Au cours de l'automne, je vous ai proposé quelques chroniques autour d'un même cépage, certes, mais aux goûts souvent aux antipodes. Cette série «Match des cépages» - où vous avez pu découvrir jusqu'à maintenant les multiples facettes du cabernet sauvignon, du grenache, du mourvèdre et du sauvignon blanc - vous permet de mieux saisir les différences de goût entre les vins d'un même cépage, selon qu'il provient de son terroir de prédilection ou qu'il a été cultivé sous un autre climat. L'idée n'est pas de déterminer un gagnant, mais bel et bien de mieux les cerner pour ainsi créer des harmonies plus justes à table.

Pour capter l'essence même du merlot, il faut se diriger dans le Libournais, plus précisément dans ses terroirs de prédilection que sont les zones d'appellations Pomerol, Lalande-de-Pomerol et Saint-Émilion, tout comme de ses appellations satellites que sont Montagne et Saint-Georges, sans oublier celles de Fronsac, de Canon-Fronsac, de Côtes-du-Castillon et de Côtes-de-Franc.

Seul, ou en assemblage avec le cabernet sauvignon, le merlot, qui a pris beaucoup plus d'espace qu'autrefois dans les assemblages contemporains, a jeté, avec son éternel collègue, les bases du bordeaux tel qu'on le connaît aujourd'hui. Ils signent aussi tous deux le style des vins rouges les plus en vogue sur la planète vin. La densité moelleuse, l'épaisseur veloutée et le potentiel de garde des grands vins de Bordeaux dominés par le merlot sont inimitables sous les climats chauds et ensoleillés de la majorité des pays du Nouveau Monde.

Non pas que l'on n'y produise pas de grands vins. Bien au contraire. Mais le climat plus généreux et les terroirs fort différents, sans oublier les méthodes de culture, engendrent habituellement dans ces pays conquérants des merlots plus confits, plus dodus et plus sphériques, donc moins denses, au grain de tannins moins serré et moins minéral, quelquefois pouvant même être mollasses. Avec ces deux pôles, vous conviendrez que la force d'attraction harmonique ne peut être identique.

Canon-Fronsac et Bergerac

Pour saisir l'identité libournaise du merlot, découvrez la belle réussite que représente en 2004 le Château Canon de Brem 2004 Canon-Fronsac, France (30,50$; 10425037) , à 80% de merlot et 20% de cabernet franc. Un beau vin de fruit, de fraîcheur et de raffinement, aux tannins élégants, bien travaillés et enveloppés par un velouté texturé à la «pomerol», aux saveurs aériennes, laissant des traces d'épices douces, de fleurs et de chêne neuf. Un vin de restauration par excellence, élaboré sous les conseils de l'oenologue Jean-Claude Berrouet, l'homme ès Pétrus. Après un bon quatre heures en carafe, il saura épouser les protéines d'une viande rouge, tout comme l'effet rafraîchissant d'un coulis de poivrons verts - il faut savoir que par certaines molécules actives, les poivrons font partie de la courte liste des ingrédients, avec le concombre et la menthe, qui simulent le froid, d'où leur sensation de fraîcheur en bouche qui sied très bien à un vin tout aussi frais -, qui l'escorterait.

Idem pour le merlot de charme et de sensualité qu'est le tendre Merlot Christian Moueix 2005 Bordeaux, France (15,60$; 369405) , à 100% merlot. De la couleur, de la complexité, du raffinement, ainsi que des notes expressives de fruits noirs, de café et de graphite. De l'ampleur, des tannins tendres, mais au grain serré, de l'éclat et des courbes sensuelles, qui, étant plus détendu, se lovera contre la sucrosité ensoleillée d'un pesto de tomates séchées qui escorte un poulet grillé ou un filet de saumon grillé. Et que dire de l'écho de sa texture que lui donnera un hachis Parmentier au canard!

La région de Bergerac, voisine du Bordelais, sait aussi donner des allures bordelaises à ses merlots. Ce à quoi répond avec éloquence la cuvée La Gloire de Mon Père 2005 Côtes-de-Bergerac, Château Tour des Gendres, France (23,45$; 10 268 887) , qui est un 2005 tout à fait réussi, à la hauteur des attentes de ce millésime et de ce domaine de pointe. Tout exprime le merlot, même s'il fait part égale avec le cabernet. Nez profond, raffiné et détaillé. Bouche éclatante, dense, fraîche, expressive, très longue et savoureuse. De la richesse tout en étant digeste. Après l'avoir sagement oxygéné en carafe 45 minutes, il ne fera qu'un d'une sauce vivace comme celle au vin rouge et aux baies de sureau qu'un juteux magret de canard calmera.

Chili et États-Unis

Comme c'est le mois du Chili, avec la place de choix que lui réserve jusqu'au 2 mars le volet Les Plaisirs de la table du festival Montréal en lumière, poursuivons notre match harmonique cette fois-ci avec la version Nouveau Monde du merlot, plus précisément avec sa signature chilienne. N'en déplaise à certains amateurs, les notes aromatiques jouant dans la sphère de l'eucalyptus sont courantes et tout à fait typiques de nombreux merlots du Chili.

Profitez de cette signature locale, au lieu de la fuir, pour créer d'enivrantes harmonies de principes actifs avec des plats parfumés par le laurier et le romarin, tous deux porteurs des mêmes molécules aromatiques que l'eucalyptus. Pour preuve, l'union parfaite entre un gigot d'agneau bardé de romarin frais et le typiquement chilien et expressif Merlot Veramonte Reserva 2006 Casablanca Valley, Chili (13,90$; 10845605) , passablement riche pour son prix, exhalant des notes de cassis, de cerise, de chêne et d'eucalyptus, à la bouche à la fois ample et pleine, avec de la poigne, mais sans excès, non dénuée de fraîcheur.

Enfin, du côté de nos voisins du Sud, faites vos gammes harmoniques entre des côtes levées sauce barbecue épicée, tout comme des brochettes de poulet teriyaki - toutes deux difficiles à unir à un plus dense et élancé merlot de Bordeaux -, et le nouveau venu qu'est le Merlot Washington Hills 2005 Columbia Valley, États-Unis (15,25$; 10846641) . Du nouvel eldorado états-unien, il se montre fort engageant, soutenu et ramassé, sans mollesse, et doté de saveurs pleines et généreuses, aux tannins tendres mais présents. Plus proche du profil européen que du style californien, tout en possédant la générosité et la texture détendue nécessaires à l'harmonie avec de telles sauces.

>>>Merlot en harmonie

Viande rouge et coulis de poivrons verts

> Château Canon de Brem 2004 Canon-Fronsac, France (30,50$; 10425037)

Poulet grillé (ou saumon grillé) au pesto de tomates séchées ou hachis Parmentier au canard

> Merlot Christian Moueix 2005 Bordeaux, France (15,60$; 369405)

Magret de canard au vin rouge et aux baies de sureau

> La Gloire de Mon Père 2005 Côtes-de-Bergerac, France (23,45$; 10268887)

Gigot d'agneau bardé de romarin frais

> Merlot Veramonte Reserva 2006 Chili (13,90$; 10845605)

Côtes levées sauce barbecue épicée ou brochettes de poulet teriyaki

> Merlot Washington Hills 2005 États-Unis (15,25$; 10846641)