Témoins privilégiés de l'évolution des jeunes sportifs, les entraîneurs constatent toutefois qu'il serait impossible d'enseigner le sport aujourd'hui comme on le faisait il y a 20 ou 30 ans. En quoi les enfants sont-ils si différents? Pour le savoir, La Presse a rencontré trois entraîneurs qui totalisent ensemble plus de 100 ans d'expérience.

Le jeu avant tout

«Il y a 30 ans, est-ce qu'on aurait dit: "Fais une pointe de tarte" à un enfant qui apprend à skier? Non. C'était du chasse-neige.» Entraîneur de ski depuis les années 50, Bernard Peissard raconte avec humour comment les jeunes sportifs ont changé au fil du temps. S'ils ont toujours «les yeux brillants» en haut des pentes, ils se démarquent de leurs parents et de leurs grands-parents.

«Aujourd'hui, il faut être beaucoup plus créatif qu'avant pour capter l'intérêt des jeunes. Il faut passer par leur imagination. Il faut de la diversité. C'est comme ça que les enfants "accrochent" à un sport.»

À 82 ans, il fait toujours du remplacement au Club de ski Mont-Tremblant, après une longue carrière à enseigner le ski, puis à diriger des programmes de sport-études et des clubs de ski en Estrie, en Outaouais et dans les Laurentides.

«Avant, l'enfant qui commençait à faire du ski au Québec le faisait surtout pour des raisons sociales, fait-il remarquer. Il entrait dans un système où il n'y avait qu'un chemin devant lui. En 2018, il y a 10, 12 façons de faire du ski. L'enfant a tellement de choix!»

L'offre d'activités exponentielle amène les jeunes qui rencontrent des difficultés à changer plus rapidement de sport, ajoute René Parent, enseignant en éducation physique retraité et formateur pour Hockey Québec depuis 35 ans.

«Les enfants sont plus indépendants aujourd'hui», résume-t-il.

Le formateur veille au développement des petits joueurs de hockey de moins de 6 ans au Québec. Tout comme Bernard Peissard, il constate qu'on n'enseigne pas un sport à un enfant d'aujourd'hui comme on le faisait il y a une génération.

«Si j'employais aujourd'hui les mêmes techniques qu'en 1982 pour initier les enfants, il y aurait une chute de participation. Avant, on était plus directifs, on était plus exigeants avec les jeunes.»

Pas question donc de se limiter à faire des tours de patinoire, du patinage intensif entre les lignes et des arrêts brusques. «Il faut être plus ludique, explique M. Parent, qui accompagne sa fille de 10 ans sur la patinoire, après avoir suivi ses deux fils aujourd'hui adultes. On a fait un gros virage pour garder l'intérêt des jeunes. On veut que les enfants aient du plaisir et qu'ils apprennent dans un environnement sous forme de jeu.»

Persévérants, oui, mais...

Josée Picard, entraîneuse pour Patinage Canada, accompagne les patineurs canadiens Julianne Séguin et Charlie Bilodeau aux Jeux olympiques de PyeongChang. Depuis 45 ans, elle tient tout particulièrement au développement des jeunes patineurs dès leurs premiers élans sur la glace. Elle constate elle aussi que sa clientèle change et butine davantage avant de choisir un sport.

«Il y en a beaucoup qui lâchent et qui n'ont pas la persévérance de continuer. Par contre, ceux qui restent sont les mêmes jeunes qu'on voyait avant. Ce sont des jeunes passionnés.»

Sur les pentes, Bernard Peissard sourit lorsqu'il parle de l'enthousiasme des jeunes qui sont mordus d'un sport. «Je leur explique qu'il y a des étapes à franchir pour arriver au sommet. Il faut de la patience. On ne chausse pas des skis aujourd'hui pour être champion demain. Demain, c'est dans 10 ans! Or, l'enfant est habitué à trouver une réponse à ses questions tout de suite», raconte-t-il.

