C'est la saison des inscriptions. Pour plusieurs familles, selon le quartier, à 4 ans, la question se pose: garderie ou maternelle 4 ans? Une question à laquelle de plus en plus de parents risquent de faire face, avec l'implantation progressive de classes de maternelle 4 ans dans les prochaines années. Portrait de deux journées, dans deux mondes franchement différents.

CPE: comme une grande famille

Dans le groupe des Lucioles, avec Martine (l'éducatrice), ils sont 10. Dix bambins de 4 ans, qui se connaissent pour la plupart depuis toujours. Normal: la majorité est au CPE depuis la pouponnière, la toute petite enfance.

Le CPE du Carrefour, dans Hochelaga-Maisonneuve, compte trois installations. Celle où nous sommes allés, rue Provençale, par une froide journée de fin novembre, compte une pataugeoire où les enfants vont l'été et un parc adjacent où ils se rendent été comme hiver, beau temps, mauvais temps. «On sort tous les jours», nous répète Martine, éducatrice ici depuis 16 ans. «J'aime beaucoup ça, cette cour. Quand je sens un trop-plein d'énergie, on sort!»

L'accueil

Il est 8 h 30. Les enfants arrivent au compte-goutte. Chaque fois, le même scénario se produit: l'enfant fait un premier câlin à son parent, puis un deuxième à Martine, avant de partir en courant jouer dans le local, un joyeux brouhaha surchargé de dessins, bacs de construction et autres bricolages de saison. Un père arrive plus tard que d'habitude parce que, ce matin-là, il a laissé fiston dormir. «Demain, on va où?», demande un enfant. «Aujourd'hui, insiste tranquillement Martine, on va dans la cour», dit-elle en pointant vers un calendrier coloré. C'est qu'à 4 ans, demain, c'est compliqué.

La collation

9 h. Martine éteint la lumière. «C'est le temps de ramasser», chante-t-elle. La bruyante équipe enchaîne «ramasser, ramasser» en rangeant les jouets. Un à un, les enfants vont se laver les mains avant de s'asseoir à la table, l'instant d'une collation. Des quartiers d'orange visiblement très appréciés. «Encore, sivouplé!»

Le cercle magique

Après la collation, le lavage des mains, des tables, Martine s'assoit avec son petit groupe en cercle par terre. «Bonjour. Alors aujourd'hui on est...?» «Mercredi matin, le roi, sa femme et le petit prince» chantent en choeur tous les enfants. On discute un peu, mais visiblement (est-ce à cause de notre présence?), ils sont surexcités. «Bon, on va se lever, je sens qu'on a besoin de bouger!», déclare Martine, au plus grand bonheur de tous.

10 h, On sort!

Ce n'est pas une mince affaire que de sortir tout ce joyeux petit monde. Après les pipis, les manteaux à zipper («Martiiiine, je veux que tu m'attaches!»), les bottes à attacher, il faut un bon 15-20 minutes avant de sortir enfin. On passe une demi-heure à courir dans le parc (littéralement, sans cesse, en long, en rond, en long encore), puis la dynamique bande se déplace à deux coins de rue, dans une cour d'école («pour préparer les enfants, les familiariser avec la cloche, etc.»). L'éducatrice laisse à nouveau les enfants jouer librement.

Le dîner

Les enfants rentrent à la file indienne à la garderie afin de se préparer pour le dîner. Pas de doute: ils sont affamés. Arrivent enfin les plateaux: trois gros plats de riz brun, de brocolis et de boulettes. Deux fillettes font le service (sans miraculeusement rien échapper). «Une ou deux boulettes?» Tout le monde en veut deux. «On ne mange pas tout de suite», lance un enfant à son voisin. Une fois tout ce beau monde servi, les enfants entament avec entrain: «Bon appétit, les amis!»

