Sébastien Gagnon et Dominic Roberge ne manquent pas d'ambition. Ces deux amoureux de la bière de Saint-Adelphe sont en train de relancer la culture du houblon au Québec, disparue depuis plus de 50 ans.

Loin de vouloir s'enrichir, les deux jeunes entrepreneurs espèrent pallier à la pénurie de cette plante responsable de l'amertume caractéristique de la bière. Ils pensent éventuellement être en mesure de fournir tout le marché des microbrasseries québécoises et même davantage.

Depuis plus d'un an, les microbrasseries doivent faire preuve d'imagination afin de mettre la main sur la précieuse plante dont la rareté fait également grimper les prix.

Rappelons que les grands producteurs comme Molson et Labatt souffrent beaucoup moins de cette pénurie que les petits brasseurs puisqu'ils ont des contrats d'approvisionnement à long terme avec les fournisseurs.

«Pour la première année, on fait des tests. On essaye différentes variétés afin de voir celles qui répondent le mieux au climat d'ici», explique Sébastien Gagnon.

Le propriétaire du bar à bières Vices et Versa à Montréal entretient des contacts étroits avec les microbrasseries de la province. Dans la dernière année, il a pu voir la crise se développer chez ses fournisseurs, ce qui lui a donné l'idée de relancer cette culture dans son patelin natal en Mauricie. Il a fait appel à son ami d'enfance, Dominic Roberge, qui avait une bonne expérience dans le domaine agricole.

Une connaissance perdue

L'expérience n'est toutefois pas de tout repos. Il fallait tout apprendre de cette culture, surtout répandue en Europe et aux États-Unis.

M. Gagnon se rendra d'ailleurs en Belgique au mois d'octobre afin de parfaire ses connaissances sur la technique de transformation du produit et pour trouver de l'équipement: «C'est difficile de trouver tout ce qu'il nous faut ici, on essaye de trouver des vieux séchoirs à tabac comme ils utilisent là-bas.»

Le jeune Adelphien précise toutefois que la culture n'arrivera pas à maturité avant au moins trois ans. Pour cette première année, ils ont dû commander leurs premiers plants de la Colombie-Britannique, la seule province au pays où l'on continue à cultiver le houblon.

Des 14 variétés qu'ils ont commandées, seulement 9 ont survécu à un retardement dans le transport. Ils ont donc pu mettre en terre environ 420 plants sur un quart d'hectare. Ils espèrent augmenter leur surface à 30 hectares d'ici quelques années.

Comme les plants de houblon nécessitent une grande quantité d'eau les premières années, le temps pluvieux depuis le début de l'été n'a pas été dramatique pour eux cette saison.

«C'est certain que ça n'a pas favorisé mais on se considère plus chanceux que les cultivateurs de framboise, par exemple», précise Sébastien Gagnon.

Des intéressés dans le domaine

«Les voisins sont heureux de voir que la culture se diversifie. À Saint-Adelphe, il n'y a pas grand-chose d'autre que des fermes laitières, du maïs et du soya». rajoute M. Gagnon.

Il soutient que plusieurs agriculteurs à travers la province l'ont contacté pour travailler avec eux et se lancer dans la culture du houblon.

«Il y en a pas plus que deux ou trois qui ont l'air sérieux, confie-t-il. Il faut différencier ceux qui le font pour profiter de la demande et ceux qui le font par passion. Ça demande énormément d'efforts pour se lancer là-dedans.»

En s'équipant au cours de la prochaine année, ils espèrent se positionner comme les responsables de la transformation de la plante à l'échelle de la province.

Venir en aide aux microbrasseries

Sébastien Gagnon et Dominic Roberge veulent d'abord et avant tout aider les microbrasseries. C'est pourquoi ils désirent offrir un prix très bas aux petits brasseurs d'ici. «Notre excédant par contre, on va le vendre à gros prix à l'extérieur», spécifie M. Gagnon.

Pour cette première année, ils comptent récolter les plants à la main cet automne. Ils testeront ensuite leur qualité en laboratoire. Ils ont déjà des ententes avec quelques brasseurs comme À la Fût à Saint-Tite pour se servir de leur première production de houblon.

Légère hausse du prix de la bière

La pénurie de houblon commence à faire mal aux microbrasseries de la région. Si bien que quelques-unes d'entre elles commencent à augmenter leurs prix. Les amateurs de bière n'ont toutefois fois pas à craindre une hausse spectaculaire.

Pour l'instant, les brasseurs ont augmenté leur prix d'environ 50 sous le verre, soit une hausse de près de 10 % depuis l'an dernier.

«C'est pas juste le houblon, tout coûte plus cher. Il y a le malt qui a augmenté et aussi le prix de l'énergie», affirme Isaac Tremblay, directeur général du Trou du diable à Shawinigan.

«Avant, je trouvais tout mon stock de houblon pour 1000 $ ou 2000 $. Maintenant, ça me coûte un bon 18 000 $», rajoute-t-il.

M. Tremblay doit aussi passer beaucoup plus de temps à fouiller pour mettre la main dessus puisqu'il n'en trouve qu'en petite quantité. Il a dû importer son dernier voyage directement de la Californie. Jusqu'à maintenant, aucun brasseur interrogé n'a eu à faire disparaître de ses bières. Ils ont cependant dû modifier les types de houblons pour certaines d'entre elles, comme les Indian Pale Ale, plus amères.

«Le commun des mortels ne se rend pas compte des changements de recettes mais les amateurs et les habitués commencent à avoir hâte que ça se termine», explique Jean-Luc Marchand, brasseur chez Gambrinus.

Les microbrasseries interrogées se disaient toutes ouvertes à l'idée d'acheter du houblon québécois.

Certaines étaient mêmes prêtes à le payer plus cher pour encourager le marché local.

«Les microbrasseries au Québec, c'est pas mal plus une grande famille que des entreprises en compétition», fait valoir M. Tremblay.

Ce dernier a gardé son sens de l'humour malgré les temps difficiles.

Il a eu l'audace de nommer une de ses bières La Pénurie: «On s'est dit qu'on allait contribuer nous aussi à la pénurie alors dans celle-là, on en met en masse du houblon!»