Soyons francs, on finit tous par lever le ton. Par crier. Par dire des choses à nos enfants, surtout adolescents, que bien souvent, on regrette en prononçant. Mauvaise nouvelle : ces mots qui nous échappent seraient aussi dommageables qu'une claque, dénoncent des chercheurs, qui ont - et c'est une première -, enquêté sur la question.

Qui a dit qu'il était facile d'élever des enfants? Alors qu'on s'entend tous plus ou moins sur l'importance de ne jamais lever la main (encore moins le poing) sur un enfant, voilà qu'on apprend que le fait de lever le ton, crier et, surtout, lancer des insultes pourrait leur faire autant, sinon plus de torts. Les enfants ainsi insultés afficheraient en effet des taux de dépression et de troubles de comportement similaires à ceux observés chez les jeunes victimes de violence physique.

C'est du moins ce qui ressort d'une étude, à paraître prochainement dans la revue Child Development, portant sur les adolescents. Les chercheurs de l'Université de Pittsburgh ont suivi 967 jeunes de 13 ans, et ce, pendant deux ans. D'un côté, ils ont sondé les comportements des jeunes (à problèmes, ou pas), et de l'autre, ceux des parents. Conclusion? « Plus il y a d'agressivité verbale, et plus on a noté de problèmes de comportements chez les jeunes », signale Sarah Kenny, étudiante à l'Université du Michigan et coauteure de l'étude, citant à la fois des symptômes de dépression, mais aussi des comportements agressifs, tel le vandalisme, etc.

Pourquoi avoir étudié les adolescents en particulier? Tout simplement parce que ce type de discipline « verbale » est typiquement « plus commune » à l'adolescence, justifie la chercheuse. « L'adolescence est critique, car c'est justement à cet âge que se construit l'identité », précise-t-elle.

S'excuser ne suffit pas

Autre mauvaise nouvelle : si vous pensiez qu'en vous excusant après avoir ainsi pété les plombs, vous effaciez votre écart de conduite, détrompez-vous. En effet, les chercheurs ont noté que même dans un environnement familial harmonieux et aimant, les effets de la violence verbale étaient tout aussi néfastes. « Ce que l'enfant perçoit, cela demeure l'agressivité verbale. » Pire : les mauvais comportements des enfants ainsi provoqués risqueraient, on s'en doute, de susciter à leur tour de nouvelles réactions violentes de la part des parents. « C'est un cercle vicieux », laisse tomber la chercheuse.

Ces résultats ne surprennent pas du tout Carl Lacharité, psychologue à l'Université du Québec à Trois-Rivières, et directeur d'un centre d'études sur le développement de l'enfance. « Crier, c'est de la violence. Quand on crie, on dit des paroles blessantes, et cela laisse des traces de la même façon que la violence physique », dit-il. Et ce, tout particulièrement à l'adolescence, cette période clé du développement des compétences, et de son sentiment de sécurité, fait-il valoir.

Pire que de la violence physique?

Ces traces pourraient même être pires que celles laissées par la violence physique, croit quant à lui le sociologue et directeur du Family Research Lab de l'Université du New Hampshire, Murray A. Straus. « Oui, selon moi c'est pire, parce qu'on est dans le dénigrement de l'enfant. Quand on dit à un enfant qu'il est paresseux, bon à rien, qu'on ne l'aimera plus s'il continue, et c'est très commun, dit-il, ce sont là des paroles très menaçantes pour un jeune. »

Le chercheur, qui travaille sur la violence verbale depuis plus de 30 ans, entend même régulièrement des parents menacer de jeter leurs ados dehors. « C'est sûr que ça n'est pas comme briser un bras. Mais en termes de bien-être psychologique, c'est pire. Je ne dis pas qu'il vaut mieux frapper un enfant, pas du tout. En fait, ce que je dis, c'est qu'il vaudrait mieux élever ses enfants sans agressivité du tout ! »

Que celui qui n'a jamais crié lance la première pierre

Ces conclusions sont d'autant plus inquiétantes qu'on sait, et c'est bien démontré, que les cris sont une pratique courante chez les parents. Il y a quelques années, le New York Times titrait à ce sujet : « Shouting is the New Spanking ». D'après une étude publiée dans le Journal of Marriage and Family, 88 % des parents avouent crier après leurs enfants. Évidemment, personne n'en est bien fier. En fait, c'est probablement ce dont les parents ont le plus honte. Dans Mommy Guilt, les auteurs, qui ont sondé pas moins de 1300 mères sur la question, concluent même que le fait de crier serait une des plus grandes sources de culpabilité (loin devant le fait de travailler !) des mères. « C'est malheureusement une mauvaise habitude qu'on prend, parce que ça marche ! », témoigne à ce sujet Amy Wilson, une mère new-yorkaise de trois enfants, auteure de When Did I Get Like This : The Screamer, The Worrier, The Dinosaur-Chicken-Nugget-Buyer And Other Mothers I Swore I'd Never Be, un livre dans lequel bien des parents se reconnaîtront. Non, elle n'insulte jamais ses enfants, nuance-t-elle. Mais eux, voient-ils seulement la différence? « Je ne crois pas. Parce que quand on crie, ils ne saisissent plus ce qu'on dit, de toute façon. Le fait que vous criez, c'est ça qu'ils retiennent. »