La sieste

Après le repas, les enfants rapportent leur assiette, la vident, puis la déposent dans l'évier. L'énervement est palpable. On a du mal à croire qu'ils vont dormir dans quelques minutes. «Oh oui, tu vas voir, confirme Martine, ça va prendre cinq minutes.» Effectivement. Une fois tous les matelas placés, elle éteint la lumière et fait jouer une histoire audio. «Quand l'histoire commence, c'est le silence total», dit-elle d'un ton ferme. Boucles d'or prend ensuite le relais. Et le tour est joué: comme par magie, on entendrait tout à coup une mouche voler.

La fin de la journée

Deux heures plus tard, pas un bruit ne sort encore du local. Martine ouvre les rideaux, et les enfants se réveillent un à un, la tête tout ébouriffée. «Aujourd'hui, je les ai sentis très énervés, alors je ne fais pas d'activité qui nécessite des consignes. Ça va être des jeux libres!», nous dit Martine. Elle ne le cache pas: «Mon but, c'est qu'ils aient du plaisir. Des beaux sourires, c'est ça qui est important.» Oui, ils font des apprentissages, mais toujours par le jeu, dit-elle. «Je ne vais pas m'asseoir et réciter les jours de la semaine. J'essaye beaucoup de suivre leurs intérêts.» Mandalas, jeux de construction, il y en a d'ailleurs pour tous les goûts.

À 15 h, ce sera la collation, puis un à un, les parents arriveront dans le local. Un bisou à l'éducatrice, un câlin aux amis, et puis «bye!», «à demain!». «Le local, c'est un petit peu comme à la maison...»

Maternelle 4 ans: à l'école pour de vrai

Ils sont 14 dans la classe de maternelle 4 ans de «madame Ourdia». Du groupe, un seul prénom québécois. Mais beaucoup de Uddin, Imrane, Aarya. On comprend pourquoi: ici, la langue le plus souvent parlée à la maison, après le français, c'est le bengali!

L'école primaire Champlain, dans Hochelaga-Maisonneuve, où nous avons passé une journée à la fin du mois de novembre dernier, est une des rares à offrir la maternelle 4 ans à temps plein.

Dans notre classe, aucun enfant n'a fréquenté un CPE. Seuls quatre ont été en garderie. Les autres sont toujours restés à la maison. À la rentrée, plusieurs ne savaient pas tenir un crayon, découper, ni respecter une consigne. Un enfant, pourtant né ici, ne disait pas un seul mot de français. «Des fois, j'ai l'impression que je les surcharge, confie l'enseignante, Ourdia Houchi. Mais on a deux ou trois ans à rattraper...»

La cloche

Il est 8 h 55. Une dizaine de parents attendent dans la cour d'école avec leur enfant. Ici, les parents n'ont pas le droit de circuler à l'intérieur. Ils doivent attendre dehors. Quand l'enseignante arrive enfin, tout le monde se met en rang. «Bye, papa!», lance une petite.

Après le déshabillage, madame Ourdia fait entrer tous les enfants dans la classe, une belle grande salle éclairée, organisée, colorée. C'est l'heure de la routine du matin. Tous les enfants vont s'asseoir par terre, devant un grand tableau vert. Madame Ourdia s'installe sur un tabouret et invite l'«ami du jour» à ses côtés. «On est quel jour aujourd'hui?» Le bambin pointe vers «mercredi», puis tous les enfants enchaînent en choeur: «Un, deux, trois...» jusqu'à 23. «Mercredi le 23 novembre 2016!», récitent-ils.

Les suites logiques

Après une brève collation, le lavage des mains, de la bouche, quelques exercices physiques («on a besoin de bouger un peu!»), retour devant un tableau blanc cette fois, le tableau numérique interactif. «Écoute mon activité maintenant. On va faire des suites.» Lentement, sous le regard attentif des enfants, elle dessine un cercle, puis un triangle. Et ainsi de suite. «Ça s'appelle une suite logique.»

