Ses parents adoptifs avaient arraché Henry Solages à un orphelinat sordide de Port-au-Prince pour lui offrir une vie confortable à Boucherville. Et puis, un jour, ils en ont eu assez. Ils l'ont renvoyé en Haïti. Émues, les autorités ont remué ciel et terre pour rapatrier le garçon au Canada. Mais où se trouve la vérité? Des parents peuvent-ils être aussi cruels? Retour sur une histoire tragique, en deux versions à jamais inconciliables.

C'était la première fois qu'Henry Solages retournait en Haïti depuis qu'il avait été adopté, tout petit, dans un orphelinat de Port-au-Prince. Le garçon était aux anges. «Mes parents ne m'avaient jamais emmené nulle part. Je trouvais ça excitant. Wow, on partait en voyage! J'avais 11 ans.»

C'était en août 2001. Cet été-là, Henry a sans doute passé les plus belles vacances de sa vie. Plages ou restos, ses parents adoptifs ne lui refusaient rien. Le bonheur. Mais un bonheur éphémère. Après les vacances, ses parents sont rentrés au Québec... en le laissant derrière.

«J'ai pleuré. Ils étaient tout ce que j'avais au monde. Je ne connaissais personne en Haïti», raconte Henry, aujourd'hui âgé de 24 ans. «Ils m'ont laissé sans papiers. S'il m'était arrivé quelque chose, personne ne l'aurait jamais su.»

Henry a passé des années à attendre que ses parents reviennent le chercher en Haïti, survivant de peine et de misère dans les rues de Port-au-Prince. «Pendant tout ce temps, j'ai eu espoir de revenir au Québec. Dans ma tête, c'était des vacances. Dures. De dures vacances.»

Au bout de cinq ans, Henry s'est rendu à l'évidence. «Mes parents ne m'appelaient pas, refusaient de me parler, n'envoyaient plus d'argent... tout indique qu'ils m'avaient abandonné.» Pour la seconde fois de sa courte existence, il était orphelin. Seul au monde.

La disparition d'une soeur

Henry se souvient vaguement de sa soeur, Marie-Christine. La fillette avait été adoptée dans le même orphelinat de Port-au-Prince. Elle était un peu plus âgée. Huit ou dix ans, il ne sait plus.

Un jour, Marie-Christine a disparu de la maison familiale, à Boucherville. «Un matin, je me suis levé et ma soeur n'était plus là. Mes parents m'ont dit qu'elle faisait un voyage en Haïti.» Henry ne l'a plus jamais revue.

Il a continué à vivre, seul, avec ses parents. «Ils me corrigeaient, me battaient. Ils me disaient: si tu ne te conformes pas, on va te renvoyer là-bas comme ta soeur. Un jour, ma mère m'a battu avec une rallonge électrique. Cela a laissé de grosses marques. Mon enseignante les a vues et a contacté la DPJ.»

C'était en février 2000. Quelques mois plus tard, les parents d'Henry ont été convoqués au tribunal de la jeunesse. Devant le juge, ils se sont engagés à ne pas emmener leur fils en Haïti avant la fin du processus judiciaire.

L'été suivant, toute la famille s'est pourtant envolée pour Port-au-Prince. Henry n'a cependant eu droit qu'à un aller simple.

Ses parents l'ont placé dans une pension de la capitale haïtienne. «Au bout d'un an, ils m'ont confié à une autre famille, puis à une autre encore, à Pétionville. À partir de là, je n'arrivais plus à les contacter. Il commençait à y avoir des tensions avec la propriétaire de la pension, qui ne recevait plus d'argent. Mes vêtements, ce sont des gens qui me les donnaient.»

Henry s'est réfugié dans le dessin. «Je faisais des tableaux que je vendais dans la rue. C'était mon échappatoire.»

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-DENISE SOLAGES

Marie-Christine et Henry ont été adoptés en 1994 par la famille Solages. Ils avaient respectivement 5 et 4 ans.

Le sauvetage

À l'automne 2007, Henry était presque devenu un homme. Il avait 17 ans. Ses parents ne lui avaient pas rendu visite depuis trois longues années. Un jour, le hasard a mis sur sa route un Québécois en voyage d'affaires en Haïti. «Quand je l'ai vu, j'ai su que c'était ma chance.»

Le Québécois - qui refuse d'être identifié - a été abasourdi par le récit du garçon. «Il avait quasiment été déporté. C'est digne d'un acte d'enlèvement! s'insurge-t-il. Haïti, c'est un pays dangereux et violent. Comment peut-on y abandonner son enfant?»

Choqué, l'entrepreneur a pris la plume pour écrire, au nom d'Henry, une lettre déchirante adressée à une vingtaine de ministres, députés et instances gouvernementales du Québec et du Canada.

«Je fouille dans les ordures nauséabondes pour subsister, lit-on dans la lettre. Je suis en train de mourir à petit feu de faim, de soif, de stress lié à la précarité de ma condition. Jusqu'à ce jour, j'ai pu me réfugier sous la galerie d'une maison dont le propriétaire a toléré ma présence.»

Caroline St-Hilaire se souvient d'avoir lu la lettre d'Henry le soir, à la maison, entourée de ses enfants. «Je me suis mise à pleurer. Cela m'a frappée au coeur», confie l'ex-députée bloquiste, aujourd'hui mairesse de Longueuil. «Quiconque lit cette lettre se dit, ça ne se peut pas que des parents fassent ça. Ça ne se peut pas qu'on fasse ça à un humain.»

Caroline St-Hilaire a écrit à Maxime Bernier, alors ministre des Affaires étrangères, pour lui demander de «procéder au rapatriement d'Henry Christopher Solages dans les délais les plus brefs pour sa sécurité et sa santé».

Deux mois plus tard, Henry était de retour au Canada.

Le 7 mai dernier, Caroline St-Hilaire a rencontré pour la première fois celui qu'elle a contribué à sauver d'une vie de misère. Ce jour-là, Henry présentait ses oeuvres dans le cadre de l'exposition des finissants en arts visuels du cégep Édouard-Montpetit de Longueuil. La mairesse lui a fait toute une surprise en s'invitant au vernissage.

«Spontanément, je l'ai pris dans mes bras, raconte-t-elle. J'étais si contente de voir qu'il est devenu un beau jeune homme, bien entouré, qui évolue si bien.» Sans attaches au Québec, Henry aurait facilement pu sombrer dans la délinquance, ou pire encore, dit-elle. «Heureusement, c'est une histoire qui finit bien. On pourrait presque en faire un film!»

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le 7 mai dernier, Caroline St-Hilaire, mairesse de Longueuil, a rencontré pour la première fois Henry Solages, alors qu'il présentait ses oeuvres dans le cadre de l'exposition des finissants en arts visuels du cégep Édouard-Montpetit. En 2007, touchée par l'histoire de ce jeune homme, l'ex-députée bloquiste avait demandé son rapatriement au Canada.