« Mon frère, je lui en ai voulu et je l'ai aimé tellement à la fois ! Quand je rushais sans bon sens, je lui disais que c'était de sa faute. Mais aujourd'hui, je lui dis que c'est grâce à lui. »

Sans des encouragements incessants de son petit frère Guillaume, jamais Estelle Ouellet n'aurait eu la confiance et le courage de sauter dans le vide. Sa chute libre, ç'a été de se défaire des menottes dorées d'un emploi payant et prometteur dans la fonction publique fédérale et d'entreprendre, à l'aube de la trentaine, les études du doctorat en médecine.

« J'ai commencé ma médecine à 29 ans. Je suis rendue à 35 ans, et j'aurai 39 ans quand je vais finir mes études et que je serai psychiatre. »

- Estelle Ouellet

Estelle Ouellet ne manque pas de détermination. Des études jusqu'à la maîtrise en sciences économiques et politiques ont valu à la jeune première de classe un poste de fonctionnaire au gouvernement fédéral. À 27 ans, après avoir persévéré au sein de trois ministères différents et s'être rendue à l'évidence que cet emploi « l'emmerdait au plus profond [d'elle-même] », elle a décidé de recommencer à zéro.

LE CONSTAT

« Être dans un bureau, la bureaucratie, les chicanes de clocher au sein même des ministères... j'étais malheureuse au plus haut point, confie la jeune femme. Mes grandes ambitions d'influencer les politiques publiques, je me rendais compte que ça ne fonctionnait pas comme ça. »

Le constat était brusque. Sa mère lui avait martelé toute son enfance que les études étaient un gage de réussite et de bonheur ; « qu'elles ouvraient les portes sur un emploi qu'on va aimer », se souvient Estelle.

Pour elle, pas question de vivre malheureuse. Elle devait pratiquer un métier qui lui donnait le sentiment d'aider. Après réflexion, elle a choisi : infirmière ou physiothérapeute. Convaincue, elle a fait la grande annonce à son frère cadet le soir du jour de l'An. Du tac au tac, il lui a répondu : « Pourquoi pas médecin ? »

LE TOURNANT

Jamais Estelle n'avait envisagé cette option, elle qui était « restée traumatisée par M. Pasca », son enseignant de sciences physiques de 5e secondaire. D'autant plus qu'elle avait fait ses études en sciences humaines, et qu'elle avait toute une côte à remonter pour tenter sa chance en médecine. Mais son frère s'est fait insistant et... convaincant.

« J'ai dit : "O.K. ! On va sauter du tremplin de 10 m, et au pire, c'est mon ego qui va prendre tout un flat". »

- Estelle Ouellet

Deux jours plus tard, la jeune fonctionnaire annonçait à ses patrons qu'elle démissionnait avec un préavis de six mois, à condition qu'elle puisse finir son contrat à temps partiel pour pouvoir suivre ses cours préalables. Une fois cette étape franchie, elle a fait ses sciences pures et a finalement pu présenter sa candidature aux facultés de médecine. Elle avait 29 ans.

LE TUMULTE

« C'était vraiment un long shot. Mon profil était tellement différent. Je ne m'attendais pas à être acceptée », raconte l'étudiante, qui avait alors établi un plan sur plusieurs années selon les scénarios possibles. Physio si médecine ne fonctionnait pas. McGill si les universités de Montréal, Sherbrooke ou Laval ne l'acceptaient pas, etc.

Les astres étaient alignés, dit-elle humblement : les trois universités l'ont acceptée. Son heureux calvaire de 10 ans d'études commençait. Avec des cours comme Biologie moléculaire de la cellule ou Microbiologie et virologie, disons que l'ex-fonctionnaire était loin de l'analyse statistique de l'administration publique. Elle ne s'en cache pas, l'adaptation a été pénible.

« Dans mon groupe, on était juste trois avec un profil bizarre. Un qui avait étudié en cinéma, un ancien cycliste professionnel et moi. Le préclinique, j'ai trouvé ça s-u-p-e-r difficile, confie-t-elle. Quand j'étais en sciences économiques, j'avais une cote de 4,2 sur 4,3. Et là, j'étais loin de péter des scores, des fois, je frôlais l'échec. J'étais fatiguée, à bout, brûlée. »

L'EXIL AU COMBAT

Toutes les semaines du préclinique et de l'externat, Estelle a pensé tout lâcher. Mais la battante n'a jamais baissé les bras. Au contraire, elle les a gardés bien relevés.

« Je me cherchais un sport proche de chez moi. Il y avait une école de taekwondo et j'ai eu la piqûre. Je me suis mise au défi de passer ma ceinture noire en même temps que mon diplôme de médecine. »

Nul doute que la psychiatre en devenir ne fait jamais rien à moitié. La ceinture noire prend des années à obtenir et une rigueur sans faille.

« Je suis tombée dans l'extrême de la performance, mais c'était essentiel pour moi de me défouler. C'était méditatif pour moi, c'était le seul moment où je décrochais et que j'arrivais à ne penser à rien d'autre que le moment présent », dit-elle.

À six mois d'intervalle, elle a obtenu son diplôme du doctorat en médecine et sa ceinture noire.

UN CHOIX À 250 000 $

Impossible, toutefois, de travailler tout en étudiant la médecine à plein temps. Les dettes de la trentenaire s'accumulaient au même rythme que son stress et ne faisaient qu'augmenter la pression sur ses objectifs de performance.

« Les sueurs froides, moi, c'était toujours à cause du poids des finances. Tu te dis : "Si ça ne marche pas, comment je vais rembourser tout ça ?" Ça te trotte toujours en tête », avoue celle qui, après sept ans, est endettée de 250 000 $.

« Je suis sûrement dans les plus endettés, mais les plus vieux, c'était davantage notre réalité. On n'habitait plus chez nos parents et je n'ai jamais voulu demander de l'aide à ma mère. Aussi, on ne se le cachera pas, la moitié de ma cohorte arrivait du collège Jean-de-Brébeuf et de familles assez fortunées. »

LE BONHEUR

La jeune femme en est aujourd'hui à sa deuxième année d'études postdoctorales au département de psychiatrie de l'hôpital St. Mary's, affilié à l'Université McGill. Le pire est derrière elle. La résidente est passionnée par la pratique, a pu mettre un frein à son endettement et a trouvé un meilleur équilibre dans toutes les sphères de sa vie, y compris le taekwondo. Il lui reste deux examens majeurs à passer et, d'ici 2020, elle sera officiellement psychiatre.

« Ça valait définitivement la peine. Et je le savais. Je le savais qu'au final, je serais heureuse. Même si je n'ai pas encore fini, c'est déjà le bonheur », conclut la résidente comblée, qui ne regrette en rien de s'être libérée de ses menottes dorées.

Photo David Boily, La Presse

Médecine : minimum sept ans d'études

La première étape est l'obtention du diplôme de doctorat en médecine (M.D.) correspondant à un baccalauréat de premier cycle. Cette formation générale d'une durée de quatre ou cinq ans est obligatoire et comprend le préclinique et l'externat. La deuxième étape est l'étude postdoctorale, qui consiste en l'obtention du droit de pratique en s'orientant vers la médecine de famille (durée de 2 ans), vers l'une des 32 spécialités offertes (durée de 3 à 6 ans), ou encore vers une carrière en recherche.

Source : Fédération médicale étudiante du Québec