Les vins de négoce, c'est-à-dire de fournisseurs qui ne les produisent pas eux-mêmes, occupaient dans le passé une place très importante, sinon prépondérante, dans le répertoire général de la SAQ.

Il y en avait et il y a encore de fort bons, là n'est pas la question.

À ces vins, souvent de grandes sociétés, s'en sont ajoutés depuis un très bon nombre de viticulteurs indépendants, ce qui a enrichi et beaucoup étoffé la gamme de la SAQ.

«Les vins de domaines inscrits au répertoire général, c'est des perles, c'est ce qui en fait la richesse», explique à ce sujet le directeur général d'une agence très au fait du marché.

Ainsi, - et quoique ce ne soit pas son agence qui représente ce vin -, «d'avoir un Château La Gardine dans le répertoire, et pas seulement des Châteauneufs-du-Pape de négociants, c'est extraordinaire», ajoute-t-il.

Or, la politique actuelle de la SAQ pour ce qui est des produits courants, et donc vendus dans de multiples succursales, risque d'entraîner, à terme, la disparition de beaucoup de ces vins. Et, du coup, d'appauvrir le répertoire général, lequel compte pour plus de 80% du chiffre d'affaires de la société d'État.

Un exemple récent, qui fait mal au coeur: l'élimination de ce si joli Chablis qu'est le Domaine des Malandes, lequel était pourtant le moins cher de tous les Chablis du répertoire général.

Raison de sa disparition: à cause du coût trop élevé qu'aurait entraîné pour ce petit producteur l'effort promotionnel nécessaire, ce vin n'a pu réaliser au cours de la dernière année le quota de ventes nécessaire, lequel est passé de 456 000 $ jusque-là à 467 000$ le 1er avril dernier pour ce qui est des bourgognes blancs.

Un autre effet pervers qu'aura de toute évidence la politique actuelle de la SAQ sera de bloquer l'accès au répertoire général aux petits viticulteurs.

Car ceux-ci, faute des moyens financiers suffisants, se verront - se voient déjà, en fait - dans l'impossibilité de présenter leur vin lors d'appels d'offres de produits courants.

Les règles imposées par la société d'État étant aujourd'hui ce qu'elles sont, il faut désormais, en effet, «au minimum 100 000 $ pour lancer un nouveau produit courant», explique un autre agent qui connaît lui aussi le marché sur le bout de ses doigts.

En règle générale, cependant, on estime que la somme requise se situe plutôt entre 125 000 et 150 000$ au cours de l'année qui suit l'introduction d'un nouveau vin courant.

L'explication: le montant qu'est disposé à investir le fournisseur pour la promotion de son vin compte parmi les principaux critères sur lesquels la SAQ fonde sa décision d'accepter ou de refuser tel ou tel produit susceptible de figurer à son répertoire général.

«Certains fournisseurs sont prêts à mettre jusqu'à 300 000 $. Plus ils sont gros, plus ils peuvent investir, plus ils ont de visibilité dans les succursales, et plus leurs ventes sont en croissance», souligne le même agent, lequel, comme le premier, a requis l'anonymat.

Autre chose qui complique grandement la tâche des viticulteurs indépendants: la première année, le quota de ventes du nouveau produit est fixé... à une fois et demie le quota officiel de la catégorie à laquelle il appartient.

Exemple, les vins rouges de Toscane, pour lesquels le quota annuel a été majoré à 525 000$ en date du 1er avril 2007, comparativement à 500 000$ jusque-là.

S'agit-il d'un nouveau vin rouge de Toscane du répertoire général, son quota devient, pour la première année, 787 500$ (525 000$ x 1,5).

Le fournisseur veut-il occuper avec son nouveau vin la page couverture de la circulaire de la SAQ placée dans des quotidiens, cela lui coûtera, selon le tarif officiel, 90 000$ si le vin n'est pas vendu au rabais, et 70 000$ si cette publicité s'accompagne d'un rabais.

Imaginons le cas d'un vin offert avec un rabais de 1,50$ la bouteille, comme c'est fréquent.

Le fournisseur réussit-il par ce moyen à en vendre, disons, 2000 caisses, soit 24 000 bouteilles, le rabais lui coûte 36 000$ (car le rabais est à sa charge), qui s'ajoutent aux 70 000$ requis pour figurer en page couverture. Total pour cette seule promotion: 96 000$...

Dans le cas d'un forfait dit majeur (dans les pages intérieures), le tarif pour un nouveau produit est de 50 000$ avec rabais et de 65 000$ sans rabais.

Pour une présence plus discrète, appelée «forfait standard», toujours dans les pages intérieures, le tarif est de 5000$ avec rabais, et de 7500$ sans rabais.

