Comme je vous le communique au fil de mes chroniques Vins et Mets hebdomadaires, je suis depuis plus ou moins deux ans sur la piste des «particules alimentaires». Le but: cartographier les principes actifs des aliments - les molécules à la base des arômes et des saveurs - afin d'identifier les corrélations pouvant exister entre certains ingrédients de liaisons harmoniques et les vins qui créent l'harmonie avec ces derniers.

Cette compréhension scientifique de l'harmonie me permet maintenant de peaufiner l'approche harmonique à table, d'ouvrir de nouveaux horizons harmoniques et de créer de nouvelles recettes pour les amateurs de vins. Ce qui explique l'intérêt des chefs et des sommeliers européens, plus particulièrement catalans, pour ces travaux novateurs qui s'adressent autant à l'amateur qu'au professionnel.

C'est donc à l'invitation des organisateurs d'Alimentaria - la plus importante foire alimentaire et vinicole européenne, comptant 5000 exposants et 150 000 visiteurs -, sous les recommandations de Juli Soler, copropriétaire et fondateur d'elBulli, proclamé meilleur restaurant du monde (2007, 2006 et 2001), que j'ai présenté aux chefs cuisiniers et sommeliers européens les plus récents résultats de mes travaux de recherches harmoniques en sommellerie moléculaire.

Plus d'une centaine de sommeliers et de chefs ont assisté à cette conférence-atelier, dont des sommeliers et cuisiniers du célèbre restaurant elBulli, et des producteurs de vins espagnols de renom et sommeliers professionnels européens. J'ai pu ainsi exposer et partager les résultats de mes recherches, avec le support d'un document visuel de pointe, sans oublier la dégustation de différentes créations harmoniques vins et mets que j'avais concoctés avec un chef catalan de talent.

Pour ce faire, je leur ai présenté, entre autres, de vibrantes unions harmoniques, à l'exemple de la rencontre entre le cépage blanc verdejo (Rueda 2007 Vinos Sanz) et la menthe (tapas de fromage de chèvre frais à l'huile de menthe fraîche, salade de pommes et fenouil frais) ; entre les vins rouges tanniques (Priorat 2005 Ferrer-Bobet) et la réglisse (tronçon de canard sauce parfumée à la réglisse noire et aux mûres) et entre les vins oxydatifs (Xérès Oloroso 12 ans, Osborne) et les ingrédients marqués par la signature moléculaire qu'est le principe actif du nom de sotolon, comme le sirop d'érable (saumon laqué à l'érable et bière noire, réduction soya-balsamique).

Les nombreuses questions et l'intérêt suscité par cette conférence m'ont convaincu plus que jamais de la pertinence de poursuivre mes recherches en profondeur. Je retournerai d'ailleurs à Barcelone, en septembre, afin d'animer d'autres ateliers, à l'invitation de la Fundacío Alícia (www.alicia.cat), l'unique centre de recherches et d'études scientifiques en gastronomie à avoir pignon sur rue à ce jour, fondé en association avec le gouvernement catalan et elBulli.

Je présenterai aussi mes travaux au Mon Vínic (www.monvinic.com), un tout nouveau centre d'information international sur la culture du vin, avec bar à vin et salle de conférence ultra moderne, propriété de l'allumé Sergi Ferrer, aussi copropriétaire, avec l'inspirant oenologue Ra-l Bobet, du nouveau domaine Ferrer-Bobet (www.ferrerbobet.com) dans le Priorat . J'y ai d'ailleurs effectué une visite exploratoire et dégusté les grands 2006, au style d'une fraîcheur et d'une élégance rarissimes dans la fournaise qu'est le Priorat.

elBulli

Grâce à la grande générosité de Juli Soler, avec qui j'ai développé une relation d'amitié, fondateur et dirigeant du restaurant elBulli et fidèle associé du chef Ferran Adrià, j'ai pu passer du temps dans leur désormais mythique cuisine-laboratoire. Là où une équipe de cuisiniers s'affaire à réinventer la cuisine et à envisager de nouvelles pistes de création. Cela m'a permis de mieux comprendre leurs recherches, leurs techniques et leurs façons de faire.

Juste à la lecture des graphiques accrochés aux murs de cet atelier, vous êtes aspiré dans le maelström créatif de ce lieu unique! La complicité que j'ai aussi développée avec leurs sommeliers, au fil des discussions, m'inspire de nouvelles avenues harmoniques. Tout comme mes recherches en sommellerie moléculaire suscitent une grande curiosité de la part de l'équipe de ce restaurant d'exception.

Après cette journée passée avec Juli Soler, et après que lui et son équipe eurent assisté à ma conférence, l'homme orchestre d'elBulli m'a immédiatement invité à revenir travailler et échanger au restaurant, en septembre. J'y serai donc de retour afin de présenter cette fois un atelier de sommellerie moléculaire à son équipe de cuisiniers et de sommeliers, ainsi que pour mieux comprendre et déguster à nouveau leur cuisine. Ainsi, je serai à même de mieux redéfinir la place du vin à table avec la cuisine créative d'avant-garde du XXIe siècle, projet sur lequel je planche aussi en visitant les grandes tables créatives d'Europe, du Québec et des États-Unis.

Pascal Chatonnet

Pour terminer ce voyage, j'avais accepté l'invitation que m'avait lancée, lors de son passage à Montréal en octobre 2007, l'oenologue Pascal Chatonnet, du laboratoire Excell à Bordeaux. Aussi propriétaire des châteaux La Sergue, Haut-Chaigneau (dont le charnu et texturé 2003 sera bientôt de retour à la SAQ) et Tour Saint-André, situés à Lalande-de-Pomerol, ce brillant oenologue est docteur en science médicale et biologique. Ses deux thèses de doctorat, portant sur l'impact aromatique du chêne sur les vins, m'ont beaucoup interpellé. D'où mon grand intérêt d'échanger sur les molécules aromatiques avec lui.

Il m'a donc généreusement ouvert sa vaste bibliothèque de molécules aromatiques. J'ai pu y sentir, mémoriser et mieux cerner les subtiles différences entre des dizaines et des dizaines de principes actifs, à l'état pur, que l'on déniche tant dans les aliments que dans les vins. Il m'a aussi offert de partager son savoir afin de mener à terme mes recherches «scientifiques» en sommellerie moléculaire, qu'il trouve des plus inspirantes et nécessaires pour, comme il le dit, «enfin définir scientifiquement l'harmonie vins et mets».

Donc, de Barcelone à Bordeaux, un voyage initiatique d'une richesse d'informations incommensurable et de collaborations de plus en plus profondes et enrichissantes, tant pour moi-même que pour mes interlocuteurs. Je vous communiquerai, bien sûr, au fil de mes prochaines chroniques, au hasard des thèmes, quelques expériences effectuées en sol catalan et bordelais.