Les enfants et les adolescents se ruent ces jours-ci sur le fidget spinner, tout petit objet qui tournoie entre leurs doigts. Outil attrayant, certes, mais qui favoriserait aussi la concentration. Au-delà de cet engouement, en quoi la manipulation d'un objet nous rend-elle plus attentifs ?

Bien qu'il soit d'abord annoncé comme un outil favorisant la concentration, le fidget spinner connaît depuis le début de l'année un succès qui dépasse largement les besoins thérapeutiques. Tant et si bien que cette toupie nouveau genre est présentée comme le jouet de l'année 2017 par le magazine Forbes aux États-Unis.

« C'est vraiment la folie ! C'est la première fois que je vois ça. On a beaucoup de mal à en garder en stock », confirme Karine Gagner, présidente de FDMT, une entreprise spécialisée dans les outils d'apprentissage.

Au-delà du divertissement, cet objet tient-il ses promesses ? « On peut en débattre, tempère-t-elle. Le faire tourner et ressentir la vibration dans sa main peut permettre à certains de mieux se concentrer. Mais est-ce l'idéal pour la salle de classe ? Je n'en suis pas convaincue, surtout qu'il y a un phénomène de nouveauté. »

Certaines personnes éprouvent effectivement un besoin irrépressible de manipuler de petits objets, de les déformer ou encore de les tourner dans tous les sens. « Ça aide à moduler notre niveau d'éveil, qui est éventuellement notre niveau de stress », explique Caroline Huard, ergothérapeute. Ainsi, le fait de triturer un objet répond à un besoin - un besoin de se stimuler ou, au contraire, de se détendre. « Disons qu'à un niveau d'éveil à zéro, je ne suis pas motivée du tout, et qu'à neuf ou dix, je suis en mode panique ; il faut que je me situe environ au niveau cinq pour bien fonctionner », explique-t-elle.

« Manipuler un objet permet de me garder éveillée, ou encore de me calmer si j'éprouve le besoin de me lever ou de courir partout. »

- Caroline Huard, ergothérapeute

Balles de stress, objets de caoutchouc à mordiller, bracelets de plastique à déformer : ces outils permettent notamment à des personnes atteintes d'une affection comme un trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) ou un trouble du spectre de l'autisme de s'« autoréguler », et d'être disposées à écouter ou à travailler.

Ces objets connaissent aussi beaucoup de succès dans la population en général. « Il y a plus de demande qu'il n'y en avait pour des personnes avec ou sans diagnostic, constate Mme Gagner. On est tous des êtres humains plus ou moins sensibles. Si j'assiste à une conférence pendant deux heures, c'est utile ! »

PAS UNE SOLUTION MAGIQUE

Il ne suffit toutefois pas d'un objet à manipuler pour régler un problème d'attention ou de stress, ajoute Caroline Huard : « Disons qu'un enfant a accès à un spinner dans son coffre à crayons. S'il sent que quelque chose ne va pas, il va avoir le réflexe d'aller le chercher et de "gosser" avec. Ça peut l'aider, mais pour qu'il en retire des bienfaits, il doit y avoir une approche plus globale. On va amener l'enfant à être conscient qu'il est stressé, par exemple, et que c'est pour cette raison qu'il utilise cet outil. »

L'ergothérapeute précise que l'utilisation de ce type d'objet de modulation sensorielle demande un certain niveau de conscience. Elle invite notamment les enfants à comprendre quelles sont les raisons qui les poussent à les utiliser. 

« Faire une utilisation inconsciente de cet outil ne fait que mettre un pansement sur un bobo. »

- Caroline Huard

« Si l'enfant apprend à reconnaître ses besoins, il pourra se dire qu'à ce moment-là, il a plutôt besoin de se lever pour bouger un peu, ou encore de respirer pour mieux gérer son stress. C'est comme ça qu'on l'amène à devenir un adulte en meilleure santé », explique l'ergothérapeute.

