Lorsqu'on parle de richesse, on pense souvent à ces gens qui apparaissent régulièrement dans les pages de Paris Match ou Vanity Fair, vêtus de Dior ou de Stella McCartney de la tête aux pieds, en route vers Saint-Barth ou une petite fête au Ritz, à Paris.

Mais est-ce réellement ainsi que vivent les gens nantis? Ce moins de 1% des familles québécoises qui gagnent plus de 225 000$ par année?

Pas du tout. À côté de l'infime minorité de gens qui voyagent en jet privé, la classe moyenne très aisée est plutôt composée de familles qui vivent tout simplement très bien. Ils ne comptent pas quand ils vont à l'épicerie ou au resto. Voyagent plusieurs fois par année. Leurs nombreux enfants vont à l'école privée, la gardienne est à temps plein. Et si certains profitent de leur marge de manoeuvre financière pour collectionner les voitures de luxe, d'autres en profitent pour se procurer autre chose: du temps.

Notre chroniqueuse Marie-Claude Lortie a rencontré les Poitras-Chainey, une famille qui a décidé de se payer cet ultime luxe.

Portrait d'une famille relax

Je n'ai même pas encore appuyé sur la sonnette de la maison du Sommet Trinité, à Saint-Bruno, que deux petits visages angéliques passent la tête par la porte entrebâillée.

«Vos parents sont là?

Vous êtes qui?» me demande une petite fille aux immenses yeux noisette et aux longs cheveux parfaitement brossés, en ouvrant la porte.

À côté de Frédérique, 8 ans, il y a son frère Elliot, 7 ans, mais aussi Lola, un tout petit caniche blanc. Du perron, puisque la grande demeure est accrochée sur un coteau, on voit jusqu'à la plaine où quelques pommiers se préparent à la rentrée des classes.

Dans la maison, tout est à sa place. Pas une chaussette en goguette, pas une facture de téléphone abandonnée sur un guéridon de l'entrée, pas un verre sale dans l'évier de la cuisine.

Maryse Chainey, la maman, agente immobilière commerciale chez Devimco - son mari est associé principal d'une entreprise dans le même domaine, NAI Commercial - vient de rentrer du travail mais la gardienne s'est occupée de toute la gestion de la maison durant la journée. Nulle part au rez-de-chaussée aperçoit-on le chaos habituellement décrit dans les romans modernes sur la conjugaison travail-famille.

Maryse est arrivée du boulot et a été accueillie par des enfants propres et nourris. Eliott porte sa tenue de soccer, prêt à partir à son match. La cadette, Lili-Rose, 4 ans, s'est assoupie devant la télé dans la salle de séjour.

«On s'en va tous au soccer», m'annonce Maryse, avant de partir enfiler un jean.

La vaisselle du souper? Déjà faite. Une autre petite brassée avant de partir?

Pas nécessaire.

Le livreur de lait est aussi passé pour s'assurer que la famille n'ait pas à courir en catastrophe au dépanneur. Le nettoyeur à sec est venu chercher les chemises et les tailleurs.

Une mini PME

Pour la famille Poitras-Chainey, «être confortable» se résume d'abord à une chose: avoir les moyens de s'offrir du temps avec les gens qu'on aime. Gardienne avec voiture, jardinier, école privée incluant service de cafétéria hors pair (donc aucun lunch à préparer): des gens veillent à ce qu'aucune tâche ménagère ne vienne compliquer la vie déjà chargée - ski, hockey, soccer, natation, ballet, tennis, etc. - de la jeune famille.

«Même si tous les enfants sont à l'école, la gardienne est là à temps plein et on a des gens qui s'occupent de tout. C'est une vraie PME, notre affaire, mais c'est un investissement qui en vaut vraiment la peine, explique Maryse. Quand on est à la maison, on n'a pas à penser à autre chose qu'à être avec les enfants.»

«Et ce temps-là, il vaut amplement le prix que ça nous coûte», ajoute son mari, Paul-Éric Poitras.

La semaine, une magnifique piscine dans le jardin attend qu'on y plonge après l'école. Le week-end, un bateau à voile amarré dans le lac Champlain permet à la famille de s'évader et de passer du temps ensemble en concentré.

Quand les parents ne sont pas au boulot, ils sont au parc, à la montagne

Pour Paul-Éric, entre une balade en vélo avec son fils et une séance de tonte de gazon, la question ne se pose même pas. «On gagne de l'argent en faisant les choses qu'on fait bien. Pour le reste, on paie.»

