En janvier, lors de la première d'une série de chroniques sur le thème «Comment défricher une recette», je vous proposais de parcourir les mêmes chemins que j'emprunte lorsque je découvre une recette. Cette semaine, profitons du Nouvel An chinois pour entamer le défrichage de la très plurielle cuisine chinoise, en débutant avec celle, riche en savoureuses recettes épicées, du Sichuan.

Premièrement, il faut savoir que la Chine est tellement vaste qu'il est impossible de parler au singulier de sa cuisine, d'où l'idée la décortiquer en quelques chroniques distinctes. On peut facilement distinguer, d'une part, les cuisines du nord de la Chine, avec Shanghai et Pékin, puis celles du sud, avec Canton et Sichuan. Cette dernière, sans doute la plus épicée des cuisines du pays de Mao, a subi de profondes influences indiennes.

Le bouddhiste a, lui aussi, laissé sa marque par quelques recettes végétariennes, dont certaines à base de tofu, rehaussées du duo ail-gingembre ainsi que de la pâte de haricots noirs, auxquels s'ajoutent l'huile de sésame, les huiles infusées d'épices et les condiments à base de piments et d'herbes.

Le poivre du Sichuan intervient aussi dans leurs recettes comme un ingrédient catalyseur, calmant le feu des piments par son incomparable saveur «électrique». Sa propriété organoleptique titille les papilles et crée une sorte de sensation électrique de pétillement et de picotement, spécialement dans le cas des meilleures variétés, tout en parfumant la bouche de ses tonalités anisées, citronnées et florales.

Débutons notre périple sichuanais avec le célèbre poulet du Général Tao, composé de morceaux frits de viande blanche, assaisonnés de gingembre, d'ail, d'huile de sésame, de vinaigre, de sucre, de sauce aux huîtres, de sauce soya, d'échalotes et de piments forts. Donc, un plat aigre-doux, passablement sucré, un brin épicé, c'est selon, qui requiert idéalement un vin blanc presque demi-sec, à l'acidité présente et aux parfums expressifs.

Ce à quoi répondent certains vins allemands, comme un riesling spätlese, ainsi que certains vins de la Loire, comme ceux d'appellation Vouvray. Si vous tenez à boire sec, optez pour la générosité solaire d'un sémillon australien, qui compensera l'absence de sucre par le goût naturellement sucré de l'alcool. Ce à quoi répondra avec tonus le nouveau Sémillon/Sauvignon Blanc Amberley 2005 Margaret River, Australie (16,80$; 10342531), servi à 14 degrés, d'une ampleur et d'une suavité dignes du sémillon.

Poursuivons dans les méandres de la route de la soie avec la réputée fondue chinoise, qui est d'origine sichuanaise. Comme vous le savez probablement déjà, cette fondue est à base d'un bouillon dans lequel on trempe des aliments que l'on cuit et mange au fur et à mesure, telle que la viande (canard, poulet, veau et boeuf), les crevettes, les légumes, le tout accompagné de différentes sauces. Donc des saveurs multiples, difficiles à concilier avec un seul vin.

La recette originale est à base d'un bouillon de cuisson relevé de piments et d'épices. Alors, à votre prochaine fondue, redonnez-lui son allure sichuanaise en la rehaussant de piments forts et de poivre du Sichuan. Puis, pour réussir à soutenir le feu des épices, renforcées par la chaleur du bouillon, servez un vin rouge, servi très frais, à la fois généreux et un brin tannique - l'astringence des tannins du vin rouge joue ici le rôle de trouble-fête pour distraire les papilles. Ce à quoi répond un ripasso de la Valpolicella comme le Sartori «Ripasso» 2005 Valpolicella «Superiore», Italie (14,40$; 10669242), un rouge en mode charme, texture et courbes sensuelles, non dénué de corps et de tannins.

Si vous cuisinez un aromatique boeuf aux zestes d'orange, comme la recette du livre Les Délices de Jean Chen, où interviennent dans la sauce les piments forts, le vinaigre (une tasse!), le sucre et la sauce aux huîtres, vous devrez, dans un premier temps, surmonter l'omniprésence de l'acidité du vinaigre et, dans un deuxième temps, le sucre, le feu des piments, la note iodée et saline des huîtres, et l'amertume des zestes.

Qui dit acidité mordante et goût épicé, dit riesling allemand spätlese, doté d'une électrisante acidité ainsi que d'une attaque dosée en sucre résiduel, tout comme peuvent aussi l'être ceux de l'État de Washington, à l'image de l'excellent Riesling Eroica 2006 Columbia Valley, Château Ste Michellle & Dr. Loosen, États-Unis (27,20$; 10749681), presque sec, même s'il contient des sucres résiduels, au nez extraverti et à la bouche croquante, vivifiante et enveloppante.

Si vous voulez boire rouge, il vous faudra impérativement opter pour un jeune rouge fringant, léger en tannins et doté d'une bonne acidité, comme ceux du Beaujolais, entre autres. Notez que dans certains cas, le pinot noir peut aussi être en mode fraîcheur, comme ceux de la vallée de Casablanca au Chili. Optez pour le vivifiant, simple, abordable et digeste Pinot Noir Cono Sur Reserva 2007 Casablanca Valley, Chili (16,55$; 874891).

Pour adapter la cuisine sichuanaise à votre goût occidental, concoctez, comme le font Ethné et Philippe de Vienne dans l'inspirant livre La cuisine et le goût des épices, un métissé carré d'agneau sichuanais. La ligne harmonique est ici donnée par la marinade dominée par les cinq épices chinoises, à base de poivre du Sichuan, les piments sichuanais (ou le sambal Slek), la sauce hoisin, la sauce soya et le vinaigre de riz.

Pour soutenir ce mélange épicé et parfumé - comme la vanille a un effet tampon, tant en parfumerie, en cuisine que chez les vins, calmant la force des autres produits, dont les piments et le poivre du Sichuan -, sélectionnez un vin à la fois très aromatique, plein, texturé et, surtout, vanillé. Les crus espagnols, élevés en barriques américaines, en partie ou en totalité, provenant de la Rioja, de la Ribera del Duero et de Jumilla sont à prescrire. Tout comme les merlots de style Nouveau Monde. Ce à quoi répond avec aplomb le nouveau et très bon sicilien Shymer 2005 Sicilia, Baglio di Pianetto, Italie (18,05$; 10859804), né d'un assemblage de syrah et de merlot, à la bouche pulpeuse, ronde et charnelle, aux tannins tendres, à l'acidité discrète et aux saveurs longues et directes, laissant des traces de vanille et de framboise. Allez, Bonne Année épicée!

Quelques harmonies du Sichuan

Poulet du Général Tao

Sémillon/Sauvignon Blanc Amberley 2005 Margaret River, Australie (16,80$; 10342531)

Fondue chinoise épicée à la sichuanaise

Sartori «Ripasso» 2005 Valpolicella «Superiore», Italie (14,40$; 10669242)

Poulet sichuanais aux noix de cajou

Pinot gris alsacien ou blanc du Rhône

Boeuf aux zestes d'orange (recette livre Les Délices de Jean Chen)

Riesling Eroica 2006 Columbia Valley, Château Ste Michellle & Dr. Loosen, États-Unis (27,20$; 10749681) Pinot Noir Cono Sur Reserva 2007 Casablanca Valley, Chili (16,55$; 874891)

Carré d'agneau sichuanais (recette livre La cuisine et le goût des épices, Ethné et Philippe de Vienne)

Shymer 2005 Sicilia, Baglio di Pianetto, Italie (18,05$; 10859804)