Un bébé pousse dans le ventre de sa mère, partout de la même façon. Pourtant, les conseils donnés aux futures mamans varient d'un guide de grossesse à l'autre. C'est particulièrement frappant quand on consulte à la fois des livres français et québécois.

Des conseils différents aux futures mamans

Près de 88 000 bébés sont nés au Québec en 2014. Presque autant de femmes - en tenant compte des jumeaux et des triplés - ont probablement consulté un guide de grossesse. Les francophones ont accès à des livres édités au Québec comme à des bouquins venus de France. Même si un bébé se fabrique partout de la même façon, les conseils donnés aux futures mamans sont parfois différents. En voici quelques exemples.

État psychologique de la mère



Au Québec

« Vous et votre conjoint allez éprouver des sentiments très divers durant cette grossesse ; et il se peut que l'émerveillement laisse place à l'inquiétude, précise Mon bébé, je l'attends, je l'élève, de Sélection du Reader's Digest. Efforcez-vous d'exprimer et de comprendre ces sentiments ; ils sont normaux. »

En France

« Le désir d'enfant est avant tout le besoin de retrouver ceux qui nous ont précédés », avance Attendre un enfant, paru chez Hachette Famille. Ce guide cite ensuite Freud, pour qui « cette envie d'enfant est liée au désir incestueux de posséder son père ». Et ajoute, notamment, « qu'enfanter revient à reconnaître sa propre mère comme à l'intérieur de soi ».

État psychologique du père



Au Québec

« Certains conjoints ont des sentiments d'ambivalence envers l'enfant à naître », précise Mon bébé, je l'attends, je l'élève, qui leur conseille d'en parler.

Votre grossesse au jour le jour, paru chez Hurtubise, dresse une liste de « pensées susceptibles de traverser l'esprit de votre compagnon ». Exemples : « Est-ce que cela va changer notre relation ? Est-ce que je pourrai encore sortir avec mes amis, regarder un match de hockey à la télé ? »

En France

L'état psychologique du père est traité plus en profondeur. « La crise identitaire qu'il traverse se décline différemment : le fils, l'amant, le géniteur, le rival, le compagnon se disputent et se partagent la place qui revient au père », indique Le Grand livre de ma grossesse, paru chez Eyrolles.

Certains passages semblent sortis d'une autre époque. « On voit aujourd'hui apparaître des pères très maternants, qui font des câlins », avance Attendre un enfant.

Alcool



Au Québec

Avant même la conception, les futures mamans - et les futurs papas ! - doivent faire une croix sur l'alcool, selon Mon bébé, je l'attends, je l'élève.

« Vous et votre conjoint devez absolument cesser de fumer et de consommer des boissons alcoolisées dès que vous envisagez une grossesse, car le tabac et l'alcool affectent la fécondité, et ils ont tous deux un effet nocif sur le développement du bébé avant et après la naissance », précise ce guide.

En France

Même « au pays du bon vin, les médecins prônent la tolérance zéro en matière d'alcool pour les futures mamans », indique Attendre un enfant. Cette recommandation ne s'étend pas au couple qui désire un bébé, à qui on conseille simplement « de diminuer les excitants, tels que l'alcool et le tabac ».

Lait



Au Québec

« Consommez l'équivalent de deux verres de lait ou de boisson de soya enrichie chaque jour, conseille le Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans, publié par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Complétez vos repas ou collations avec du yogourt ou du fromage, selon vos goûts. »

En France

Mangez « 3 fromages et/ou yaourts par jour », voilà ce que recommande Le Grand livre de ma grossesse. Le lait est décrit en termes négatifs dans Attendre un enfant : « Malgré ses qualités, il n'est pas toujours consommé avec plaisir. Sa teneur en matières grasses provoque une sécrétion salivaire épaisse et désagréable. Sa digestion n'est pas toujours facile, il peut même être à l'origine de diarrhées si vous n'aviez pas l'habitude d'en boire avant votre grossesse. »

Fringales

Au Québec


« Pendant la grossesse, il est courant d'avoir des envies folles de certains aliments, comme des marinades ou de la crème glacée », précise Mon bébé, je l'attends, je l'élève.

En France

« Les fameuses envies de la future maman sont célèbres : des fraises au beau milieu de l'hiver, du camembert en pleine nuit, à moins que ce ne soient des escargots ou de l'andouillette... », énumère Attendre un enfant.

Père à l'accouchement



Au Québec

« Mon conjoint peut-il rester à mes côtés pendant l'accouchement ? », lit-on dans Mon bébé, je l'attends, je l'élève. « Le meilleur assistant est votre conjoint », répond le guide.

Plus nuancé, Votre grossesse au jour le jour précise : « On considère au Québec que les pères doivent absolument assister à l'accouchement. L'idée est pourtant loin de faire l'unanimité. »

En France

« Si 80 % des pères assistent à la naissance de leur enfant, 20 % sont absents, note Attendre un enfant. Certains résistent à toutes les pressions prétextant soit le respect de l'intimité de la future mère, soit des obligations professionnelles, un rendez-vous impossible à déplacer, un voyage d'affaires prévu depuis trop longtemps, soit une incapacité à supporter la vue du sang... »

Allaitement

Au Québec

« Le lait humain est unique et adapté aux besoins particuliers des enfants, indique le Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans. Il est donc le seul lait qui comble tous leurs besoins nutritionnels et immunitaires. »

En France

« Réfléchissez à l'allaitement dès maintenant, conseille Le Grand livre de ma grossesse. Vous pouvez choisir l'allaitement maternel ou artificiel, l'essentiel étant de vous faire votre propre opinion bien avant l'accouchement, et de l'exprimer clairement plus tard à l'équipe soignante sans tenir compte des avis soi-disant autorisés (belle-mère, voisine...). »

Rester séduisante ou porter les vêtements de son conjoint?

« Ce n'est pas parce que votre silhouette s'alourdit que vous ne devez pas rester séduisante », affirme Attendre un enfant, paru chez Hachette Famille en 2014. Les guides de grossesse publiés en France sont formels : la féminité ne doit pas « perdre ses droits », comme le souligne Le Grand livre de ma grossesse, paru chez Eyrolles. Peu importe la taille du bedon.

Dès le troisième mois de grossesse, « c'est le moment de faire du shopping ! », se réjouit Le Grand Livre de ma grossesse. Une nouvelle tenue si tôt « n'est sans doute pas indispensable, mais cela vous fait tellement plaisir », estime Attendre un enfant.

« N'hésitez pas à mettre en valeur ce qui fait votre féminité, poursuit ce livre. Vous avez de jolies jambes ? Montrez-les. » Plus loin, on y lit : « Soignez votre maquillage. » Et même : « Côté parfums, préférez pour l'instant des senteurs fraîches, fleuries ou citronnées. »

Portez des «pantalons de style survêtement»

Au Québec ? À la fin du premier trimestre, Votre grossesse au jour le jour déconseille carrément le magasinage. « Pour le moment, vous pouvez vous arranger en portant vos vêtements les plus larges et vos pantalons et jupes à taille élastique », souligne le guide publié chez Hurtubise.

Au quatrième mois, le conseil donné a l'avantage de faire s'esclaffer toutes celles qui n'ont pas le même gabarit que leur conjoint (et on en connaît quelques-unes...).

« C'est l'occasion ou jamais de passer en revue les affaires de votre compagnon pour voir si vous ne pouvez pas lui emprunter quelques tee-shirts, sweat-shirts et jean», selon l'auteure de Votre grossesse au jour le jour, la Dre Lesley Regan.

Moins loufoque, mais pas très folichon lui non plus, Mon bébé, je l'attends, je l'élève recommande à la femme enceinte de choisir « de jolis vêtements confortables, faciles à entretenir ». Par exemple, « les pantalons de style survêtement sont confortables et ne compriment pas », souligne ce guide paru chez Sélection du Reader's Digest.

«Vous avez envie d'être belle pour le jour J»

Vient le moment où l'accouchement approche. Surtout pas une raison de ne pas être au mieux, selon les guides français. « Vous avez envie d'être belle pour le jour J : vous serez photographiée avec votre enfant, et vous n'avez aucune envie d'apparaître sur les clichés avec une mine défaite », souligne sans ironie Le Grand Livre de ma grossesse. Ce livre conseille à la future maman de prendre rendez-vous chez le coiffeur, de se faire épiler et de s'offrir « un soin du visage en institut », si elle souffre d'acné.

Chez nous ? Le contraste est encore une fois frappant. « Reposez-vous, recommande Mon bébé, je l'attends, je l'élève aux femmes en fin de grossesse. Écoutez de la musique douce, lisez, tricotez pour le bébé. » Si l'envie de « construire le nid », de tout ranger et réorganiser est forte, reconnaît ce guide, « n'en faites pas trop, vous vous fatigueriez ».

Être enceinte en France et au Québec

Anne-Sophie Starck a deux fils. Clément, un garçon de 7 ans né en France, et Noah, un bébé de 3 mois qui a montré le bout de son nez à Québec. Infirmière puéricultrice, la sympathique jeune femme est bien placée pour savoir que la grossesse n'est pas vécue de la même façon dans les deux pays - sans même entrer dans le détail des examens médicaux.

« D'un pays à l'autre, c'est clair qu'il y a une différence dans la façon dont on se perçoit en tant que femme enceinte », observe Mme Starck. 

Selon la société française, la future maman doit d'abord rester une femme. « Ici, c'est sûr que les futures mamans, elles sont cool, note la Française d'origine. C'est notamment une question de climat : on ne peut pas mettre de petites chaussures en hiver, il faut porter de grosses bottes. Il faut aussi dire qu'il y a plus de boutiques pour les femmes enceintes en France. Ça donne peut-être plus envie d'acheter... »

Considérée comme fragile

Par contre, « au Québec, on est moins considérée comme une personne fragile quand on est enceinte, souligne Mme Starck, qui est également motivatrice pour des programmes de sport à la maison. Dans la culture française, c'est recommandé de se reposer pendant sa grossesse. Il vaut mieux ne rien faire ».

