Elle a 35 ans, elle est mère de trois enfants et a quitté, il y a deux ans, le monde de la publicité pour retourner sur les bancs d'école dans l'espoir de devenir humoriste. Après 10 ans comme rédactrice publicitaire, Léa Stréliski joue le tout pour le tout. Son objectif : faire rire les jeunes trentenaires fatigués et parfois dépassés comme elle par la vie.

Léa Stréliski « est une sainte ». C'est Mathieu Dufour, son ami et collègue de classe, qui le dit.

« Elle a trois enfants et elle est capable de faire fitter sa vie de famille avec son horaire [scolaire]. Moi, j'ai juste une colombe comme animal de compagnie et j'ai de la difficulté à y arriver », affirme-t-il d'un ton admiratif.

Pourtant, dans les locaux baignés de lumière de l'École nationale de l'humour, située dans le haut d'une tour de la rue Sherbrooke, à Montréal, Léa semble tout sauf une sainte qui ne veut pas déranger. Au contraire, avec un retour aux études tardif, maintenant à 35 ans, elle dit en avoir profité pour aiguiser son langage, son humour et son efficacité sur scène.

Elle se sent plus prête que jamais à devenir humoriste et à faire sa place. Mais le chemin qui lui a permis de trouver sa voie a été tout sauf facile.

DÉCROCHER À 18 ANS

Née à Montréal d'une mère québécoise et d'un père français, Léa Stréliski a étudié au collège international Marie de France, a vécu quelques années dans l'Hexagone et a appris très jeune à parler l'anglais. Parfaitement bilingue, c'est à McGill qu'elle a entamé à 18 ans ses études universitaires en psychologie et en sociologie, avant de tout lâcher une première fois.

« Je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie... Je suis finalement retournée aux études à l'École nationale de l'humour à 33 ans. Disons que ça m'a pris un peu de temps [pour me trouver] ! »

- Léa Stréliski

À sa sortie de l'université, son père l'a invitée à se joindre à lui dans une nouvelle boîte de publicité qu'il mettait sur pied. Rapidement, raconte Léa Stréliski, elle a appris les rouages du métier. Être rédactrice-conceptrice, « c'était payant », dit-elle sans détour.

Mais quelques années plus tard, elle a quitté l'entreprise où travaillait son père pour se lancer à son compte. Devenir travailleuse autonome lui permettait alors de réaliser d'autres projets et d'espérer trouver ce qui la passionnait vraiment.

« Ce n'est pas ce que je voulais faire dans la vie, et je le savais. C'était ça, mon problème en pub. Je n'avais aucune ambition. [...] Je le faisais comme gagne-pain », se rappelle-t-elle.

Dans les années qui ont suivi, en plus de continuer ses contrats en publicité, Léa Stréliski a donc multiplié les projets médiatiques : d'abord comme animatrice de l'émission Made In France, à MusiquePlus, puis comme chroniqueuse à Urbania et à une toute nouvelle émission de la première chaîne radio de Radio-Canada, La soirée est (encore) jeune. C'est là que, malgré les hauts et les bas, elle a eu une révélation.

« J'ai compris à 30 ans ce que je voulais faire dans la vie. C'était la meilleure et la pire nouvelle au monde », dit-elle aujourd'hui, se remémorant tous les échelons qui l'ont amenée à conclure que l'humour était non seulement un trait de personnalité, mais aussi une force incontournable à sa vie.

L'ARRIVÉE À L'ÉCOLE

Pour la deuxième fois de sa vie, Léa Stréliski a donc joué le tout pour le tout : elle a tout laissé tomber pour devenir humoriste, ce qui signifiait pour elle mettre un terme aux contrats en publicité et partir soir après soir dans les « open mic » des bars du centre-ville pour livrer de courts numéros.

« Au départ, tu n'as aucune raison d'aimer ça. Il faut que tu ailles au centre-ville, que tu déneiges ton char, que tu fasses un show devant des gens qui ne rient pas à tes jokes, tu n'as vraiment aucune raison d'aimer ça. Mais je continuais parce que je me sentais malgré tout à ma place », dit-elle, se rappelant qu'elle se cachait souvent dans les toilettes, avant son numéro, terrassée par l'anxiété.

Or, au début de la trentaine, il était impossible pour elle d'imaginer passer 10 ans dans les bars à roder ses blagues et à tenter de se faire remarquer. C'est à ce moment-là que l'idée de retourner sur les bancs d'école lui est venue.

« J'étais chez nous et j'écoutais un "Ted Talk" d'une lesbienne qui disait qu'elle était restée dans le placard pendant vraiment longtemps et qui expliquait ce que ça lui avait fait. Elle voulait dire aux gens, même aux hétéros, qu'il y avait toute une partie de nous dans le placard. Ça m'est resté dans la tête, et je me demandais c'était quoi, moi, qui était dans le placard. »

- Léa Stréliski

« À un moment donné, j'ai vu une publicité de l'École nationale de l'humour et j'ai compris. Je voulais faire l'École, mais je ne me l'avouais pas », se remémore-t-elle.

« On connaissait un peu son travail sur les réseaux sociaux, et c'était clair pour nous qu'elle avait la motivation de passer de l'écrit à l'oral. [...] C'est courageux de se dire "J'ai besoin de m'asseoir le cul et d'en absorber de façon boulimique". C'est une démarche qui n'est pas terminée, on verra comment elle va exploiter [son talent], mais c'est une fille vraiment brillante », estime la directrice de l'École, Louise Richer.

ET PUIS QUOI, MAINTENANT ?

Dans quelques mois, la formation d'humoriste de Léa Stréliski sera terminée. Elle devra retourner plus fréquemment dans les bars, se faire remarquer par le public et l'industrie et développer, minute par minute, des numéros qui la mèneront à avoir une heure de matériel à présenter. C'est le défi qu'elle se donne.

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

« Ce qui sera jouissif, c'est si, [à terme], j'ai des trentenaires fatigués dans la salle [qui viennent m'écouter]. Généralement, jusqu'à maintenant, ce n'est pas ce que j'ai. À l'École, ils ont entre 20 et 25 ans pour la plupart, sans enfants, mais c'est le fun parce que mes jokes sont assez drôles pour les faire rire, même s'ils n'ont pas les référents émotifs », analyse Léa Stréliski.

Parviendra-t-elle à faire tout cela même si, comme n'importe qui qui commence, elle est souvent étourdie par l'ampleur de la tâche qui lui reste à accomplir ?

« Ce qui est génial quand tu trouves quelque chose que tu aimes beaucoup, c'est que tu l'aimes plus que ça te fait peur », dit-elle, sourire en coin.

Image tirée d'une vidéo de Martin Leblanc

QUATRE HUMORISTES QUI L'INSPIRENT

Nom : Ali Wong

Explication : « Elle a fait un numéro lorsqu'elle était enceinte et elle est vraiment drôle. Elle a un point de vue féminin et nous explique, par exemple, comment elle a piégé son chum quand elle l'a vu. Elle savait que c'était un bon catch et elle s'est dit : "Oh my god, I'm going to trap his ass." Elle a vraiment un style d'humour qui vient de ses tripes. »

Nom : François Bellefeuille

Explication : « Je le trouve intelligent, drôle et il gère super bien sa carrière. J'ai déjà vu son spectacle deux fois, et le fait qu'il ait été vétérinaire avant de changer de vie m'inspire. »

Nom : Martin Matte

Explication : « Il est l'icône de l'humour au Québec. C'est très difficile d'écrire quelque chose de qualité. Écrire Les beaux malaises, ça devait être super difficile, et c'était [bon]. »

Nom : Louis C.K.

Explication : « Louis C.K., c'est un peu Dieu. Je l'ai vu l'été dernier à Montréal. Je ne sais d'ailleurs pas dans quel état de grâce j'étais pour réussir à avoir des billets... Mais bref, c'était à la Maison symphonique et c'était extraordinaire. Il était absolument parfait, un virtuose ! »

Photo Jason Kempin, archives AFP

Ali Wong