Pour éclaircir sa peau, Marwa est prête à les essayer toutes, ces crèmes «blanchissantes» qui promettent amour, gloire et beauté. La jeune Égyptienne a l'embarras du choix: plusieurs marques, convaincues du «potentiel» du monde arabe, ont investi le créneau.

Si c'est en Asie et en Afrique que la folie du «blanchiment» est la plus forte, le marché moyen-oriental est aussi considéré comme porteur, notamment par le groupe anglo-néerlandais Unilever, qui commercialise Fair and Lovely, l'une des marques phare du secteur.

Car si les pages des magazines féminins en Europe regorgent de publicités vantant les mérites des autobronzants pour avoir un teint cuivré même en hiver, c'est le contraire dans le monde arabe, où la peau blanche fait partie des canons de beauté classique.

Et bien que les plages de la région ne désemplissent pas l'été, nombreuses sont les femmes dans les villages de Tunisie, du Maroc, d'Égypte ou de Syrie à fuir le soleil ou à se couvrir entièrement les semaines précédant leur mariage, dans l'espoir d'arborer une peau d'albâtre le jour J.

«Ce qui est rare est cher», explique Hassan Ahmad, enseignant en sociologie à l'Université d'Aïn Chams, au Caire. «Et puisqu'en Égypte, comme dans le reste du monde arabe, la peau mate est la plus répandue, nous préférons la peau blanche».

«La peau blanche est le rêve de toute femme, surtout dans le Golfe», assure ainsi la présentatrice blonde d'une émission de téléachat justement consacrée aux produits dits blanchissants sur la chaîne à capitaux saoudiens MBC4, en plaignant «les personnes qui pâtissent d'une peau mate».

Une aubaine pour Unilever, pour qui le Maghreb et le Moyen-Orient présentent un «potentiel énorme» en raison notamment d'«une population nombreuse, jeune et croissante». Le chiffre d'affaires de Fair and Lovely dans la région a augmenté en moyenne de 15% chaque année depuis 2005, a indiqué le groupe à l'AFP, avec un pic de 18% en 2007.

Les publicités pour la crème délivrent un message simple: une peau claire est la clé d'une vie réussie.

Chaque film publicitaire suit le même schéma: qu'elle veuille être danseuse ou chercheuse, une jeune femme se rend compte que sa peau «trop mate» est un obstacle. Et ce n'est qu'après avoir utilisé la crème qu'elle décroche non seulement le travail de ses rêves et la reconnaissance de ses collègues, mais aussi l'attention de l'homme qu'elle convoîte.

De quoi scandaliser de nombreux téléspectateurs. Deux groupes sur le site de socialisation Facebook dénoncent ainsi la marque, l'un avec plus ou moins d'humour («Fair and Lovely est raciste mais je continue à l'utiliser»), l'autre plus sévèrement («Interdisons Fair and Lovely, le racisme dans un tube»).

Unilever se défend des accusations d'«impérialisme», de «néo-colonialisme» et de «racisme», assurant répondre à un besoin.

L'attrait du blanc ne se limite en tout cas pas aux couches populaires. Salwa, une jeune Égyptienne qui préfère donner un nom d'emprunt, raconte avoir été outrée le jour où son petit ami lui a dit: «Tu sais, je t'aime bien même si tu as la peau mate». Le jeune homme, qu'elle a depuis quitté, était issu d'une grande famille bourgeoise du Caire.

La dermatologue Rihab Sobhi confirme voir passer dans son cabinet cairote des patientes issues de toutes les couches sociales, dont beaucoup viennent tenter de réparer les dégâts après une utilisation intensive et sans prescription médicale de crèmes de ce type: taches blanches ou marques sombres, acné, allergies ou même brûlures.

Marwa, elle, continue de chercher la crème miracle parmi les produits les moins chers du marché.

La jeune fille de 19 ans, qui travaille dans un salon de coiffure de Boulaq-Dakrour, un quartier populaire du Caire, applique la crème jusque sur ses cernes, «beaucoup trop sombres» à son goût.