Ils ne sont pas pratiques et ils font souvent mal, mais en dépit de centaines d'années d'histoires d'horreur, les femmes continuent de porter des souliers à talons hauts.

Les experts s'entendent pour dire que la crainte d'ampoules, de cors et de durillons n'est pas de taille avec le statut sexy des talons hauts et les créateurs de mode continuent de proposer des chaussures d'une hauteur de plus en plus vertigineuse.

«Ils rendent vos jambes longues et belles», explique Faye Markowitz, acheteuse des articles féminins de Davids Footwear, à Toronto. «Ils nous font paraître plus minces et les femmes feraient n'importe quoi pour paraître plus minces et plus grandes, plus sexy», ajoute-t-elle.

Le phénomène n'est pas nouveau.

Le Musée Bata de la chaussure à Toronto contient des centaines de chaussures portées par des femmes partout dans le monde au fil des siècles dans leur quête de hauteur, de statut et de beauté.

On y trouve des sandales de 30 centimètres de hauteur que portaient des femmes de l'empire ottoman pour garder leurs pieds au sec dans les bains publics et des plateformes appelées chopines, d'une hauteur de 75 centimètres, que portèrent d'abord des prostituées de Venise et qui ont été ensuite adoptées par des aristocrates européennes dès les années 1400.

Emanuele Lepri, le directeur du musée, commente: «Des plateformes aux décorations élaborées conféraient à la fois du statut et de la hauteur à la femme qui les portaient. Si vous êtes plus grande, votre corps paraît évidemment mieux en particulier si vous portez une robe longue et les femmes pouvaient ainsi montrer l'opulence de leurs robes.»

Ces chaussures de velours sont en montre dans la section «Chroniques des richesses» du musée de même qu'une paire de mules d'or, incrustées de joyaux, qui avaient été dérobées du musée il y a deux ans et qui sont revenues, intactes, un mois plus tard.

De nombreuses chaussures exposées au musée comportaient un élément utile, comme ces casse-châtaigne qui portent bien leur nom et qui semblent le résultat d'un féroce mariage entre des souliers de golf et un barbelé à lames.

D'autres chaussures en montre remplissent des objectifs moins que pratiques.

Gourous indiens

Les femmes modernes seront peut-être en mesure de sympathiser avec les gourous de l'Inde ancienne qui se promenaient avec des padukas, des chaussures semblables aux tongs d'aujourd'hui, mais comprenant de lourdes plateformes de métal ou de bois et un seul pilier ainsi qu'un renflement au bout s'insérant entre les orteils.

«Pour les porter, il fallait développer les muscles des orteils», indique en riant M. Lepri, qui explique comment les gourous portaient ces sandales au cours de cérémonies. «Elles véhiculent l'idée d'une sorte de sacrifice quand vous marchez et rendent la notion de désintéressement», dit-il.

Ce sacrifice est peut-être semblable à celui des femmes qui se promènent perchées sur les derniers modèles de souliers à talons aiguilles au nom de la mode.

«On serait porté à croire que l'on évoluerait vers des chaussures plus fonctionnelles et pourtant, année après année, en particulier sur la passerelle, on voit des talons qui semblent de plus en plus hauts», observe Alison Matthews David, chargée d'enseignement à l'école de mode de l'Université Ryerson. «Les gens, et en particulier les femmes, sont souvent encore disposés à faire ce sacrifice», ajoute-t-elle.

Mais Mme Matthews David comprend aussi la psychologie entourant les souliers à la mode.

«C'est une façon de célébrer la fantaisie, dit-elle. Parce que vous pouvez devenir quelqu'un d'autre si vous portez une paire de chaussures différente. Les gens ont leurs identités différentes grâce à leurs souliers.»

Il fut une époque où le fait de porter des souliers chers et décorés marquait la personne comme étant quelqu'un qui n'a pas à déambuler dans les rues boueuses du 18e siècle.

Mme Matthews David croit que peu de choses ont changé même si les rues et les trottoirs ne sont plus en terre battue.

«Cela montre que vous prenez une limousine, un taxi», dit-elle.

Certains souliers du 16e étaient dotés de talons aiguille de plus de 60 cm de hauteur. En dépit des chutes, des os fracturés et des risques de dommages permanents aux orteils, pas grand-chose a changé à cet égard non plus.

Mme Matthews David soutient que les femmes continuent de porter des chaussures pour une raison principale: «De toute évidence, des talons hauts vous confèrent une allure sexy», dit-elle en riant.