Grimper sur la glissoire, repousser les bisous mouillés de la grand-mère, parler aux étrangers, refuser de faire ses devoirs. Et si c'était ça, être un enfant ? Et si, surtout, c'était très bien ainsi ? Un nouveau livre propose une série de règles qui sortent du cadre pour élever des enfants créatifs, indépendants et confiants.

En finir avec la peur, la sécurité et les devoirs

Après avoir publié un livre contre l'obsession du partage chez les tout-petits (It's OK Not to Share), l'auteure, militante et mère de famille américaine Heather Shumaker en remet avec It's OK to go UP the Slide, un manifeste en faveur du droit des enfants de jouer librement, en prenant des risques, et de se faire mal (parfois !) afin d'apprendre et de grandir à travers tout ça.

Pour ce faire, elle propose une série de « règles » peu orthodoxes, certes, mais souvent pleines de bon sens, s'appuyant sur une foule de recherches récentes.

« On en sait plus que jamais sur le développement du cerveau des enfants et sur l'importance du jeu, indique l'auteure. Et pourtant, on n'a jamais fait autant le contraire, socialement. Il y a un énorme écart. Il est temps que ça change ! »

Si les faits dénoncés ne sont pas nouveaux (on le sait, les enfants jouent de moins en moins dehors, ne marchent plus pour aller à l'école, sont submergés d'activités organisées et croulent sous les devoirs et les écrans), ses propositions pour y remédier ont de quoi nous surprendre. Pour cause : Heather Shumaker, qui ne cache pas son éducation alternative (elle a fréquenté une école « informelle » sans chaises, bureaux, leçons ou devoirs au primaire), veut brasser la cage et bousculer les idées reçues en matière d'éducation des enfants.

Prendre des risques

Pour en finir avec les « attention ! » et autres « tu vas te faire mal ! », elle suggère aux parents de laisser leurs enfants prendre des risques calculés. Selon elle, un enfant peut et doit apprendre à traverser la rue tout seul, couper avec un couteau tranchant, ou même jouer dehors sans toujours avoir un parent sur son dos.

Évidemment, le titre provocateur et accrocheur de son livre - que l'on peut traduire par C'est correct de grimper sur la glissoire - est une métaphore. « Mon livre ne traite pas que de modules de jeu ! », dit d'ailleurs Heather Shumaker, qui est mère de deux enfants de 8 et 11 ans.

Mais la métaphore de la glissoire en dit long. Car tous les parents ont un jour été placés devant cette question existentielle : faut-il laisser son enfant grimper pour remonter la glissoire ?

Alors que faire ? Insister sur une seule et unique règle, parce qu'on a toujours fait comme ça ? Ou alors laisser son enfant explorer, au risque qu'il se fasse mal, certes, et de devoir trouver une solution, si d'aventure d'autres enfants veulent glisser ?

« C'est une belle occasion de développer des outils de résolution de conflit », tranche l'auteure, qui croit aussi que les enfants ont beaucoup à apprendre de toutes ces expériences.

Malheureusement, poursuit-elle, « les parents vivent dans une culture de la peur. Ils ont tous peur de laisser leurs enfants prendre des risques ».

Finie, la sécurité à tout prix

La première règle proposée par l'auteure est la fin de l'obsession sécuritaire. Pourquoi ? Si les tout-petits doivent être constamment surveillés, les enfants plus vieux (le livre s'adresse aux parents d'enfants de 2 à 11 ans, environ) ont besoin d'air pour grandir socialement, émotivement, créativement et physiquement. « Les risques permettent d'acquérir des compétences », écrit-elle. 

Non seulement c'est en courant trop vite ou en grimpant trop haut que les enfants découvrent leurs limites, mais c'est ainsi qu'ils les dépassent. Qu'ils expérimentent la résilience et la persévérance. Bref, qu'ils gagnent en confiance et en indépendance.

Autre règle, qui découle de la première : en finir avec l'interdiction de parler aux étrangers. « Non seulement c'est bon, mais c'est même mieux de parler aux étrangers, dit-elle, car bien souvent, ils vont aider ! »

L'idée : donner aux enfants des outils pour fonctionner en société, au lieu de les geler dans la peur de l'étranger, propose-t-elle. Faut-il le rappeler ? C'est rarement un pur inconnu qui risque de faire du mal à un enfant. Dans 80 % des cas d'enlèvement, c'est un membre de la famille qui est en cause. Idem pour les cas de sévices où, neuf fois sur dix, l'enfant connaît déjà son agresseur. 

L'auteure rappelle aussi, chiffres à l'appui, que le monde n'a jamais été aussi sûr. D'après les données du FBI, la criminalité a diminué de moitié entre 1994 et 2014. Et selon le département américain de la Justice, le nombre de crimes violents est aussi à son plus bas depuis 40 ans. Aux États-Unis comme dans bon nombre de pays occidentaux, les risques de se faire kidnapper par un étranger sont de 0,00000153 %, écrit-elle.

Les vrais dangers sont aujourd'hui ailleurs, poursuit l'auteure. L'académie américaine de pédiatrie dénonce régulièrement l'obésité rampante, sans parler des cas d'anxiété et de dépression, de plus en plus précoces. Là sont les vrais problèmes, même s'ils sont moins sexy qu'un enlèvement spectaculaire ou une disparition mystérieuse, tels qu'ils sont rapportés dans les médias ou sur les réseaux sociaux...

