Avant même que le cinéma ne prenne des couleurs, il y avait le ciné-parc. Il a survécu aux cassettes vidéo, aux DVD, à la vogue du cinéma maison, et il résiste encore et toujours à l'ère du Blu-ray. Une virée au ciné-parc constitue même un plaisir obligé de la saison estivale pour bien des familles. En attendant le début du programme principal, notre journaliste Alexandre Vigneault s'est promené de voiture en voiture au ciné-parc de Saint-Eustache.

Le soleil est enfin couché. Le film va pouvoir commencer. Le spectacle, lui, dure depuis deux heures déjà. Des ados qui jouent au ballon. Des enfants en pyjama qui cherchent une balle sous une voiture. Des petits et des grands installés comme s'ils étaient en camping. Une soirée au ciné-parc, ce n'est pas qu'une affaire de cinéma: c'est une expérience.

«On revient chaque année, parce que les enfants aiment ça. Et les grands aussi, explique posément Pierre, qui est venu avec sa fille et trois de ses amies. J'aime le côté festif, le côté familial du ciné-parc.» Et le coût: les enfants de 12 ans et moins ne paient pas. On en a même croisé qui avaient réussi à tricher sur l'âge de leurs ados...

Presque toutes les familles insistent sur le caractère abordable du ciné-parc. Ce qui n'est pas négligeable quand on a six enfants comme Richer et Eugénie. Mais le coût n'est pas le seul argument. «Pour les enfants, c'est une expérience de voir un film en plein air», estime Eugénie. Il suffit d'être bien équipé pour attendre le début de la projection: livres, jeux, couvertures, toutous. Le stationnement d'un ciné-parc est en effet un curieux espace de liberté. «Et même si le bébé pleure, c'est pas grave, ça fait partie de la game», dit la maman.

Souvenirs d'enfance

Les ciné-parcs existent au Québec depuis une quarantaine d'années. Ceux qui viennent aujourd'hui avec leurs petits les ont souvent fréquentés avec leurs propres parents durant la préhistoire. C'est-à-dire à l'époque où il fallait accrocher les haut-parleurs aux fenêtres de la voiture pour entendre les «pif» et les «paf» des claques que distribuaient généreusement Bud Spencer et Terence Hill.

Sa première sortie au ciné-parc, Jean-François s'en souvient encore: c'était Karaté Kid 3. Sa conjointe, Catherine, a vécu une première fois un peu plus «traumatisante»: elle a regardé La postière de Gilles Carle, film un brin plus osé que Dragons 2, que verront plus tard leurs quatre enfants âgés de 10 mois à 10 ans, sans oublier Mouffie-Chien. Oui, pitou a le droit d'aller au ciné-parc, «tant qu'il ne jappe pas». Il semble le savoir, alors il se tient tranquille.

Petite, Eugénie a souvent fréquenté les ciné-parcs de Laval et de Saint-Eustache. «Mon père m'assoyait sur le top de son gros camion et après, on allait se coucher dedans», se rappelle-t-elle en souriant. C'est un classique: les enfants ne résistent jamais à l'appel du sommeil quand le programme double finit à 1h du matin... Jeanne, une jeune adolescente, avoue d'ailleurs que dormir dans l'auto fait partie de ce qu'elle aime au ciné-parc.

Ces jeunes-là, qui aiment voir un film «avec un peu de vent», comme dit Audrey, se fabriquent des souvenirs pour plus tard. Des anecdotes qu'ils pourront raconter, comme Pierre, qui se souvient des fois où il a passé sans payer, caché dans le coffre arrière d'une voiture avec un ou deux de ses amis. Ou Gilles qui rigole en se rappelant les fois où ses amis et lui passaient une caisse de bière en catimini.

En mode survie?

«Les gens qui viennent au ciné-parc ne sont pas les mêmes qui viennent au cinéma», croit Brigitte Mathers, présidente de l'entreprise familiale qui exploite le ciné-parc de Saint-Eustache, ainsi que le marché aux puces et la carrière de pierre concassée attenants. L'arrimage de ces trois commerces constitue une sorte d'assurance survie pour le ciné-parc, selon elle, à une époque où il semble en voie d'extinction.

Des baisses de fréquentation combinées à des augmentations de taxes foncières mèneraient en effet la vie dure à certains ciné-parcs. L'étalement urbain aussi. D'ailleurs, l'été 2014 sera vraisemblablement le dernier du ciné-parc de Saint-Nicolas, près de Québec, qui cédera sa place à un lotissement.

«C'est encore une bonne business», dit toutefois Brigitte Mathers. Les mardis et mercredis, où l'entrée est à 6$, des gens font la queue aux guérites jusqu'à 30 minutes avant l'heure d'ouverture officielle. Une bonne vingtaine de voitures étaient déjà alignées, en effet, le soir où La Presse a visité le ciné-parc. Deux heures plus tard, des centaines de voitures étaient garées devant les cinq écrans.

Le charme d'une soirée au ciné-parc a, c'est vrai, quelque chose que même un film Blu-ray vu sur un système de cinéma maison ne pourra jamais égaler: la magie d'une vraie sortie en famille. «On a été élevés comme ça, alors on continue, dit Eugénie. C'est une recette gagnante.»