Il y a bien des gens qui trouvent un plaisir à faire des tâches domestiques comme le jardinage ou la cuisine. M. Poitras n'en fait pas partie. «Je ne suis pas très tolérant, dit-il. Je dis constamment: "On a du monde pour faire ça."»

Le bonheur, dans son livre à lui, c'est justement d'être libéré de tout cela.

«On ne cherche pas à avoir des choses. On cherche à faire des choses.»

Et on le croit sur parole.

Maryse conduit une Land-Rover, Paul-Éric une Volvo familiale. Maryse aime les belles choses comme son sac à main Burberry. Et une magnifique chaise longue Le Corbusier trône dans le salon. Mais mis à part ces quelques indices démontrant un goût pour le haut de gamme discret, il est clair que les griffes bling bling n'ont pas beaucoup d'emprise sur la famille.

Le temps et la paix d'esprit n'ont pas de marque.

Pas très Toqué!

Pour en arriver là, la famille a fait des choix, en commençant par la décision de Paul-Éric de partir à son compte en immobilier commercial, un défi mais aussi une solution qui lui donne liberté et flexibilité et lui évite de voir son horaire géré par d'autres.

Maryse travaille de bonnes journées, mais elle aussi a choisi des fonctions qui lui permettent d'éviter les voyages quasi hebdomadaires de son ancien poste. Et qui lui donnent la flexibilité d'horaire nécessaire pour gérer les imprévus familiaux. «Et en plus, je travaille à 15 minutes de chez moi.»

Vivre en banlieue fut un autre choix, car pour le prix d'une maison à Outremont, on peut s'y procurer pas mal plus de pieds carrés de terrain, de maison et d'espace pour jouer. «Nous, ça ne nous manque pas, la ville. On est pas mal plus St-Hubert que Toqué!», dit Paul-Éric en riant.

L'autre choix, pour Maryse, fut de laisser tomber petit à petit son contrôle sur les tâches familiales. Dans certains cas ce fut facile, parfois moins. «Quand j'ai décidé de laisser tomber la préparation des repas, j'ai dû vraiment lâcher prise. Mais aujourd'hui, je ne le regrette pas du tout.» Le temps récupéré, autant celui qu'elle consacrait aux courses que celui aux fourneaux, est précieux.

L'autre choix, explique Paul-Éric, en est un de «simplicité volontaire». Cela peut sembler étrange de parler de simplicité quand on a un train de vie comme le leur, mais la réalité, c'est qu'il n'y a pas de limite à l'amélioration des conditions matérielles qu'une famille peut vouloir.

Paul-Éric, donc, estime s'être arrêté à un point où il y a équilibre entre le temps qu'il doit investir pour que son entreprise roule bien et maintenir sa qualité de vie et le temps qu'il lui reste pour en profiter.

La simplicité volontaire, dans leur cas, c'est donc, par exemple, de n'accepter aucune activité sociale le week-end, même si elle est liée au travail, qui n'inclut pas les enfants. C'est de ne pas passer toutes les soirées de la semaine à «développer» les affaires en rencontrant des gens dans diverses activités. C'est de ne pas jouer au golf, même si c'est bon pour le réseautage, car c'est un sport qui n'inclut pas toute la famille.

«La clé, dit-il, c'est aussi de savoir apprécier ce qu'on a et savoir utiliser ce qu'on a: la maison, la piscine, le bateau...»

«Le bonheur, dans le fond, ajoute Maryse, c'est d'avoir le temps de faire ce que tu veux.»

COMMENT BIEN GAGNER (ET ORGANISER) SA VIE SANS PASSER SON TEMPS AU BUREAU

> Ne pas avoir peur du BlackBerry pour travailler sur le terrain de soccer, s'il le faut.

> Ne pas investir de temps dans des activités de réseautage qui ne sont pas nécessairement rentables. Savoir dire non.

> Quand les deux parents travaillent dans le même domaine, profiter des occasions, style congrès, pour faire des petits voyages d'amoureux, sans les enfants.

> Déléguer toutes les tâches domestiques pour maximiser l'efficacité du temps passé au travail ou à la maison avec les enfants.

> Déléguer toutes les tâches domestiques pour minimiser les accrochages familiaux au sujet de la vaisselle pas faite, des poubelles à sortir.