Antonio Park est un drôle d'oiseau (migrateur). Il parle français avec un accent montréalais, anglais avec celui du Canada, espagnol - celui de Buenos Aires - et portugais comme un Carioca. Et pourtant, aux commandes du restaurant qui porte son nom, il propose de la cuisine qu'on pourrait justement qualifier de fusion nippo-coréenne.

C'est que, voyez-vous, Park est né et a grandi en Argentine. La fusion des cultures, il connaît, puisque ses parents sont coréens, qu'il a étudié la cuisine au Japon et qu'il vit au Québec depuis pas mal de temps. Assez pour s'être fait une réputation enviable ailleurs, à la barre du 357C, chez Kaizen et chez Masa à New York.

Installé depuis l'hiver dernier dans un local auquel il a redonné un peu de vie et de chaleur, au rez-de-chaussée d'un édifice anonyme de l'ineffable cité de Westmount, le Park attire tous les gens du coin qui ont envie d'autre chose que de pizza ou de cuisine préchauffée. Car ce restaurant se définit d'abord par son esprit: spontanéité et fraîcheur absolue, sans préciosité. Une qualité bien rare, surtout dans la catégorie des restos japonais... tenus par des non-Japonais.

Le lieu, très carré, cartésien, tout en angle et en cadrage, habillé de bois et de métal, est déjà en soi une signature. La cuisine est complètement ouverte sur la salle et sur la rue, coupée sur la longueur par un joli comptoir où nous avons pris place et discuté avec le chef pendant qu'il tailladait et hachait à coups précis de santoku ou cramait des chairs au bout d'une torche de soudeur, pour les caraméliser à vive allure. Il est presque insolent, ce décor dans un quartier bourgeois où les commerces suivent les conventions de l'esthétique justement conventionnelle.

Cuisine vive

La carte n'est pas des plus bavardes, une partie s'inscrit au tableau noir au-dessus du bar, mais on vous annonce les propositions: une formule à 40 dollars qui donne droit à cinq plats choisis par le chef ou celle à 80 dollars qui vous en donne deux de plus, mais ce sera une fantaisie sur le mode poisson cru (arrivé sur place vivant) qui devrait vous laisser sans voix. En tout cas, c'est ce qui nous est arrivé, à nous.

Attendez-vous à une cuisine japonaise vive, qui varie sur tous les registres: le froid, le chaud, le légèrement pimenté ou moutardé, le mou et le craquant, chaque composition est une griffe habilement interprétée avec quelques idées coréennes ou italiennes ici et là. Mais le grand art en cuisine de l'Asie extrême-orientale, il se trouve surtout dans les îles japonaises, qui ont donné naissance à l'une des cuisines les plus fines et les plus précises du monde, parce qu'elle fait appel à des produits bruts qu'on est obligé de laisser tels quels. En ce sens, Park lui rend un hommage lumineux. Il s'agit davantage d'une cuisine d'assemblage savant que d'une cuisine d'amalgame.

Nos plats: départ sur une soupe à la patate douce, inspirée sans doute par l'amour que lui portent les Coréens, mais travaillée avec du gingembre, présentée comme un tableau naturaliste, avec des herbages, des pousses vertes, des bâtonnets plantés dans une crevette que l'on est encouragé à tremper dans le liquide chaud et soyeux. Puis il y aura une salade - tomate, concombre, gingembre, algues - coiffée d'un peu de mozzarella et de petites pousses miniatures au goût de moutarde. Nous aurons ensuite des petits filets de saumon sauvage braisés légèrement au soja et au sirop d'érable, servis avec un condiment de betteraves marinées au vinaigre balsamique, puis des sushis d'une exceptionnelle grâce, présentés joliment sur une assiette en céramique grise. Chacun des cinq poissons proposés sera d'une espèce inhabituelle, chacun aura un goût unique, précisément travaillé pour le faire ressortir, chacun porté par ce riz à peine gluant, si savoureux quand il est parfaitement préparé.

La suite sera tout aussi soignée: des filets d'un poisson à chair rosâtre, apparenté au vivaneau, totalement cru et nappé d'un trait de la sauce chimichurri qui sert aux Argentins à donner à leur viande un peu plus de mordant. Il y aura un râble de lapin farci au basilic et aux champignons, servi avec des légumes-racines braisés sur une émulsion au parfum terreux, d'autres poissons crus, servis avec un trait de sauce aux prunes ou des feuilles de kinome finement détaillées.

À chaque plat, on pousse un soupir. Et on ne laisse même pas un nuage, ni de sauce ni de jus, seulement un peu de détresse, car on en voudrait presque plus tellement cette cuisine maritime travaillée avec la maîtrise d'un samurai est oxygénante et tonique!

Park

378 av. Victoria, Westmount


514-750-7534

Prix : Le midi, les plats (comprenant une soupe) sont facturés à partir de 11$ et jusqu'à 15$. Le soir, les formules à 40$ et 80$ permettent de se laisser aller au bon vouloir du chef et de découvrir des choses inédites et hors des sentiers (maritimes) battus. Comptez 185$ tout compris, pour deux formules et quelques verres de Proseco.

Faune : Surtout anglophone et anglophile, elle s'y connaît dans l'art des poissons crus, elle est bien mise et plutôt joyeuse.

Service : Efficace et courtois, et un peu distant.

Vin : Une carte simple qui propose, elle aussi, des choses qui permettent de jouer un peu avec ces goûts iodés si difficile à marier avec le vin.

Plus : Un joli menu du midi à moins de 20$ pour un remarquable bibimbap (« le riz avec toutes sortes de choses dedans ») coréen ou un plat de nouilles transparentes, soyeuses et au goût délicat.

Moins : Le soir de notre passage, plusieurs membres du personnel de salle ne parlaient pas français. On est à Westmount, mais tout de même!

On y retourne? Certainement. Et souvent.