Salles pleines, réservations pour les deux mois à venir: les grands restaurants échappent à la tourmente financière mais suivent avec attention l'évolution d'une crise qui pourrait les frapper plus tard et peut-être même bouleverser le petit monde de la gastronomie.

Les crises peuvent avoir un effet positif et la tempête financière sauvera peut-être «la vraie gastronomie», estime François Simon, critique gastronomique au quotidien Le Figaro.

Selon plusieurs chefs et gestionnaires de restaurants interrogés par l'AFP, «on entend parler de la crise à toutes les tables» mais pour l'instant, elle n'a pas d'impact sur la fréquentation.

«Il n'y a aucun signe de chute» des réservations, affirme Franka Holtmann, directrice générale du palace parisien Le Meurice, qui abrite un restaurant «trois étoiles». «Rien de spécial» non plus chez les chefs parisiens Guy Savoy et Alain Passard, leur confrère savoyard Marc Veyrat ou chez Taillevent, institution parisienne de la gastronomie.

On se bouscule toujours chez Gordon Ramsay à Londres, le Fat Duck d'Heston Blumenthal à Bray (Berkshire) affiche complet pour les deux mois à venir. Chez Jean-Georges, l'un des quatre «trois étoiles» de Manhattan, toutes les tables étaient réservées à déjeuner la semaine dernière, en pleine tourmente à Wall Street.

Pour Alain Drouard, historien français de la gastronomie, rien d'étonnant à cela. «La gastronomie a changé de statut, c'est devenu une industrie de luxe» et non plus un artisanat. Comme toute industrie, elle a ses «marques», comme «la marque Ducasse», du nom du chef français multi-étoilé Alain Ducasse qui a quitté les fourneaux et gère un empire gastronomique allant de Tokyo à Londres ou New York. «En période de crise, l'industrie du luxe marche bien», souligne M. Drouard.

«Faut pas rêver, ça va devenir difficile», estime cependant Marc Veyrat. «On n'est pas dans une bulle, on vit aussi dans le système économique». Les attentats du 11 septembre 2001 avaient «eu une incidence» sur la fréquentation des restaurants gastronomiques, avec une baisse de la clientèle américaine et moyen-orientale, rappelle-t-il.

Au bout du compte, la crise pourrait se révéler bénéfique pour la gastronomie qui, selon François Simon, souffre des mêmes maux que la haute finance. Le monde de la gastronomie bénéficie de l'argent d'entreprises qui dépensent des fortunes pour offrir des repas trois étoiles à des personnes qui ne sont pas des gourmets, affirme-t-il. «C'est un univers de représentation, une fiction totale».

Selon lui, grâce à la crise, «on va revenir à la vraie gastronomie, avec le retour du chef. Les chefs feront des dîners plus chers pour des gens très riches. (...) La gastronomie sera sauve mais de plus en plus exclusive», dit-il. On va revenir à «une micro-gastronomie faite pour des gens gastronomes».