Cette persévérance est la clé du développement des jeunes sportifs, croit René Parent. «On veut qu'ils réussissent vite, mais il faut comprendre que lorsque c'est la passion qui les anime, ils vont mettre beaucoup plus d'efforts... et c'est là qu'on va voir des résultats. On doit travailler ça avec les jeunes aujourd'hui», explique le formateur.

Une théorie partagée par les autres entraîneurs interrogés. L'enfant qui a découvert le sport qui lui convient déploiera volontiers les efforts pour progresser, assure Josée Picard. «Le succès, peu importe le niveau, ce n'est pas une question de talent, mais plus de persévérance, explique-t-elle. On le voit lorsqu'ils ont des étoiles dans les yeux. Et ça, ça n'a pas changé au fil du temps.»

Sont-ils meilleurs que ceux d'hier?

La technologie à leur service

Les entraîneurs d'expérience sont unanimes: l'équipement mieux adapté et une meilleure circulation de l'information rendent les jeunes d'aujourd'hui plus performants à bien des égards. S'ils sont passionnés, ils peaufinent ainsi plus rapidement de nombreux aspects de leur jeu.

«Le jeune aujourd'hui qui fait de la descente en skis, on peut le filmer et il peut revoir sa technique instantanément», explique Bernard Peissard, entraîneur depuis plus de 60 ans. Il pointe alors notre téléphone intelligent: «La technologie, ça peut être très positif. Il faut juste qu'on enseigne aux jeunes à s'en servir comme il faut. Si je leur parle de tel coureur, ils vont aller vérifier ce que je leur ai dit. Ils reviennent le lendemain en me disant: "T'avais raison!" Bien utilisé, ça les accompagne dans leur entraînement.»

Josée Picard abonde dans le même sens. «Je pense que les enfants d'aujourd'hui sont moins naïfs, expose-t-elle. Ils voyagent plus et ils voient plus de choses en ligne. Ils font des choses à 10 ans que nous, on faisait à 16 ans.»

Sont-ils meilleurs qu'avant? «Je ne dirais pas ça, nuance-t-elle. Ils font des choses plus difficiles, oui, mais il faut garder en tête que le sport a évolué aussi.»

Mieux encadrés

Tous les professionnels qui gravitent autour des enfants les plus motivés les amènent en effet plus loin qu'avant, ajoute Bernard Peissard. «En 1980, on ne parlait que de technique et de musculation. Tout ça, sans le mental, c'est zéro! Si, à l'époque, j'avais dit à une mère que son fils avait besoin du soutien d'un psychologue, elle m'aurait répondu: "Non, mais, mon fils n'est pas malade!" Aujourd'hui, on sait qu'à un certain niveau, le psychologue sportif est important. De même que le préparateur physique, le physiothérapeute, le nutritionniste, etc. Ça fait toute une différence.»

La technologie permet aussi d'amener les enfants à réussir des prouesses techniques plus rapidement. «En patinage, on a tous des outils qui nous permettent de mieux enseigner, comme des applications qui nous permettent d'analyser la vitesse, la hauteur des sauts, ou combien de temps on doit être dans les airs pour être capable de faire un certain nombre de révolutions, précise Mme Picard. Avant, on y allait à l'aveuglette. Les athlètes ont aussi la chance d'avoir toute une équipe derrière eux. Grâce à ça, on voit, par exemple, beaucoup plus de quadruples sauts qu'avant chez les jeunes.»

Un bémol

S'il constate que les jeunes arrivent plus rapidement à patiner avec aisance, René Parent craint que la surexposition à une seule activité amène beaucoup de jeunes à abandonner ce sport. «Il n'est pas rare de voir des enfants qui commencent à patiner à 3 ans et qui, à 6 ou 7 ans, sont d'excellents patineurs. Par contre, il faut faire attention à ne pas faire que ça: il y a un risque qu'ils se désintéressent de ce sport plus rapidement. En bas âge, il faut développer les habiletés motrices fondamentales : sauter, lancer, botter, courir, etc. Avant de devenir un joueur de hockey, il faut être un bon athlète à la base. On crée aujourd'hui des spécialistes dans leur sport beaucoup trop tôt.»