Le système en place a aussi des effets saugrenus... donnant l'impression d'halluciner.

La SAQ interdit en effet à ses fournisseurs (et c'est tant mieux) d'augmenter leur prix de gros de plus de 5% par an.

En même temps, toutefois (ce qui est moins drôle), elle exige que les produits de spécialité, donc commercialisés dans un nombre limité de succursales, soient vendus 25% plus cher que le prix moyen des vins de la même catégorie inscrits au répertoire général.

On combine les deux règles et, résultat, il devient impossible au Chablis Domaine des Malandes de passer au répertoire des spécialités, puisqu'il était le moins cher des Chablis courants! (Car il faudrait à son producteur augmenter son prix de gros beaucoup plus que de 5% pour créer un écart de 25% avec le prix moyen des Chablis du répertoire général.)

Certains vins, maigre consolation, réussissent à échapper au couperet.

Ainsi, le Ribera del Duero Prado Rey, qui a été éliminé du répertoire général (il était le seul de sa catégorie), faute d'avoir pu faire son quota, continuera toutefois d'être commercialisé, mais comme produit de spécialité en approvisionnement continu. (Système selon lequel la SAQ renouvelle ses commandes d'un produit donné de façon continue et systématique.).

Chance que n'a pas eue le Chablis du Domaine des Malandes...

Bref, il y a là de quoi s'inquiéter, même si le phénomène ne fait que commencer. Car la SAQ risque de rendre, à terme, son répertoire général moins attrayant, et, indirectement, d'inciter les consommateurs à faire encore davantage leurs achats chez le voisin - en Ontario...

La recommandation de la semaine

Vin modeste, mais toujours fiable, le Cahors 2005 Chatons du Cèdre, fait surtout de Malbec (90%), mais aussi d'un peu de Merlot (10%) constitue une bonne introduction à ces vins du sud-ouest de la France. Bien coloré, son bouquet de bon volume, de fruits noirs, a aussi ces notes, mais peu appuyées, d'encre et de truffes noires fréquentes dans ces vins. Plus que moyennement corsé, tannique, passablement ferme, un peu carré, il ne manque pas de chair et pourra fort bien accompagner des viandes rouges.

C, 560 722, 12,85$, **,$$, 2007-2010.

Dégustés pour vous

Cahors 2004 Pigmentum Georges Vigouroux. Nouveau produit courant et bien coloré lui aussi comme Cahors, son bouquet est toutefois retenu, peu intense, avec des notes discrètes rappelant des odeurs de terre fraîche. Vin qui a du corps, ses tannins bien fermes le rendent austère. C, 10 754 412, 14,25$, ** ,$ 1/2, 2007-2010.

Pinot Grigio Delle Venezie IGT 2005 Danzante. Couleur paille, son bouquet de fruits confits est très proche de celui des vins de Pinot gris d'Alsace. Non boisé, moelleux en bouche, ses saveurs sont franches, mais il m'a semblé un peu lourdaud. S, 10 705 151, 15,85$, **,$ 1/2, 2007.

Morellino di Scansano 2004 Valdifalco. Vin rouge de Sangiovese de Toscane, d'une couleur pourpre-prune soutenue, au généreux bouquet de fruits noirs qu'accompagnent des notes un peu chocolatées (le bois), charnu, corsé, aux saveurs de Sangiovese bien mûr. Tannique, solide et très bon malgré la carrure de ses épaules... S, 10 223 806, 24,10$, *** 1/2,$$$, 2007-2011?

Langhe 2003 Bricco del Drago Poderi Colla. Très beau vin du Piémont, de Dolcetto (85%) et de Nebbiolo (15%), d'un pourpre passablement foncé, au bouquet mûr et associant fruits rouges et fruits noirs. Il ne manque ni de corps ni de chair, avec des tannins fermes, mais sans rugosité. Savoureux. S, 927 590, 29,05$, *** 1/2,$$$ 1/2, 2007-2012.

* Vin correct

** Bon

*** Très bon

**** Excellent

***** Exceptionnel

1/2 Égale une 1/2 étoile

LA RÈGLE

> Plus d'étoiles que de $, le vin vaut largement son prix.

> Autant d'étoiles que de $, il vaut son prix.

> Moins d'étoiles que de $, il est cher ou même très cher.

> C indique qu'il s'agit d'un vin courant, vendu dans la plupart des succursales.

> S désigne les vins de spécialité, en vente uniquement dans un nombre limité de succursales.

> Le nombre d'années figurant après la note indique le potentiel de garde approximatif à partir de maintenant .