Exercices de suites

Il est 10 h. Les enfants sont tous assis à une table, avec différents bacs de jouets, à faire des suites logiques à leur tour: «Rouge, bleu, rouge, bleu.» Madame Ourdia supervise le travail en passant voir chaque enfant, individuellement. «Continue, tu as très bien fait.» Une gamine aligne les couleurs à sa guise: «Mais elle est où, ta suite?» «Moi, je fais des suites arc-en-ciel!»

Jeux libres

10 h 20. Depuis qu'il fait plus froid, les enfants ne sortent plus. «C'est trop long, avec l'habillage», nous explique une éducatrice, qui donne un coup de main à madame Ourdia le matin. Au lieu de quoi, après l'activité des suites, ils peuvent tous se choisir un jeu. «C'est sûr qu'ils voudraient jouer plus, confie l'enseignante. Mais on a des contraintes. Et les parents veulent des apprentissages!»

Le dîner

11 h 05. «Les amis qui mangent à la maison, tu t'habilles.» Tous les enfants vont au vestiaire en chantant «je m'habille pour aller dehors, je n'ai pas peur du vent du nord...». Mine de rien, ça leur prend 20 bonnes minutes à être prêts. Madame Ourdia accompagne à la porte les enfants qui partent à la maison, tandis que le petit groupe qui mange ici se dirige vers une grande salle, qui fait office de cafétéria. Les enfants mangent en silence. Ensuite, ils iront jouer dehors une demi-heure, dans une belle grande cour aménagée.

La sieste

Une fois tous les enfants rentrés du dîner, après la routine du pipi, chacun se couche sur son tapis. Madame Ourdia choisit un livre et s'installe à nouveau sur son tabouret. Elle lit doucement une histoire. Après quoi, elle ferme tous les rideaux. Puis met une musique douce. Un enfant fait le tour de la classe, pour caresser doucement le dos de ses camarades. La sieste ne dure que 40 minutes. Seuls trois enfants s'assoupissent vraiment.

La fin de la journée

Il est 14 h. «C'est la partie la plus dure! Ça me fend le coeur, confie madame Ourdia en réveillant les enfants. Mais sinon, ils pourraient dormir jusqu'à 15 h!» Or, pas le choix, une autre activité les attend: le deuxième jeu libre, avant de rentrer à la maison! Dans la classe, seuls deux enfants iront au service de garde. Tous les autres partiront à la maison vers 15 h. «À la garderie, ma fille n'apprenait plus rien. Je voyais qu'elle avait une soif de savoir plus de choses...», nous explique une maman, Julie Maltais, croisée dans la cour. Et comme sa grande soeur rentrait à son tour en maternelle (5 ans), le choix n'a pas été trop difficile à faire. «Je ne me suis pas posé de questions!»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

«Dans une suite, on va recommencer des choses, explique madame Ourdia. Pour une suite, il faut au moins deux choses.»

CPE ou maternelle: l'avis des experts

Le ministre de l'Éducation Sébastien Proulx jongle avec l'idée d'implanter progressivement la maternelle dès 4 ans à l'échelle du Québec. Pour plusieurs familles de Rosemont, Côte-des-Neiges, Hochelaga-Maisonneuve ou autres quartiers plus défavorisés, en cette saison des inscriptions, la question se pose déjà: garderie ou maternelle 4 ans? Statu quo ou entrée précoce à l'école? Comment faire le meilleur choix pour son enfant? Voici ce qu'il faut savoir.

Plus-value éducative

Pour le psychologue Égide Royer, la réponse ne fait aucun doute: «Il y a une plus-value éducative», dit-il, «très réelle» à envoyer son enfant en maternelle 4 ans «de qualité». La découverte des sons, des lettres, des formes par le jeu, par du personnel formé à l'université «pour les jeunes en difficulté», entre autres, dit-il, «c'est très pertinent».