L'enseignant en éducation physique à la retraite s'inquiète de voir de plus en plus d'enfants ignorer les bases de sports communs comme le baseball ou le tennis. «Je vois beaucoup de jeunes aujourd'hui qui ne savent pas tenir un bâton de baseball, ou qui ne savent pas lancer une balle. En 1982, tout le monde avait un gant et une balle. À long terme, ça n'aidera pas nos enfants d'être des spécialistes d'un seul sport.»

Et les parents?Si les enfants arrivent plus informés aux entraînements, les parents aussi. «Des coachs d'estrades, on dirait qu'il y en a plus qu'avant, constate Josée Picard. Je ne dis pas que j'en ai beaucoup dans mon club, mais on en voit plus qui regardent des vidéos et qui pensent savoir comment on fait un mouvement même s'ils n'ont jamais patiné.» À un niveau compétitif, certains parents s'inquiètent de constater que leur enfant ne progresse pas aussi vite qu'un adversaire. «Les compétitions du monde entier sont toutes diffusées en ligne. On peut aujourd'hui étudier les mouvements d'un petit Russe de 10 ans au ralenti: toute cette information amène des parents à se demander pourquoi leur fille n'est pas encore capable de faire la même chose», ajoute Mme Picard. Au fil des décennies, Bernard Peissard a constaté la même insécurité chez beaucoup de parents. «On doit leur dire: "Faites confiance à l'entraîneur... et à votre enfant! On peut discuter, vous pouvez vous impliquer, mais faites-nous confiance."»

Photo Martin Tremblay, La Presse

Josée Picard peut compter sur plusieurs applications pour l'aider à analyser les performances des patineurs qu'elle entraîne.

Conseils de coachs

Et maintenant, comment accompagner ces jeunes ultra-informés, encadrés et sollicités de toutes parts? Voici les conseils de nos experts aux parents d'enfants sportifs.

Profiter de ces moments

«Un des plus beaux cadeaux que j'ai eu dans ma vie, c'est de me faire dire par mes deux gars: "Merci, papa, pour ce que tu as fait pour nous." Je fais juste y penser... et ça me ramène en arrière, raconte René Parent, la voix étranglée par l'émotion. C'est ça, le sport: ça nous permet, comme parents, de vivre des moments magiques avec nos enfants.» Le formateur pour Hockey Québec insiste sur ce point: il faut voir le sport comme un moyen d'enseigner des valeurs aux jeunes. «Par le sport, on peut développer de meilleures personnes. C'est une école de vie.»

De la passion à l'autonomie

«Il faut encourager la passion sans obsession, résume Bernard Peissard, entraîneur depuis plus de 60 ans. À un moment donné, il ne faut pas parler de sport le matin, puis au souper, puis dans la voiture après les entraînements... Il faut faire aussi confiance à son enfant. Il a fait un choix, il prend des décisions et il doit apprendre à vivre avec.» Le sport, c'est un moyen pour les jeunes de devenir indépendants, résume-t-il. Une autonomie qui s'acquiert lorsqu'un jeune doit lui-même préparer son matériel, mais aussi lorsqu'il décide de son plan d'entraînement, ou même de pratiquer ou non une activité sportive.

Croire que c'est possible

La passion pour un sport ne se commande pas, mais lorsqu'elle se manifeste, les rêves des jeunes sportifs sont précieux, souligne Josée Picard, entraîneuse pour Patinage Canada. «Il faut faire confiance à l'enfant. S'il aime vraiment son sport et qu'il dit qu'il veut aller plus loin, il faut le croire et l'encourager à s'impliquer. L'accompagner! Un rêve, c'est quelque chose qui commence de bonne heure dans la tête d'un enfant. Ça ne vient pas des parents. En fait, ça vient toujours des enfants.»

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE