Moduler les frais des garderies selon le salaire des parents, comme y rêve Philippe Couillard. Les rendre gratuites pour tous, comme en rêve Françoise David. Permettre le fractionnement des revenus des couples au bénéfice des familles traditionnelles, comme l'a fait jeudi Stephen Harper. L'Allemagne fait tout ça, en plus de donner une « prime au fourneau », comme le proposait Mario Dumont! La Presse est allée voir les effets de ces mesures sur les Kinder - les enfants, en allemand - et leurs parents.

Le pays de toutes les idées

Sympathique Allemande de 41 ans, Ruth Brand-Schock a déménagé pour avoir des enfants. « J'ai quitté le sud de l'Allemagne, parce que là-bas, on reçoit des regards désapprobateurs si on dit qu'on veut travailler alors qu'on a de jeunes enfants », indique-t-elle, attablée devant un plat de pâtes à Berlin.

C'est dans la capitale allemande que sont nés ses enfants, Lydia, 2 ans, et Hans, 1 an. Son mari et elle paient 316 euros (450 $) par mois pour les envoyer à temps plein à la « kita », c'est-à-dire la garderie en allemand. Soit environ 10 $ par jour, par enfant.

Pour les tout-petits comme Lydia et Hans, le tarif est modulé selon les revenus familiaux. Mais à partir de 3 ans, à Berlin, les services de garde sont gratuits pour tous. Ça revient donc beaucoup, beaucoup moins cher que dans le sud du pays, plus conservateur, où des garderies demandent « 313 euros (447 $) par mois pour une place de 7 h à 13 h, rapporte Mme Brand-Schock dans un excellent français. Là-bas, il faut travailler à temps partiel et gagner un bon salaire, sinon tout va à la crèche ».

Résultat: plusieurs renoncent à fonder une famille. Parmi les Allemandes âgées de 25 à 49 ans, 40 % vivent dans un foyer sans enfant, contre 34 % en moyenne parmi les pays membres de l'OCDE. Ça pousse les autorités à réagir.

Tarifs modulés: largement accepté

En Allemagne comme au Canada, les tarifs de garderie diffèrent d'un État (ou d'une province) à l'autre. Sébastien Arbour, Québécois de 33 ans, vivait à Stuttgart quand son premier fils est né. Prix demandé par la garderie: 400 euros (576 $) par mois, pour un seul enfant. Soit 26 $ par jour, alors qu'il est assistant de recherche dans une université, et que sa femme est enseignante à temps partiel.

Les tarifs sont modulés selon les revenus, « ce qui est largement accepté en Allemagne », dit Lena Hipp, directrice du groupe de recherche sur le travail et les soins au Centre de Recherche en Sciences Sociales de Berlin (WZB). « Les familles de classe moyenne arrivent toutefois très vite à payer le montant maximal », constate M. Arbour. Il ne se plaint pas: ses deux fils ont, depuis, obtenu des places moins chères dans une garderie flambant neuve à Worms, où la petite famille a déménagé.

Promesse tenue

Tous n'ont pas cette chance. Le gouvernement allemand a pourtant garanti à tous les parents d'enfants de 1 an et plus qui le désirent une place en garderie subventionnée, à compter du 1er août 2013. Une promesse que les politiciens québécois n'ont jamais osé formuler à court terme, même en campagne électorale.

Dans l'urgence, des entrepôts, des théâtres et même des garages automobiles ont été transformés en lieux de garde, a rapporté l'hebdomadaire Spiegel. La forte demande a surpris les autorités (municipalités, États et gouvernement fédéral), qui subventionnent les garderies. À lui seul, le gouvernement fédéral allemand a dépensé 5,4 milliards d'euros (7,8 milliards de dollars canadiens) pour l'expansion du réseau, de 2008 à 2014. À compter de l'an prochain, il versera 845 millions d'euros (1,2 milliard de dollars) par an pour son financement.

« Personne n'aurait pu imaginer qu'autant de mères voudraient retourner travailler », indique Stephanie Hinz, une énergique brunette responsable de la garderie Lindwürmer (Dragon) de Worms. Chez les 3 à 6 ans, l'affaire est réglée: la quasi-totalité (94 %) des enfants fréquentent le réseau.

Le succès est aussi tangible chez les tout-petits: 32 % des enfants de 0 à 3 ans étaient inscrits en garderie ou dans un milieu familial subventionné au 1er mars, selon le Conseil des ministres de l'Éducation et des Affaires culturelles de l'Allemagne. C'est deux fois plus (14 %) qu'en 2006. « Parce que davantage de mamans travaillent et donc payent des cotisations et des impôts, cette mesure s'autofinance pour moitié », a dit Helmut Rainer, de l'institut de recherche IFO, au quotidien français Le Figaro.

Manque de garderies

Encore aujourd'hui, quatre ou cinq personnes par jour sonnent à la garderie Lindwürmer pour quémander une place. « C'est un problème, parce que ça dérange les enfants », soupire Mme Hinz.

Le gouvernement allemand respecte-t-il son engagement d'une place pour tous? Dans les grandes villes et à l'Est, où existe une tradition de garde d'enfants, l'offre répond à la demande, estime Mme Hipp. « Mais les places disponibles ne sont pas nécessairement de la qualité voulue par les parents », nuance-t-elle.

C'est ailleurs - dans les campagnes et dans les villes plus modestes, surtout à l'Ouest - « qu'on peut se demander s'il y a suffisamment de garderies, poursuit l'experte. Les statistiques officielles disent que c'est le cas, mais parler aux parents donne une impression différente ».

Plus d'enfants d'immigrants

Dans ce contexte, offrir la gratuité aux enfants de 2 ou 3 ans et plus - comme le font Berlin et l'État de Rhénanie-Palatinat - fait grincer des dents. « Les budgets ont été réduits, comme les parents ne paient plus, fait valoir Mme Hinz. Plusieurs garderies ont pourtant besoin d'acheter du matériel et d'envoyer leur personnel en formation continue. »

Point positif: ces places gratuites permettent d'accueillir plus d'enfants d'immigrants. « Ils apprennent l'allemand à la garderie, si bien que leur intégration à l'école sera moins difficile », reconnaît Mme Hinz. Seuls 14 % des enfants de 0 à 3 ans de familles immigrantes étaient inscrits en garderie, en 2010.

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Quatre mesures novatrices

La natalité est en panne, en Allemagne. Le taux de fertilité n'y était que de 1,36 enfant par femme en 2011, contre 1,68 au Québec. Pour contrer le déclin de sa population, le pays dirigé par Angela Merkel - qui n'a pas d'enfant... - fait plus que promettre une place pour tous en garderie.

« Le gouvernement fédéral allemand travaille à des approches novatrices pour répondre aux besoins et réalités des familles d'aujourd'hui plus efficacement », précise une réponse envoyée à La Presse par Anna-Lena Guillaume, du ministère fédéral allemand de la Famille, des Aînés, des Femmes et des Jeunes.

En réalité, l'Allemagne semble vouloir ménager la chèvre et la choucroute, en adoptant à la fois des mesures progressistes et conservatrices. Comme le Québec et le Canada.

Est-ce que ça marche? Oui, selon une étude d'Anna Raute, professeure adjointe d'économie à l'Université de Mannheim. Les incitatifs financiers ont « un effet positif statistiquement significatif » sur la natalité en Allemagne, en favorisant particulièrement la maternité chez les « femmes au revenu et à l'éducation moyens ou supérieurs », précise-t-elle.

Quatre mesures en place

1. Congé de maternité de 14 semaines

Les nouvelles Mütter - mères, en allemand - ont droit à 14 semaines de congé de maternité: 6 avant la naissance, 8 après, payées l'équivalent de 100 % de leur salaire. L'assurance santé allemande leur offre un maigre 13 euros (18,46 $) par jour, mais les employeurs sont tenus de combler la différence. Le Régime québécois d'assurance parentale (RQAP) accorde 18 semaines de congé de maternité, avec une indemnité maximale d'environ 130 $ par jour.

2. Congé parental de 14 mois

Plusieurs Québécois seront envieux: 14 mois de congé parental payé - dont deux mois réservés au père - sont accordés en Allemagne depuis 1997. L'indemnité est de 300 à 1800 euros (426 $ à 2555 $) par mois, selon le revenu gagné avant la naissance. Ce congé peut être prolongé, sans solde, jusqu'au 3e anniversaire de l'enfant, sans rompre le lien d'emploi.

En comparaison, le RQAP n'offre que 32 semaines de congé parental et 5 semaines de congé de paternité. Les prestations maximales sont toutefois plus élevées (jusqu'à 3400 $ par mois). Ce congé peut être prolongé, sans solde, jusqu'à 70 semaines après la naissance de l'enfant.

3. Fractionnement des revenus

L'Allemagne permet aux couples de partager leurs revenus, ce qui réduit le niveau d'imposition des familles traditionnelles. Coût? Vingt milliards d'euros (28 milliards de dollars) par an, selon Le Figaro. Cette mesure, que le gouvernement de Stephen Harper vient d'implanter au Canada, incite les mères à rester au foyer, selon ses détracteurs. « Le système fiscal allemand est le seul dans l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économique] à favoriser nettement les familles avec un pourvoyeur principal, au détriment des familles à double revenu, lorsque les enfants sont d'âge scolaire », a dénoncé l'OCDE dans un rapport sur l'égalité des sexes, en 2012.

4. Allocation de garde parentale

Depuis 2013, l'Allemagne verse une allocation de 150 euros (213 $) par mois aux parents qui ne profitent pas d'une place en garderie pour leur enfant âgé de 1 à 3 ans. Cette controversée « prime au fourneau » risque d'avoir deux effets collatéraux, note l'Institut national français d'études démographiques (INED) : « celui d'éloigner du marché du travail pour une période relativement longue des mères dont la situation professionnelle est déjà précaire, et de priver les enfants de milieux défavorisés d'un accès précoce aux services d'accueil. » Le Canada verse 100 $ par mois aux parents d'enfants de moins de 6 ans (prestation universelle pour la garde d'enfants).

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La famille allemande en chiffres

Taux de fertilité (naissance par femme)

1960 : 2,37

1970 : 2,03

1980 : 1,44

1990 : 1,45

2000 : 1,38

2010 : 1,39

Soutien aux familles

L'Allemagne dépense 3 % de son PIB pour soutenir les familles (hausse de 0,3 % entre 2007 et 2010). 

Le Québec a dépensé 3,3 % de son PIB pour les familles en 2009.

Âge des mères

30 ans

Âge moyen des femmes allemandes à la naissance de leur premier enfant. 

Au Québec? 28,5 ans.

Entrée à l'école

6 ans

Âge auquel les enfants allemands commencent l'école. 

Au Québec, c'est à 5 ans que les enfants entrent en maternelle.

Sources: Université de Sherbrooke, Banque mondiale, INED, INSPQ et Conseil des ministres de l'Éducation et des Affaires culturelles de l'Allemagne.

La révolution allemande

« On assiste à de grands changements dans la culture allemande, dit Pia Schober, du département d'Éducation et de la Famille de l'Institut allemand pour la recherche économique (DIW) à Berlin. Les mères veulent désormais une meilleure compatibilité entre le marché du travail et les services de garde d'enfants. Et les gens en viennent à considérer qu'envoyer un enfant à la garderie ne lui fera pas de mal, même à un jeune âge. » Mme Schober a répondu aux questions de La Presse.

Quelles mesures importantes ont été prises, selon vous, pour favoriser la natalité en Allemagne 

En 2007, l'Allemagne a réformé les congés parentaux. C'était révolutionnaire, dans une perspective allemande! Le congé payé a été raccourci à un an, la compensation financière offerte a été augmentée, en plus d'être désormais ajustée selon les revenus. Un « quota pour papas » (deux mois de congé qui ne peuvent être transférés aux mères) a aussi été introduit. Parallèlement, le réseau de garderies a été considérablement étendu.

Les pères prennent-ils leur congé de paternité?

Avant l'introduction du quota pour papas, même pas une poignée de pères ne les prenait. Ils devaient être 2 ou 3 %. L'effet a été très clair: ce taux a rapidement grimpé à 10 %, 15 %, 20 % et il est maintenant juste en dessous de 30 %. Ça donne un signal aux employeurs. Des études ont, par ailleurs, prouvé que les congés de paternité font en sorte que les pères contribuent davantage aux soins aux enfants à long terme. Il reste que peu de pères prennent plus que les deux mois qui leur sont réservés, même s'ils ont droit à plus (en raccourcissant d'autant le congé de la mère). On est encore loin du partage égal.

La « prime au fourneau » de 150 euros (213 $) par mois offerte depuis 2013 incite-t-elle des parents à rester au foyer?

On ne le sait pas encore, c'est trop récent. Un État allemand, la Thuringe, a toutefois introduit ce salaire parental quelques années plus tôt. Une étude faite là-bas a démontré que le taux de fréquentation des garderies par les enfants de familles à faible revenu et de mères peu éduquées a par la suite baissé.

Quant au tarif des garderies, est-ce un frein au travail?

Non. Bien sûr, des gens aimeraient que ce soit moins cher, mais nos études démontrent que le coût des garderies ne limite pas leur accès. Elles sont fortement subventionnées et les tarifs sont fixés selon les salaires, si bien que les familles à faible revenu ne paient rien, ou une petite somme. Les prix varient d'une ville à l'autre et d'un État à l'autre, mais n'excèdent généralement pas 500 euros (709 $) par mois pour un enfant. Comparé aux autres pays, c'est relativement abordable. Le problème, c'est plutôt la qualité des garderies, qui est au mieux moyenne.

Toutes ces mesures ont-elles mené à une hausse des naissances?

Le taux de fertilité général n'a pas beaucoup augmenté. Mais ça a probablement eu une influence sur les femmes très éduquées, et sur leur propension à avoir un deuxième ou un troisième enfant. C'était un des objectifs de la politique familiale d'inciter une hausse de la natalité particulièrement chez les gens éduqués, qui ont le moins d'enfants. Les changements culturels que vit l'Allemagne en ce moment ne touchent pas les mères peu éduquées. Après la naissance de leurs enfants, elles ne semblent pas retourner sur le marché du travail plus vite qu'avant.

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