Pas que pour les jeunes défavorisés

L'expert en adaptation scolaire, qui travaille sur le décrochage depuis 40 ans, venait d'assister aux consultations publiques sur la réussite éducative lors de notre entretien. Selon lui, on fait fausse route en n'offrant, comme c'est le cas en ce moment, les maternelles 4 ans qu'aux quartiers défavorisés. S'appuyant sur une recherche longitudinale réalisée au Canada sur plus de 20 000 enfants, il rappelle que la vulnérabilité, ce n'est pas qu'une question de revenus. «Le style parental, la cohésion familiale, la santé mentale de la mère et le niveau d'engagement des parents sont des facteurs beaucoup plus importants que le revenu.» D'où l'importance, selon lui, d'élargir le réseau des maternelles 4 ans à tous les quartiers du Québec, défavorisés ou pas.

Services spécialisés

Car l'école a une longueur d'avance, poursuit le psychologue, quand vient le temps d'aider un élève vulnérable. Que ce soit en termes de services professionnels, orthophonie ou autres, «les possibilités de recevoir des services sont beaucoup moins importantes en garderie ou même en CPE».

«Si on veut augmenter la réussite scolaire au Québec, les garderies ne sont pas suffisantes. Il faut aller vers les maternelles 4 ans», explique Égide Royer. Et la recherche est ici limpide: «Il faut intervenir tôt!», dit-il.

Et l'exemple de la Finlande?

Quoi penser de pays comme la Finlande, alors, qui retardent l'entrée à l'école, dont les élèves excellent par ailleurs à long terme? «C'est tout un autre contexte», répond le chercheur, rappelant qu'en Finlande, un seul candidat sur dix est admis en éducation. «Et tous les intervenants ont au moins une maîtrise, dit-il. L'Amérique du Nord est plus proche de notre réalité à nous.» Et en Amérique du Nord, les exemples les plus inspirants viennent, selon lui, de l'Ontario, avec des maternelles 4 ans dites «jardin», ou de New York, avec son programme de «prématernelles» universelles.

Et nos CPE, alors?

«Spontanément, moi, je vous dirais qu'on a ici un système de CPE intéressant, novateur, qui peut offrir un service de qualité (même si ce n'est pas égal partout), rétorque Francine Ferland, ergothérapeute et spécialiste du développement des enfants. Si un enfant fonctionne bien en CPE, je ne vois pas de nécessité de le bouger.» Car l'objectif des CPE, faut-il le rappeler, est justement de préparer les enfants à entrer en maternelle (5 ans). Cette préparation passe essentiellement par le jeu. «Le jeu favorise la créativité, l'apprentissage des mathématiques, la perception dans l'espace, fait valoir la conférencière et auteure. Mais les parents ne le saisissent pas toujours à sa juste valeur.» Et en misant sur une scolarisation précoce, certains pourraient malgré eux provoquer un effet tristement pervers. «On met peut-être un certain stress de performance sur l'enfant...», met en garde l'experte. Et ce, dès 4 ans...

Maternelle 4 ans: temps plein, temps partiel

En 2013, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi 23, qui permet l'ouverture de maternelles 4 ans à temps plein en milieu défavorisé. Une cinquantaine ont été ouvertes à l'époque. Cette année, 100 classes supplémentaires ont été annoncées, à travers 68 commissions scolaires. Celles-ci viennent s'ajouter aux maternelles à demi-temps déjà existantes. Attention, il ne s'agit pas ici de remplacer les CPE, mais plutôt de rejoindre une population qui ne fréquente pas les services de garde pour diverses raisons (accessibilité et disponibilité) et qui pourrait toutefois grandement en bénéficier. On pense ici aux familles à faibles revenus, monoparentales et immigrantes. On vise le développement global de l'enfant dans cinq sphères: affective, sociale, langagière, cognitive et motrice. Le but? En gros, on espère leur donner le coup de pouce nécessaire pour commencer l'école du bon pied.

Photo Marco Campanozzi, La Presse