Adieux, les devoirs

Son deuxième cheval de bataille : la fin des devoirs. Car si l'on veut que nos enfants se dépensent physiquement et qu'ils soient épanouis et moins stressés, encore faut-il qu'ils en aient le temps. « Les enfants ont besoin d'une pause ! dit Mme Shumaker. Les devoirs ne sont tout simplement pas utiles. »

L'auteure n'est pas la première à le dire. Un chercheur de l'Université Duke a analysé près de 200 études sur la question. Résultat ? « Au primaire, il n'y a aucune corrélation entre le temps passé à faire des devoirs et le succès scolaire », écrit-il. Vers le début du secondaire, on note « une certaine corrélation », sans plus.

D'où la thèse de Heather Shumaker, qui revendique davantage de temps pour que les enfants puissent jouer, dormir, lire, être en famille, tout simplement. Elle suggère d'en finir avec les batailles entourant les devoirs, ces soirées de combats et de larmes qui n'en finissent plus, et propose au contraire d'impliquer les jeunes dans les tâches familiales, de faire des activités sportives ensemble, de lire en famille, bref, de développer des compétences sociales, émotives et physiques, autres que scolaires.

Mais attention, conclut-elle. Il ne s'agit pas ici de vous transformer en G. O. pour votre enfant. Le livre se termine d'ailleurs précisément sur cette note : la famille n'est pas un centre de divertissement, à la recherche du bonheur à tout prix. Au contraire. « Le bonheur est un produit dérivé. Si les besoins (émotifs, sociaux, physiques) de votre enfant sont comblés, alors il sera heureux. » À méditer...

It's OK to go UP the Slide, Renegade Rules for Raising Confident and Creative Kids

Heather Shumaker

Penguin Random House

2016

384 pages

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

It's OK to go UP the Slide, Renegade Rules for Raising Confident ans Creative Kids, de Heather Shumaker.

Sept règles à adopter

Les bises mouillées des grands-mères, tu refuserasOn a tendance à dire aux enfants d'embrasser grand-maman, de faire un câlin à grand-papa. Pourtant, souvent, pour un tout-petit, surtout s'il ne voit pas sa famille élargie souvent, ce sont presque des étrangers. Or, veut-on vraiment que notre enfant se soumette à des câlins de la part d'étrangers ? « Le respect, c'est aussi entendre un enfant qui ne veut pas être touché. » Un droit de le dire et de l'exprimer, plutôt essentiel à sa sécurité. « Mieux vaut au contraire apprendre aux enfants l'importance de dire non ! », lance l'auteure.

Les mauvaises nouvelles, tu expliquerasLa question se pose, à chaque nouvel attentat, à chaque nouvelle fusillade. Que dire aux enfants ? Heather Shumaker est catégorique : « les enfants en entendent beaucoup plus parler qu'on croit, dit-elle. Mais ils ne comprennent pas nécessairement. Il faut aborder la question avec eux. » Sa philosophie ? « S'ils posent une question, c'est qu'ils sont assez grands pour entendre la réponse. » À vous, parents, de trouver les mots adaptés, selon l'âge et la maturité.

La maternelle, tu repenserasDe plus en plus, les maternelles se transforment en véritables classes, avec moins de jeux libres, davantage d'enseignement. « La maternelle est la nouvelle première année », dénonce l'auteure. Or à 5 ans, un enfant a tellement encore à apprendre du jeu, déplore-t-elle.

Les ogres, monstres et autres histoires qui finissent mal, tu réhabiliterasNon, tous les contes de fées ne finissent pas bien. Ils ne vivent pas toujours heureux avec plein d'enfants. « Il faut aussi raconter des histoires tristes à nos enfants », revendique l'auteure. Parce qu'en édulcorant les récits, on les surprotège et ce faisant, on les empêche de découvrir et vivre toutes sortes d'émotions (la peur, la peine, etc.) pourtant bien réelles. « Il faut les exposer ! »

Les princesses, tu embrasserasBien des parents s'inquiètent de l'obsession des fillettes pour le rose, les paillettes et les princesses. Mais la princesse n'est pas nécessairement faible et soumise, au contraire. Pensez à Elsa, la reine des Neiges ! « Les jeunes enfants cherchent à comprendre leur identité, et jouer à la princesse fait partie de tout cela », rassure l'auteure.

Le droit à la récréation, tu revendiqueras« La récréation est un droit ! » Or malheureusement, de plus en plus, elle est écourtée, organisée, voire carrément annulée. De nos jours, 30 % des écoles primaires américaines n'ont plus de récréation à l'horaire, dénonce Heather Shumaker. « Mais l'éducation physique, ce n'est pas de la récréation ! La récréation, c'est une pause. Les enfants ont besoin, physiquement et mentalement, de ne pas se faire dire quoi faire sans cesse. » Et c'est prouvé : plus il y a de moments de défoulement spontanés, mieux les enfants se portent. Tant psychologiquement que du point de vue scolaire.

L'iPad amish, tu adopterasIl s'agit ici d'une image, vous l'aurez compris, pour encourager les familles à encadrer l'usage des technologies sous leur toit. « L'idée, c'est d'être sélectif et de choisir comment on utilise une nouvelle technologie donnée », suggère Heather Shumaker, faisant allusion aux amish, qui n'adoptent que les technologies qui contribuent aux valeurs de leur communauté. On le sait, les enfants passent beaucoup trop de temps devant les écrans. Or les experts le disent et le répètent : un enfant devrait passer plus de 80 % de son temps d'éveil dans le monde réel. Un peu comme on fait avec la malbouffe, le parent se doit ici de montrer le bon exemple, et ne pas manger des chips ou boire du soda à tous les repas. « La modération n'est pas tout, il faut aussi que le parent soit un modèle », dit-elle.