«Mes enfants ne manquent pas de moi, ni de stimulation intellectuelle, quoi que tu en penses, Pierre Lavoie.» Ce cri du coeur a été écrit par Loreli Berthiaume, mère de Lanaudière, sur son blogue Une vie de doudoune. «Ce billet ne se voulait pas une critique du défi, mais bien un état d'âme sur la pression que l'on ressent pour être un bon parent», explique-t-elle en entrevue.

L'école des enfants de Mme Berthiaume s'est inscrite à la compétition Aiguise ta matière grise, comme 895 autres établissements primaires au Québec - une augmentation de 25% par rapport à l'an dernier. Tous les élèves de ces écoles (même les petits de maternelle!) doivent participer au défi, qui a lieu très précisément du 1er novembre à 8h au 29 novembre à 17h.Ce qu'il faut faire? Amasser le plus de «cubes de matière grise» possible afin de dominer le palmarès des écoles publié sur le site internet de la compétition. Chaque période de 15 minutes d'activités éducatives réalisées par un enfant et son parent (ou un autre membre plus âgé de son entourage) donne droit à un cube, qui doit être noté minutieusement dans un carnet. Point intéressant, le temps consacré aux devoirs et aux leçons compte en double.

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L'objectif est d'accumuler 30 millions de cubes en 2013. Soit 30 millions de périodes de 15 minutes pendant le seul mois de novembre! Un calendrier d'activités suggérées a été remis aux parents. Il leur propose d'apprendre «à dire une phrase simple en trois langues différentes» ou à raconter une histoire «avec des marionnettes que tu a [sic] fabriquées avec du papier construction et des bâtonnets de bois». Le tout, entre les soupers, les devoirs, les bains et les cours de judo, pendant 29 jours. À défaut de quoi l'enfant fera descendre la moyenne de sa classe, voire de son école. Avoir de bons résultats augmente les chances de gagner une journée d'activités en compagnie de l'Ironman Pierre Lavoie, le 19 décembre.

M. Lavoie a lancé ce concours en 2011. Son but? «Faire notre part contre le décrochage scolaire, mais en touchant les jeunes du primaire - car on décroche au secondaire, mais les signes apparaissent dès la maternelle», indique Geneviève Lebrun, directrice des communications du Grand Défi Pierre Lavoie, qui chapeaute Aiguise ta matière grise.

«Le réel problème: le manque de temps»

«J'adore le concept, écrit Mme Berthiaume. Mais il est lourd pour la majorité des familles, même si l'objectif est louable.» Même ambivalence chez l'auteure du blogue Fille ordinaire, une mère de trois enfants de la Rive-Sud de Montréal. «Tous ces efforts visant à réunir parents et enfants - et à décoller ces derniers du téléviseur - sont louables, estime-t-elle. Malheureusement, je doute du résultat si nous ne nous attaquons pas au réel problème: le manque de temps.»

Pour les professeurs aussi, le défi peut être un poids. Chaque semaine, ils doivent compter les cubes amassés par leurs élèves, en plus de faire leurs corrections et préparations de classe, note une enseignante ayant requis l'anonymat. Ils doivent aussi déterminer si jouer aux billes avec papa est une activité admissible - après tout, jouer au vétérinaire l'est, selon le calendrier remis aux parents.

L'Alliance des professeurs de Montréal ne pense «que du bien du Grand Défi Pierre Lavoie», indique Yves Parenteau, porte-parole du syndicat d'enseignants. En avril, l'Alliance a remis le prix Léo-Guindon à l'athlète pour souligner « son apport à l'école publique et au développement des jeunes».

>>> Découvrez le calendrier d'activités suggérées

Pas de résultats prouvés

Il n'est pas sûr que les élèves du Québec ont la matière grise plus aiguisée grâce à Pierre Lavoie. «Les programmes qui favorisent la réussite scolaire au primaire sont ceux qui augmentent le goût de lire et les habiletés en lecture», affirme Égide Royer, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

Bon an, mal an, 20% des jeunes quittent le primaire avec un retard en lecture. Si ce taux baisse avec Aiguise ta matière grise, le défi aura eu un impact. 

«Nous n'avons pas de données empiriques établissant un lien direct entre notre projet et les résultats scolaires des élèves ou l'absentéisme», note Geneviève Lebrun, directrice des communications du Grand défi Pierre Lavoie. Un sondage mené après l'édition 2012 indique toutefois qu'une grande majorité d'écoles sont plutôt d'accord pour dire que le défi contribue à améliorer la performance scolaire, la qualité des devoirs et à impliquer davantage les parents.

 

Pas efficace pour rejoindre les parents désinvestis

«Je crois qu'il s'agit d'une initiative très positive et pertinente, indique Isabelle Archambault, professeure à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Notamment parce qu'elle est facile à mettre en place, peu coûteuse et qu'elle touche un grand nombre d'élèves à la fois. Par contre, ce type de concours est malheureusement moins susceptible de rejoindre les parents qui, pour diverses raisons, sont moins investis dans la scolarisation de leur enfant.»