L'ergothérapeute conseille d'utiliser différents outils sensoriels et de vérifier leur efficacité auprès des enfants afin d'éviter qu'ils ne soient qu'une distraction. « Tenir un journal de bord peut être utile. Est-ce que l'anxiété baisse quand on utilise un objet en particulier ? Est-ce qu'elle remonte par la suite ? Ça peut nous aider. »

LE QUOTIDIEN DE FRÉDÉRIC

Les outils sensoriels font partie du quotidien d'Isabelle* et de son fils Frédéric, 10 ans. Le garçon vit avec un TDAH, des troubles orthographiques, mais aussi avec une douance. Résultat : il a du mal à se concentrer en classe et ses difficultés entraînent beaucoup d'anxiété.

« Je teste tous les objets parce que j'ai peur qu'il joue avec ces bébelles, mais ça fonctionne généralement bien, parce qu'il a vraiment besoin de bouger et de se calmer », raconte Isabelle, qui a elle-même une formation d'ergothérapeute.

Au quotidien, Frédéric utilise une chaise qui lui permet de bouger, une bague qui tournoie... et un fidget spinner aussi. Après plusieurs changements d'école, Frédéric et ses parents ont trouvé un environnement où l'utilisation des outils nécessaires à sa réussite ne pose aucun problème.

À la maison, Frédéric peut aussi bouger à sa guise. Trampoline, ballon d'exercice pour s'asseoir... tous les moyens sont bons. 

« La meilleure façon pour lui d'apprendre ses mots en anglais, c'est de les réciter dans le hamac ! Ça fonctionne vraiment bien avec lui. »

- Isabelle, mère de Frédéric

Sans installer de trampoline en classe, Caroline Huard suggère aux enseignants d'intégrer des pauses pour bouger toutes les 20 minutes au primaire. « Ça n'a pas besoin d'être long. Trente secondes suffisent quand on remarque que tout le monde a envie de bouger », explique-t-elle.

Frédéric comprend très bien ce que les périodes pour bouger et les outils sensoriels lui apportent.

« Il me dit : "Maman, ces outils me gardent éveillé et intéressé à ce qui se passe autour de moi" », raconte Isabelle.

Une conscience qui échappe encore à beaucoup d'adultes. « La plupart des adultes ne sont pas conscients de leur propre niveau d'éveil, constate Caroline Huard. On va toujours aller consulter son téléphone, on va se lever, on va grignoter, on va aller prendre un autre café... on va tous s'autoréguler quand notre niveau d'éveil n'est pas optimal. Ce sont des stratégies socialement acceptables, mais il faut identifier la cause sous-jacente. »

* Isabelle, la mère de Frédéric, nous a demandé de ne publier que leurs prénoms pour préserver l'anonymat de son fils.

Image tirée de Twitter

Le « fidget spinner » est présenté comme le jouet de l'année 2017 par le magazine Forbes aux États-Unis.

Quelques bjets de modulation sensorielle

BALLE DE STRESS

C'est le classique des objets de modulation sensorielle. Les boutiques spécialisées en offrent plusieurs modèles pour des sensations diverses, mais « celles que l'on trouve dans les [magasins à bas prix] fonctionnent aussi très bien », dit Caroline Huard, ergothérapeute.

TANGLE

Cet outil est fait de pièces de plastique reliées les unes aux autres. Il ressemble à un collier ou à un bracelet, mais sa conception à la fois souple et rigide permet à l'utilisateur de le tordre dans tous les sens.

CUBE RUBIK

Sans nécessairement le réussir, faire tourner les faces d'un Cube Rubik peut avoir un effet apaisant, fait remarquer Caroline Huard. Pour certains, le simple fait de manipuler l'objet peut aider à maintenir l'attention.

CURE-PIPE

Ce petit accessoire de bricolage peut aussi avoir des effets apaisants ou stimulants. « C'est vraiment intéressant au niveau tactile, soutient Mme Huard. Dans une formation, on avait mis un cure-pipe sur notre bureau sans nous dire pourquoi, et tout le monde jouait avec ! »

PAPIER ET CRAYON

En griffonnant, certains semblent inattentifs, mais au contraire, ils sont plus concentrés que jamais. « Je suggère parfois [aux enfants] de dessiner dans un cahier de mandalas, explique l'ergothérapeute. On leur demande de répéter ce qu'on a dit pour vérifier, et c'est souvent très efficace. »