Des affiches demandent aux clients des supermarchés de laisser les femmes enceintes passer devant eux, aux caisses. Pareil dans les administrations. « Vous avez un coupe-file si vous êtes enceinte, explique la jeune maman. Je n'ai pas vu ça ici. »

Plus écoutée

L'accent mis sur les bouleversements psychologiques vécus par les futurs parents dans les guides de grossesse français n'étonne pas Mme Starck. « Règle générale, le problème du Français, c'est qu'il va utiliser des mots compliqués pour dire des choses simples, dit-elle avec humour. Ce que j'ai pu voir à l'hôpital Sainte-Justine, où j'ai fait mon stage de reconnaissance comme infirmière, et au Centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL), en tant que maman, c'est que les professionnels de la santé vous expliquent simplement la situation au Québec. Le patient est plus intégré aux soins. »

À Sainte-Justine, la jeune femme a toutefois été surprise de voir une collègue travailler jusqu'à 36 semaines de grossesse. « Elle courait partout dans le service, se souvient-elle. En France, on ne verrait jamais ça. C'est très rare, les femmes qui prennent moins de six semaines de congé de maternité avant l'accouchement. De surcroît quand on est infirmière. »

La reprise du travail vient toutefois très vite, avec 14 semaines de congé au total. « Il faut redevenir la femme du monde, qui travaille tout de suite et qui laisse son bébé à la garderie, souligne Mme Starck. C'est un peu difficile quand on est très maternelle. »

L'avis de l'experte

Professeure au département de psychologie de l'UQAM, Marie Hazan s'intéresse au couple et à la grossesse. La Presse l'a jointe pour parler des guides de maternité édités en France - où Mme Hazan a vécu - et ici.

Les livres de grossesse multiplient les recommandations, parfois différentes d'un ouvrage à l'autre. Est-ce que cela vous étonne ?

Non, cela ne m'étonne pas du tout. Dire aux futures mères - et maintenant aux futurs pères - quoi faire en préconisant une chose et son contraire, et surtout sans être à l'écoute de ce qui les préoccupe, c'est monnaie courante ! Ces conseils en disent plus sur les attentes des auteurs que sur les inquiétudes des lecteurs. Ils ont souvent une visée normative, même si c'est de façon involontaire.

Les guides français soulignent l'importance pour la femme de rester séduisante, tandis que ceux édités au Québec recommandent de piger dans la garde-robe du conjoint pour ne pas gaspiller d'argent en vêtements de maternité. Comment cela s'explique-t-il ?

Je trouve intéressant et amusant que certains livres insistent sur la féminité, d'autres sur la parité (emprunter les vastes chemises du conjoint !). Peut-être s'agit-il surtout de la volonté de symétrie entre les hommes et les femmes, qui prévaut au Québec plus qu'en France, où les rôles familiaux demeurent encore plus traditionnels.

La volonté d'égalité est louable, nécessaire et bienvenue, mais elle recouvre parfois un déni. C'est vraiment au moment de la grossesse, de l'accouchement et de l'allaitement éventuel qu'on fait face à la différence des sexes.

Les couples d'aujourd'hui y sont paradoxalement mal préparés, parce qu'ils s'attendent à tout partager. C'est vraiment merveilleux quand les hommes s'impliquent avec enthousiasme, mais il peut y avoir des (mauvaises) surprises au moment de l'arrivée de bébé, si les attentes sont trop grandes et irréalistes. Par exemple, quand l'un est au travail et l'autre à la maison, ce qui crée une situation nouvelle dans le couple, en plus de la naissance de l'enfant et des perturbations du rythme de vie de tous.

Au Québec, est-on moins prompt à penser que « l'amour que la mère croit ressentir pour son enfant, c'est à elle-même qu'elle le porte », tel que lu dans Attendre un enfant, paru chez Hachette Famille ? Ou que pendant la grossesse, « le passé se réveille » (Le Grand livre de ma grossesse, Eyrolles) ?

Ici, je suis plutôt d'accord avec les auteurs cités. C'est la manière de formuler les livres et les cadres de référence, culturels et psychanalytiques, qui sont différents au Québec, plus que la réalité des parents, à mon avis.

Il est vrai que le passé se réveille, que ses effets inconscients peuvent surgir et surprendre et que la rencontre avec le nouveau-né rappelle les rapports familiaux de chacun. Et l'enfant est vraiment le prolongement narcissique idéalisé des deux parents. C'est vraiment ce qui émerveille à son arrivée, comme Freud l'a découvert.

Est-ce que cela peut aider les futurs parents à prendre tous les avis avec un grain de sel, puisqu'ils changent selon les cultures et les époques ?

Il est en effet important de nuancer, selon la culture, les conseils et préceptes. Ces livres, en effet, sont aussi variables que le temps... Il vaut donc mieux les prendre avec humour et détachement, en prendre et en laisser, car de toute façon, ils procèdent par généralités. Ils devraient plutôt rassurer, ce qu'ils ne font pas toujours. On ne peut pas du tout les suivre à la lettre.