Depuis de nombreuses années, on parle beaucoup de l'horloge biologique des femmes. Des choix déchirants qui se posent entre carrière et maternité. Mais qu'en est-il des hommes ? Se pourrait-il qu'ils aient, eux aussi, une horloge interne ? Chose certaine, à l'aube de la quarantaine, ils sont de plus en plus nombreux à le dire: eux aussi, ils veulent des enfants. Serait-il trop tard ?

Oui, l'horloge biologique existe. Elle est réelle, physique, et souvent viscérale. Mais non, elle n'est pas exclusivement féminine. Les hommes aussi, à leur manière, vivent un sentiment d'urgence, souvent à l'aube de la quarantaine.

«J'arrive à un âge où je me dis que si je veux vraiment des enfants, il faut que j'en fasse maintenant», explique Pierre, 43 ans, célibataire. «Par moment, ça m'obsède, avoue-t-il. Est-ce que j'ai raté quelque chose, est-ce qu'il y a quelque chose que je n'ai pas compris?»

Gary Brase, professeur de psychologie de l'Université du Kansas, a dévoué une grande partie de sa recherche à la question, plus vaste, du désir d'enfant, dit baby fever.

«Oui, les femmes sont, de manière générale, plus portées à exprimer leur désir d'enfant. Mais les hommes aussi l'expriment. Et ce qui est intéressant, c'est que le désir d'enfant des hommes va en grandissant avec le temps!», affirme le chercheur, qui a publié un article dans la revue Emotion, de l'American Psychological Association, sur cette «fièvre», très présente dans la culture populaire, mais relativement peu étudiée scientifiquement.

Chez les femmes, poursuit le chercheur, si le désir est d'abord très fort dans la vingtaine, il va en déclinant, jusque dans la quarantaine. Chez les hommes, c'est exactement le contraire! «C'est comme si les femmes, en ayant des enfants, prenaient conscience de tout le bonheur, mais aussi de tout le travail qui vient avec les enfants. Inversement, on dirait que les hommes réalisent ce bonheur de la parentalité plus tard...»

Le triste paradoxe... Hommes et femmes seraient-ils voués à ne pas désirer des enfants intensément en même temps? Gary Base avoue ne pas savoir comment expliquer cette «fièvre» inversée. D'autres recherches s'imposent, dit-il, tout en osant quelques hypothèses: «Pour un homme, d'un point de vue économique, faire un enfant n'est pas nécessairement un bon investissement. Mais biologiquement, les hommes ressentent tout de même un besoin de filiation. C'est très important pour un homme. Je ne peux pas vous l'expliquer, mais il y a là quelque chose de viscéral.»

Résultat, sur l'échelle du désir d'enfant, à 40 ans, ce sont les hommes qui, contrairement à une majorité de femmes (soit parce qu'elles en ont déjà eu, n'en veulent plus, ou n'en ont jamais voulu), sentent l'urgence de faire des bébés.

«C'est aussi un âge où l'on a tendance à faire le point», poursuit le psychologue. «Moi, c'est clair que ma crise de la quarantaine se situe sur ce plan-là», confirme Pierre, qui ne cache pas son sentiment «d'urgence».

Il en est d'ailleurs convaincu: ce qu'il ressent ressemble drôlement à l'horloge biologique des femmes. «Oui, j'en suis convaincu. Bien sûr, on est très différents des femmes, la mécanique n'est pas la même. Mais chez les hommes, je pense que cela se joue sur le plan psychologique, dit-il. Mais je suis persuadé que cette question de désir d'enfant peut travailler un homme de façon aussi intense qu'une femme.»

Et s'il voulait tellement vivre l'expérience de la «chair de sa chair» et s'assurer une filiation, pourquoi diable n'en a-t-il pas eu plus tôt, alors? «Parce que j'ai fait comme tous les mecs, répond-il. J'ai tergiversé. Entre 25 et 35 ans, ce n'était pas une question fondamentale pour moi, j'avais d'autres problèmes à régler.»

Il n'est pas seul. C'est aussi exactement le cas de Fred, 41 ans, qui apprivoise difficilement ces jours-ci l'idée qu'il ne sera peut-être jamais papa. «Tu te laisses porter par la vie, par ce que tu veux devenir. Je me disais toujours que oui, ça allait arriver.» Mais à près de 42 ans, non, ça n'est toujours pas arrivé: il est toujours célibataire, et toujours sans enfant. «Rencontrer quelqu'un avec qui je suis bien, ce n'est pas arrivé, confirme-t-il. Alors mes chances d'avoir des enfants vont en diminuant. À 41 ans, peut-être que ça n'arrivera pas. Oui, ce sera un deuil», laisse-t-il tomber.

Idem pour Louis, 50 ans, qui a du mal à se faire aujourd'hui à l'idée qu'il n'aura peut-être jamais de descendance. Et qu'il vieillira du coup tout seul, finalement. «Mon père est décédé il y a quatre ans. Et c'est à ce moment-là que j'ai vraiment vu l'importance des enfants. Toutes les décisions importantes sur sa santé, c'est ma soeur et moi qui les avons prises. Mais moi, qui prendra ces décisions pour moi?»