2010.