Faisant fi des avertissements d'André Gide qui prétendait qu'«on ne fait pas de littérature avec de «bons» sentiments», le magazine Zinc a choisi de faire un «spécial bonheur», de son 25e numéro. Torpillé, ironisé, idéalisé, varlopé, le bonheur sous la plume des auteurs de ce magazine dirigé par Mélanie Vincelette se balade entre les zones du kitsch, de l'arrogance, du populaire et du conte de fées.

«Le problème fondamental est peut-être celui-ci: le bonheur n'est pas un sentiment collectif, mais plutôt un sentiment qui doit être taillé sur mesure. On passe trop de temps à penser que le bonheur, c'est ce que les autres possèdent», évoque Mélanie Vincelette dans le texte liminaire de Zinc, qui précède une visite littéraire dans un domaine le plus souvent abordé par la section «psychologie populaire» des librairies.

Le sujet du bonheur - et peut-être surtout, de l'aversion que procurent ses manifestations décevantes - a donc inspiré à des auteurs québécois des élans de critique sociale. Félix-Antoine Lorrain, dans Le bonheur de chose, fait philosopher un narrateur qui a avalé et digéré les consignes de son époque pour toucher à la félicité: vivre dans le moment présent, suivre les conseils du guide de voyage, s'inspirer des moines tibétains, s'anesthésier l'esprit devant Occupation double...

«L'année passée, c'était fou, c'était comme un rêve avec le foyer puis les escaliers, puis j'ai hâte aussi de voir qui va se cogner qui, j'espère juste qu'y aura pas une pétasse comme Marie-Ève l'année passée, qui se collait sur tout le monde», écrit Félix-Antoine Lorrain, plongeant dans des zones où le bonheur prend une teinte bronzée, bleachée, préfabriquée.

Le bonheur, en littérature, est-il condamné à un traitement à l'acide du sarcasme?

Plus d'une fois, avons-nous entendu des écrivains dire que la souffrance offrait matière riche à la fiction, alors que le bonheur était un piège à clichés. En donnant la parole à Kinzang Choder, première Bhoutanaise à publier une fiction à l'extérieur de son pays (Le cercle du karma), Zinc cherche ainsi à savoir si le pays du «bonheur national brut» propose une avenue fertile pour le bonheur littéraire. Évoquant la question de l'augmentation des choix individuels en opposition au bonheur personnel, Kinzang Choder suggère que les Bhoutanais ne sont pas à l'abri des nouveaux problèmes que cause l'abondance de ces choix. «La vie est devenue plus facile, l'espérance de vie a augmenté, les possibilités ont substantiellement augmenté, plus de choix s'offrent à nous. Donc, logiquement, les gens devraient être plus heureux. Que les Bhoutanais le soient davantage que les habitants d'autres pays est dur à dire. Nous désirons tous être heureux; personne ne veut vivre dans la souffrance. C'est la quête du bonheur qui unit tous les êtres humains, qui crée un lien universel.»

Anne-Marie Vertefeuille, dans Le bonheur d'une mariée, s'aventure quant à elle dans une histoire d'épousailles modernes à travers lesquelles les idéaux de contes de fées reprennent leurs droits, grâce au concours d'émissions de Canal Vie, d'organisatrice d'événements professionnelle, du triomphe de la princesse. «Bonheur de revêtir cette robe, d'être pour une journée la reine, la plus belle, le centre d'attraction; celle que l'on couvrira de compliments parce que, hé, a-t-on déjà vu une mariée qui ne soit pas aussi resplendissante qu'un lever de soleil?»

Quête de bonheur dans un igloo, rencontres de speed dating dans des bibliothèques municipales, réflexion sur les «happy ending»... Ce Zinc à la sauce bonheur ratisse large et dans plusieurs directions. Clin d'oeil en conclusion: le dernier mot est donné à Gregory Charles, qualifié «d'athlète olympique dans le domaine de la félicité». En parlant des Québécois, l'infatigable Gregory lance: «Je dirais que ce n'est pas le bonheur qu'on a de difficile, c'est notre satisfaction qui est trop facile.»

Est-ce là une bonne ou une mauvaise nouvelle? Laissons la littérature répondre à cette question...